La notion de relation commerciale établie est plus économique que juridique. La jurisprudence prend notamment en considération la durée des relations, leur stabilité et leur intensité. En tout état de cause, le caractère « établi » des relations n’a pas lieu d’être si la relation est inférieure à 18 mois.
La notion de « rupture brutale » a été définie par les juges. En 1999, la Cour d’Appel de Montpellier considérait que « la rupture, pour être préjudiciable et ouvrir droit à des dommages et intérêts, doit être brutale, c’est-à-dire, selon le droit commun, « imprévisible, soudaine et violente » (Cour d’Appel de Montpellier 11 août 1999).
Concrètement, il convient de laisser le temps au cocontractant de se tourner vers d’autres partenaires, pour ce faire, il est donc nécessaire de l’informer plusieurs mois à l’avance de la fin du courant d’affaires.
DUREE DU PREAVIS
La durée du préavis dépend selon les dispositions de l’article L442-6-5° du Code de Commerce de la durée des relations commerciales ou des usages du commerce.
La durée du préavis, à défaut d’usage, d’accord interprofessionnel ou d’arrêté ministériel, doit être appréciée en fonction de la nature de la relation et de sa durée (Cour d’Appel de Lyon 8 janvier 2009).
La Cour de Cassation a admis le caractère brutal de la rupture des relations commerciales lorsqu’une société concédante n’avait informé son contractant que quelques jours seulement avant la présentation d’une collection de vêtements d’été que celle-ci ne lui serait pas confiée (Cour de Cassation 8 avril 1986).
La Cour d’Appel de Versailles a considéré qu’au terme de 18 ans de relations contractuelles, le préavis de 3 mois était manifestement insuffisant, « celui qui aurait dû être accordé » a été fixé à 1 an. Dans cette affaire, l’auteur de la rupture a été condamné à 300 000 euros de dommages et intérêts (CA Versailles, 12ème ch., 14 octobre 2004).
La Cour d’Appel de Lyon a jugé qu’un fabricant de vêtements qui fournissait un distributeur depuis une dizaine d’années aurait dû lui adresser un préavis écrit qui, compte tenu de la durée de leurs relations commerciales (15 ans) aurait dû être d’un an au moins (CA Lyon 15 mars 2002).
La rupture brutale peut également résulter du comportement ambigu de l’auteur de la rupture.
Selon la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation, constitue une faute la rupture d’une relation commerciale, lorsque l’auteur de la rupture a laissé croire à son partenaire la poursuite de relations normales, alors qu’il avait d’ores et déjà contracté avec un autre fournisseur (Cour de Cassation 28 février 1995).
La Cour d’Appel de Versailles a estimé que le fait de ne pas s’enquérir de l’importance des stocks résiduels du fournisseur, ainsi que la dissimulation du changement de fournisseur étaient constitutifs d’un comportement fautif de nature à engager la responsabilité du vendeur ayant interrompu brusquement les relations commerciales (CA Versailles 19 septembre 2002).
La Cour d’Appel d’Amiens a considéré que la rupture était brutale, voire inattendue, du fait que le chiffre d’affaires réalisé par la victime de la rupture était en progression constante depuis 10 ans (Cour d’Appel d’Amiens 30 novembre 2001).
MOTIVATION DE LA RUPTURE
Est-il obligatoire d’exposer les motifs de rupture dans la lettre de résiliation des relations commerciales ? La jurisprudence considère que l’auteur de la rupture n’a pas à motiver sa décision de rompre les relations commerciales si cette rupture respecte les principes précités, c’est-à-dire un préavis raisonnable.
En revanche, si la rupture doit être brutale en raison d’une mauvaise exécution du contrat ou de son inexécution, la jurisprudence oblige l’auteur de la rupture à motiver sa décision.
En cas de force majeure plaçant l’auteur de la rupture dans une situation telle qu’il ne peut faire autrement que de rompre brutalement les relations existantes, la lettre de rupture doit également être motivée.
CONDAMNATION DE LA RUPTURE
La reconnaissance du caractère brutal de la rupture par les Tribunaux entraîne la condamnation de son auteur au versement de dommages et intérêts qui ont pour objet de réparer le préjudice subi par le partenaire commercial, celui-ci ayant été privé d’un chiffre d’affaires généré par la poursuite des relations commerciales.
L’indemnisation couvre uniquement le préjudice entrainé par le caractère brutal de la rupture. En justice, le demandeur devra présenter des preuves des conséquences négatives de la brutalité de la rupture afin de justifier de son dommage. Le préjudice commercial sera apprécié en fonction de la marge bénéficiaire brute à laquelle la partie cocontractante aurait pu prétendre pendant la durée du préavis si cette rupture n’était pas intervenue brutalement.
L’indemnisation peut également tenir compte des pertes d’exploitation, de la désorganisation de la production, d’investissements inutiles, de la perte de stocks, de la perte d’image, de licenciements économiques...
Les acteurs économiques doivent donc veiller à ne pas mettre leurs partenaires commerciaux dans une situation économiquement dommageable. Inutile de préciser que plus les parties auront prévu des écrits entre elles, plus les revendications d’abus pourront être justement indemnisées.
Corinne Champagner Katz
Spécialiste en propriété intellectuelle
Avocat au Barreau de Paris
Et Charlotte Galichet
Avocat Collaborateur
CCK Avocats
www.champagnerkatz.com