Le principe général du droit selon lequel "nul ne peut se constituer de preuve à soi-même" [1] est un principe universel qui existe dans la plupart des systèmes juridiques des pays démocratiques [2].
Ce principe ne semble pas avoir été porté à la connaissance des instances du football international qui dans une décision récente fait droit à une demande de réparation sur la base d’une preuve constituée par le demandeur lui-même [3].
Avant toute chose, il ne faut pas perdre à l’esprit que le Tribunal Arbitral du Sport rend des sentences arbitrales et selon certains auteurs [4] les règles de preuves ne sont pas les mêmes que devant les juridictions judiciaires.
Dans cette sentence arbitrale rendue par le TAS le 2 juillet 2013, le club du FC Nantes a été sanctionné pour avoir incité un joueur professionnel (Ismaël Bangoura) à résilier son contrat de travail avec son club (Al Nasr, UAE), la sanction infligée par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), confirmant la décision de la FIFA [5], interdisait d’une part, le FC Nantes de recrutement pour deux périodes de transfert en tant que sanction sportive, et d’autre part, au dédommagement d’un montant de 4.500.000,00 EUR au club d’Al Nasr pour sanction financière.
En l’espèce, la sanction financière infligée par le TAS était erronée, outre le fait qu’elle soit disproportionnée compte tenu de la valeur financière d’Ismaël Bangoura sur le marché des transferts de joueur de football professionnel ainsi que la situation sportive et financière du FC Nantes.
En effet, cette sanction financière était erronée au regard des éléments probatoire qui ont pu justifier le montant du dédommagement. Ce montant de 4.500.000,00 EUR a été prononcé sur la base de l’offre de transfert faite par le club d’Al Nasr au club du FC Nantes. Ce que le TAS et la FIFA ont oublié de prendre en compte c’est que le FC Nantes n’a jamais accepté cette offre qui était au-dessus de ses moyens financiers puisqu’à cette époque le club du FC Nantes évoluait en Ligue 2.
L’erreur du TAS, et de la FIFA avant elle, a été de sanctionnée financièrement le FC Nantes uniquement sur la base d’une offre du club d’Al Nasr fixant ainsi lui même la preuve de la valeur d’Ismaël Bangoura. Il est donc indéniable que cette preuve est une violation du principe selon lequel "nul ne peut se constituer une preuve à soi-même".
Force est de constater que certaines décisions erronées peuvent avoir des effets bénéfiques. Cette décision est un exemple en la matière puisque le FC Nantes, qui a été sanctionné sévèrement financièrement, a été contraint de limiter ses dépenses habituelles, et les sanctions sportives ont obligé le FC Nantes à privilégier la formation sur le recrutement.
La position sportive et financière actuelle du FC Nantes est une leçon qui ne devrait pas s’apprendre par erreur.
Discussions en cours :
L’adage "nul ne peut se constituer de preuve à soi même" a en droit français une portée beaucoup plus limitée que sa lettre pourrait laisser penser. En réalité cet adage signifie uniquement qu’on ne peut se constituer de titre pour soi même (c’est-à-dire une preuve littérale).
En l’espèce il s’agissait de déterminer le montant du préjudice, donc de prouver un fait juridique, donc la preuve est libre et se fait par tout moyen... On peut donc parfaitement produire une offre émise par soi même comme mode de preuve, cette preuve est recevable, le principe "nul ne peut se constituer de preuve à soi même" n’a pas vocation à s’appliquer ici. Bien sûr le juge appréciera librement la force probante de cet élément de preuve : ne s’agissant pas d’une preuve littérale, ce n’est pas une preuve parfaite qui lie le juge. Les éléments de preuve confectionnés par celui qui les produits sont toujours empreints d’une certaine suspicion, mais ce n’est pas toujours le cas et le juge a un pouvoir souverain d’appréciation.
Cher Daniel,
Je n’ai pas abordé le débat entre fait juridique et acte juridique compte tenu des objectifs de l’article que vous avez sans doute compris à la fin. Mais cette plateforme de commentaire est l’endroit idéal pour pouvoir aborder ce débat.
Je vous rejoins de votre analyse et la jurisprudence récente (Civ. 2e, 6 mars 2014, n°13-14.295) confirme au visa de l’article 1315 du code civil que "le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même n’est pas applicable à la preuve d’un fait juridique".
Par contre je suis en désaccord avec vous sur le fait que l’Appelant (Club Al Nasr) voulait prouver le montant de son préjudice. Votre analyse est bien trop réductrice du litige porté devant le TAS et la CRL. En effet, l’Appelant considérait qu’il y avait une résiliation sans juste motif du contrat le liant avec Ismaël Bangoura. L’Appelant invoquait alors une clause de résiliation du contrat de travail qui était en réalité "une clause libératoire" stipulant les termes suivants : “[I]n case the player terminated the aforementioned contract by himself for any reason ; he will be entitled to pay to [Al Nasr] (10,000,000) euro and the player is entitled for (10%) from the amount (3,000,000) euro will be paid from [Al Nasr] to the player. Also, in case [Al Nasr] receives more than (10,000,000) euro then the extra amount above (10,000,000) euro will be divided equally between [Al Nasr] and the Player.” Par conséquent, il s’agissait d’un acte juridique qui était à rapporter.
Or, le TAS comme le CRL avant lui, considère que cette clause "is drafted in vague and ambiguous terms", c’est-à-dire qu’il considèrent cette clause rédigée en terme vague et ambiguë au point de ne pas l’appliquer pour la résolution du litige. Nous sommes donc toujours dans le domaine de l’acte juridique.
Ce qui est frappant dans cette décision c’est que le Panel d’arbitre va alors se référer à une offre de transfert faite par le l’Appelant lui-même pour évaluer la valeur financière du joueur, valeur qui va déterminer l’entier préjudice du club. En effet, le TAS considère que l’offre de transfert est un moyen de déterminé "the potential market value of the player".
L’offre de transfert n’a pas été accepté, il ne s’agit donc pas d’un contrat, mais en droit français on peut le qualifier d’avant-contrat. Nous sommes encore dans le domaine de l’acte juridique.