Pourquoi la Cour de Cassation doit se prononcer sur le forfait-jour.

Par Alain-Christian Monkam, Avocat

1981 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # forfait-jour # heures supplémentaires # temps de travail # droit du travail européen

Les travaillistes attendent frénétiquement la décision de la Cour de Cassation, qui devrait intervenir dans les jours prochains, sur le régime du forfait-jour. Contrairement à ce que plaide l’excellent syndicat Avosial , il convient que la Cour de Cassation décide de se prononcer une fois pour toute sur cette question.

-

En effet, le silence de la juridiction suprême ne ferait que rajouter de l’insécurité juridique sur l’avenir d’un régime dont chacun sait pertinemment qu’en raison de certains abus observés, il est très contesté de toutes parts, notamment au regard des normes Européennes (Charte Sociale Européenne, Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne).

1- Si légitimes que soient les craintes des entreprises en matière d’annulation du forfait-jour, les conséquences ne seraient pas aussi dramatiques que le prétendent certains groupes de pression.

A- Il est dit qu’en cas d’annulation du forfait-jour, les entreprises pourraient craindre des déclenchements intempestifs de contentieux individuels en paiement d’heures supplémentaires. Toutefois, il ne suffit pas au salarié de prétendre qu’il a effectué des heures supplémentaires pour qu’elles soient dues :

• Il résulte de l’article L. 3171-4 du Code du travail qu’en cas de litige sur le paiement des heures, le salarié (tout comme l’employeur) doit fournir « les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés ». A cet égard, au terme de l’article L. 3121-43 du Code du travail, le forfait-jour s’adressait aux cadres et aux salariés qui « disposent d’une autonomie dans l’organisation dans leur emploi du temps », c’est-à-dire aux salariés dont le temps de travail n’est pas par définition décompté. Un salarié se lançant opportunément dans un contentieux de rappel d’heures supplémentaires risquerait de se heurter à un problème de preuve.

• La jurisprudence traditionnelle indique que les heures supplémentaires doivent être effectuées à la demande de l’employeur, à tout le moins avec son accord tacite (Cass. soc. 30 mars 1994, n ° 90-43.246). En conséquence, comment pourrait-on soutenir que l’employeur a demandé des heures supplémentaires à un salarié qui était « autonome » dans la gestion de son temps au titre d’un régime de forfait-jour, même annulé ?


B-
Il est également annoncé qu’en cas d’annulation du forfait-jour, les entreprises pourraient encourir des poursuites pénales pour travail dissimulé. Toutefois, il résulte de l’article 121-3 du Code pénal « qu’il n’y a point de crime et de délit sans intention de le commettre ». Or, les heures supplémentaires étant inexistantes sous le régime du forfait-jour, l’accusation rétrospective des employeurs d’avoir voulu « dissimuler » des heures supplémentaires n’aurait pas de sens juridique, faute d’élément intentionnel. En d’autres termes, comment un employeur aurait-il voulu ce qui n’existait pas ?....


2-
A mon sens, le régime du forfait-jour ne résistera pas au temps, tant la position de la France apparaît isolée en Europe. Le régime de forfait-jour ne trouve d’ailleurs aucune traduction satisfaisante en langue anglaise, ce qui démontre l’originalité du système français. En conséquence, le véritable débat doit désormais porter sur les solutions possibles que le législateur français devra rapidement imaginer en matière de temps de travail des cadres..

Une solution pourrait s’inspirer du droit du travail anglais (une fois de plus…) qui limite le temps de travail des salariés à 48 heures par semaine, et ce, en application des directives européennes n° 93/104/CE du 23 novembre 1993 et n° 2000/34/CE, du 22 juin 2000 (codifiées par la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003). Toutefois, les statutory instruments (règlements) laissent la possibilité au salarié qui le souhaite de déroger ("to opt-out") à cette limite de 48 heures hebdomadaires dans un sens supérieure (Working Time Regulations 1998, regs 4(1) and 5).

Clause de "opt-out" mise à part, le droit du travail français pourrait aboutir à un résultat semblable par l’usage des conventions de forfait annuel en heures prévues par l’article L. 3121-42 du Code du travail. De telles conventions permettent au salarié d’accomplir un nombre forfaitaire d’heures de travail dans l’année moyennant une rémunération mensuelle convenue à l’avance. Pour améliorer l’efficacité économique de ces forfaits heures, il conviendrait que le législateur prévoit que les heures supplémentaires prévues à l’intérieur de ces forfaits ne bénéficient plus des majorations légales (comme énoncé par l’article L. 3121-41 du Code travail) mais qu’elles soient rémunérées en heures normales.

Nous sortirions ainsi honorablement du débat sur le forfait-jour, qui courre à son épilogue…exigences européennes obligent !

Alain-Christian Monkam
Employment Solicitor et Avocat - Londres/Paris
https://monkam.uk/

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

2 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27877 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs