Prescription du crédit immobilier : la Cour de cassation fait la girouette.

Par François Deat, Avocat.

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Explorer : # prescription # crédit immobilier # déchéance du terme # clause abusive

Un an et demi après avoir jugé que les prêts immobiliers se prescrivaient à partir du premier incident de paiement non régularisé, la première chambre de la Cour de cassation revient sur sa position et considère désormais que le point de départ de la prescription court à compter de la déchéance du terme.

Plus précisément, elle opère une distinction entre chaque fraction de la dette selon leur date d’exigibilité.

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L’arrêt du 10 juillet 2014 [1] qui avait simplifié la détermination du point de départ de la prescription par emprunt à la forclusion biennale propre au crédit à la consommation avait suscité de vives critiques chez ses commentateurs [2].

Par quatre arrêts voués à une très larges diffusion (Civ. 1re, 11 févr. 2016, FS-P+B+R+I, n° 14-22.938, Civ. 1re, 11 févr. 2016, FS-P+B+R+I, n° 14-28.383, Civ. 1re, 11 févr. 2016, FS-P+B+R+I, n° 14-27.143, Civ. 1re, 11 févr. 2016, FS-P+B+R+I, n° 14-29.539), la première chambre a entendu ses critiques et opté pour une solution plus orthodoxe mais également plus complexe.

I. La prescription des créances à termes successifs

Parmi les reproches adressés à la Haute juridiction, il était regretté que les dispositions de l’article 2233 du Code civil, qui prévoient que la prescription d’une créance à terme commence à courir à compter du terme, aient été totalement éludées de son raisonnement.

Ainsi, la jurisprudence ancienne aboutissait à une extinction totale d’une créance dont une fraction seulement était arrivée à terme. Le banquier pouvait ainsi voir ses droits se prescrire sans même avoir prononcé la déchéance du terme du capital restant dû.

En jugeant « qu’à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance », la première chambre a tiré toutes les conséquence des dispositions évoquées.

En pratique, la prescription frappera les échéances impayées les unes après les autres, dans un délai de deux ans à compter de leur exigibilité respective, et le capital restant dû ne sera atteint par la prescription qu’à la condition que le prêteur en ait prononcé l’exigibilité anticipée et dans un délai de deux ans suivant ce terme provoqué.

Ces quatre décisions s’exposent cependant à une autre critique : la trop grande discrétion laissée au prêteur quant au choix du point de départ du délai de prescription.

II. Le banquier, maître de la prescription

La plupart des contrats de prêt immobilier prévoient qu’en cas de survenance d’un certain nombre d’événements (au premier rang desquels, la défaillance de l’emprunteur), le prêteur aura la faculté de prononcer l’exigibilité anticipée, encore appelée déchéance du terme.

L’épée de Damoclès qui est en suspens au dessus de la tête de l’emprunteur défaillant est tenue par la main du prêteur, qui choisira le moment de sa chute. Certains y on vu un déséquilibre dans l’économie contractuelle et même une clause abusive.

On fera surtout remarquer qu’un tel mécanisme permet de contourner les dispositions de l’article L. 137-1 du Code de la consommation qui prévoient que « les parties au contrat entre un professionnel et un consommateur ne peuvent, même d’un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de celle-ci ».

Si en effet, le délai de prescription n’est pas modifié par le contrat de prêt, son cours en revanche en est différé par le mécanisme conventionnel de déchéance du terme de sorte qu’on peut y voir une entrave aux dispositions d’ordre public qui viennent d’être évoquées.

L’intervention du législateur à quelques semaines de la date butoir de transposition de la directive 2014/17/UE du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel, serait la bienvenue sur ce point.

François DEAT
Avocat au Barreau de Bordeaux

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Notes de l'article:

[1Civ. 1re, 10 juill. 2014, n°13-15.511

[2MIGNOT Marc, Une hybridation contestable : le point de départ de la forclusion greffé sur la prescription, in L’ESSENTIEL DROIT BANCAIRE, p.1, n°9 octobre 2014

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 18 juillet 2018 à 06:48
    par Jjfge , Le 1er décembre 2017 à 17:58

    Informations très intéressantes que l on ne retrouve pas toujours dans d autres cabinet
    d avocats
    Merci

    • par AN.AB , Le 1er juillet 2018 à 18:53

      Bonjour
      En 2007 on a on contracter un pret immob pour construire notre residence principale le TEG du pret est de 5,47. Entre 2012 et 2016 on a eu des difficultés financiéres ci qui a causé le non paiement de qlq echéances mais pas consécutivement .La dette au cours de ces 4 années variées entre 4000 et 6000, il y avait plusieurs reglement a l’amiable jusqu’au Mai 2017 quand l’etablissement préteur a refuser d’encaisser 2 mandats cash d’une valeur de 1200 EURO les 2 mandats m’ont été renvoyé le moi de juillet.En Septembre 2017 un Huissier de justice m’a envoyé une saisie d’attribution,on trouvés un arangement de 300EURO par moi pour une dette de 6200 EURO tout compris ;le moi octobre j’ai eu un retard pour les 300EURO un autre Huissier de justisse qui a remplacé le premier qui est parti a la retraite ,à fait une saisie d’attribution sur mon compte en novembre pour la somme de 5000EURO.Entre les 4 verssement de 300EURO et les 5000 je me suis dit que la dette est presque regler,mais en juillet je recois de l’etablissement preteurs une dechéance de terme est il me reclame la totalité de ce qui reste soit 150 OOOEURO.
      PS:Pendant les deux ans precedents je payé mes échanciers de pret chaque moi en plus de la dette.
      Veuillez m’éclaircire pour cette situation et mes droits

    • par PICOT , Le 18 juillet 2018 à 06:48

      Ayant contracte" un pret dont la derniere echeance etait en 2008, suite à une maladie, l assurance avait pris le relais pour le paiement des echeances. A ce sujet, ni la banque ni la société d assurance ne m ont plus jamais contacté et la banque n a jamais intenté d action contre moi. Devant faire une donation de ce bien, ma question est : estce que le notaire doit trnir compte de ce qui tomberait semble t il sous le coup d une forclusion biennale, ou alors comment cela risque t il de se passer ? Merci pour votre reponsese

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