« Nous nous demandons à quelle vitesse nous irions si, au lieu d’une Mercedes, nous possédions une Ferrari », déclarait début 2013 Gian Giacomo Ferraris, administrateur délégué de Versace. La célèbre maison de mode venait alors tout juste de déclarer son intention d’ouvrir son capital et de rompre ainsi avec la culture de l’investissement familial qui l’a toujours accompagné. Des entreprises de toute taille et de toute sorte font aujourd’hui appel à des investisseurs extérieurs pour financer leur projet. Le procédé semble exercer une attraction irrésistible sur les entreprises de France et d’Europe qui y voit un moyen d’accélérer leur développement. Mais il ne faut pas s’y tromper : l’ouverture du capital n’est pas un geste anodin. Avant de se lancer dans l’aventure, mieux prendre la mesure de toutes les implications stratégiques de cette décision, considérer les types d’investisseurs, et garder en tête que les plus gros risques ne se trouvent pas toujours là où on les attend.
En quête du bon partenaire
À la tête d’une entreprise produisant du café et du jus de fruit, Bernard Folliet a par exemple racheté en 2005 le célèbre producteur Tropico, après avoir ouvert son capital aux fonds d’investissement BNP Paribas Développemment et Nexicap. « Je ne vis plus la solitude du chef d’entreprise, car mes partenaires financiers sont là quand j’ai besoin de conseils », déclare ce chef d’entreprise satisfait dont le chiffre d’affaires a décuplé deux fois depuis les années 1980. Pour Bernard Folliet, accueillir un investisseur extérieur s’est avéré une réussite. Il n’est d’ailleurs pas le seul à afficher son contentement.
Certains entrepreneurs nouent des relations très étroites avec leurs investisseurs qu’ils apprécient pour l’efficacité de leur accompagnement. Les dirigeants de Géolid, petite start-up évoluant dans le web marketing, ne cachent ainsi pas leur satisfaction lorsqu’ils évoquent leur relation avec Hi Inov, le fonds d’investissement qui les épaule depuis quelques années maintenant. « Pierre-Henri Dentressangle, qui pilote le fonds, est sur la même longueur d’onde que nous. Il possède une vraie culture entrepreneuriale, on est en cohérence sur la stratégie à mettre en œuvre », déclarent-ils. On comprend l’enthousiasme de ces dirigeants : depuis leur début en 2007, le chiffre d’affaires de leur entreprise a été multiplié par deux chaque année.
Qu’elles en soient au stade de leur lancement, de leur développement et même de leur retournement en cas de difficulté, les entreprises peuvent à tout moment se tourner vers des investisseurs privés afin de trouver des fonds supplémentaires pour financer leurs activités. Mais la satisfaction de ces quelques entreprises ne doit pas faire oublier les risques associés à l’ouverture du capital. L’intérêt de l’entreprise peut ne pas concorder avec celui de l’investisseur, et l’on s’en rend particulièrement compte lorsque ce dernier est un partenaire industriel. Il ne faut en effet pas sous-estimer le risque que représentent les convoitises au sein d’un même secteur d’activité. Les exemples illustrant ce danger ne manquent pas, et l’on en trouve d’ailleurs parmi les fleurons de l’industrie française.
Préserver l’équilibre des intérêts
La Compagnie du Vent, acteur historique du développement de l’énergie éolienne en France, travaillait depuis plusieurs années à son positionnement sur deux appels d’offres lorsqu’elle a ouvert son capital à GDF Suez en 2007. Le grand groupe dirigé par Gérard Mestrallet devait aider La Compagnie du Vent à réaliser la construction d’infrastructures éoliennes offshores au Maroc, à Tarfaya, ainsi qu’en France, dans la zone dite des Deux Côtes situées au large de Dieppe et du Tréport, projets représentant plusieurs milliards d’euros d’investissement. Rapidement toutefois, GDF s’est approprié l’ensemble des études préliminaires réalisées par la Compagnie du Vent et décidait de répondre elle-même aux appels d’offre. La manœuvre, bien qu’étant « en violation du pacte d’actionnaires » d’après les avocats de la Compagnie du Vent, n’a jamais pu être empêchée puisque GDF Suez a finalement confié les projets à d’autres de ses filiales.
Dans un tout autre secteur, Viveo, éditeur français de progiciel français, était racheté en 2010 par le Suisse Temenos dans ce qui s’annonçait comme une démarche de consolidation du marché. Pour Viveo, qui figurait alors dans le top 20 des éditeurs de logiciel français de PricewaterhouseCoopers, l’opération aurait dû être un tremplin vers la croissance. Rapidement toutefois, Temenos ordonne un plan de restructuration pour Viveo et la suppression de 64 postes. L’entreprise française est acculée. Temenos quant à elle est libre de profiter du « très gros portefeuille de clients » que ce rachat lui a apporté, comme l’indique Vincent Gelineau. À l’évidence, des intérêts contradictoires et même concurrentiels vouaient cette collaboration à l’échec.
Lorsqu’une entreprise investit dans une autre, ses motivations sont à replacer en perspective avec ses orientations stratégiques et sa gouvernance. Et ses intérêts peuvent ainsi ne pas concorder avec ceux de l’entreprise qui lui ouvre son capital. Tous les investisseurs privés ne répondent donc pas à une logique aussi évidente que celle des fonds d’investissement qui prêtent de façon ponctuelle de façon en vue de générer un retour sur investissement. Certains profils présentent donc plus de risque que d’autres et c’est la raison pour laquelle la question de l’intérêt et des motivations de l’investisseur doit systématiquement être explorée par une entreprise ouvrant son capital.