Une affaire emblématique.
Alors que cette saga financière hors norme a fait la une de la presse pendant des mois, le pourvoi en cassation qui a donné tort à Jérôme Kerviel en 2021 est cependant passé quasiment inaperçu.
Par ce pourvoi, la Haute cour a confirmé le licenciement prononcé le 12 février 2008 (Initialement qualifié de faute lourde, ce licenciement sera finalement fondé sur une faute grave).
Au-delà de ce cas emblématique de fraude interne et des sanctions prises à l’encontre de Jérôme Kerviel au civil (licenciement), comme au pénal (pour abus de confiance), demeure la question de la responsabilité de l’employeur qui a été largement débattue et commentée par la presse.
Le départ du dirigeant fait débat.
Après la mise à pied conservatoire et le licenciement de Jérôme Kerviel prononcé en février 2008, le Président Directeur Général Daniel Bouton, quant à lui avait ensuite démissionné le 12 mai 2008 de ses fonctions de direction générale.
La gouvernance de la Société Générale est donc modifiée à compter du 13 mai 2008.
Les fonctions de président du conseil et de directeur général sont désormais dissociées. Frédéric Oudéa succède ainsi à Daniel Bouton au poste de Directeur Général. Le conseil d’administration renouvelle malgré tout sa confiance à Daniel Bouton, qui conserve son mandat social. Il lui est ainsi demandé de remettre le groupe sur une trajectoire de rentabilité…
La morale est-elle pour autant sauve ?
Président Directeur Général de 1997 à 2007, il a ainsi rompu unilatéralement son contrat de travail sans pour autant renoncer à son mandat social. Il n’a donc perçu aucune indemnité de départ.
Par ailleurs, le document de référence 2009 [4] mentionne que Daniel Bouton, à la suite de la découverte de la fraude exceptionnelle début 2008, a renoncé à la moitié de sa rémunération fixe pour son mandat de président au titre de 2008 (soit 350 000 euros). Il n’a pas perçu de rémunération variable au titre de 2007 et 2008 ni jetons de présence.
L’éventuel parachute doré évoqué par la presse [5] et tant décrié n’aurait donc finalement pas été perçu. Il n’a en revanche pas renoncé à sa retraite surcomplémentaire. Aucune option ne lui a été accordée au titre de 2008 bien qu’il conserve les options antérieures.
La presse et l’opinion publique, vent debout contre des hypothétiques indemnités de départ ont finalement eu raison d’une issue qui relève davantage de la morale que du droit.
La vindicte populaire n’aura pas lieu.
Cumul contrat de travail et mandat social.
En principe, un mandataire social (titulaire d’un mandat de représentation donné par la société en tant que personne morale), n’a pas la qualité de salarié au sens du droit du travail. La coexistence entre le mandat social et le contrat de travail est néanmoins possible sous conditions :
- Exercer des fonctions techniques distinctes de son mandat social dans le cadre d’un contrat de travail.
- Percevoir une rémunération distincte au titre de ce contrat de travail.
- Être dans un lien de subordination juridique vis-à-vis de son employeur.
Les golden parachutes : le privilège des dirigeants.
Il est fréquent que l’entreprise donne des garanties à des cadres de Haut niveau afin de les attirer puis de les fidéliser. Il est ainsi courant de proposer une clause de pérennité ou « golden parachute » Cette clause prévoit qu’en cas de survenance d’un événement pouvant affecter la pérennité de la relation contractuelle, et ayant pour effet de modifier significativement les fonctions et/ou les responsabilités de l’intéressé, le contrat de travail sera rompu et l’employeur lui versera une somme forfaitaire déterminée par avance. Une telle clause est considérée comme « pénale ». En effet, la clause pénale est celle par laquelle les parties évaluent par avance et forfaitairement les dommages et intérêts résultant de l’inexécution d’un engagement. L’article 1235-1 du Code civil donne néanmoins au juge le pouvoir de modérer une clause pénale si elle est manifestement excessive [6].
Ainsi un parachute doré est une clause contractuelle permettant à un dirigeant de bénéficier d’indemnités supra-légales versées lors d’une éviction autre société ou même lors d’un départ programmé.
Les montants prévus par ces clauses sont parfois étonnants et paraissent disproportionnés. Ils soulèvent des débats quand ils sont révélés par la presse [7].
De telles indemnités sont-elles morales ? Sont-elles légales ?
Difficile de dire si elles sont morales mais elles restent légales.
Le droit n’est pas totalement étranger de la morale même s’ils ne se confondent pas. Alors que la morale est issue de règles individuelles intériorisées, le droit se rapporte au bien commun, il a pour objet d’organiser la vie en société en fixant des règles communes [8].
Dans l’affaire Kerviel qui a beaucoup choqué tant par sa dimension financière qu’éthique et politique, si Daniel Bouton n’avait pas démissionné, le versement d’indemnités supra légales était permis par le droit. Peut-être moins par la morale et le sens de l’éthique, alors attendu par un contexte politique tendu suite à la crise financière des subprimes [9].
Les chiffres peuvent heurter. Les membres du conseil d’administration de la société générale ont été contraints de prendre une décision et peut-être que la morale parle pour eux mais il convient de rappeler que l’employeur n’a fait que respecter ses engagements contractuels.
Dans les affaires politico-financières le droit et la morale sont souvent confondus par l’opinion [10].