Certains destins ne se scellent jamais.
La justice sud-africaine vient de condamner en octobre 2014 Oscar Pistorius à cinq de prison pour le meurtre de sa petite amie, Reeva Steenkamp. Bien avant, le Tribunal Arbitral du Sport de Lausanne lui avait permis de continuer sa carrière d’athlète au surnom de Blade Runner.
Pour comprendre la sentence du Tribunal Arbitral de Lausanne, unique, un véritable cas d’espèce, il faut se projeter dans le passé.
Né en 1986 avec une agénésie des fibulas (péronés), -une absence des fibulas - la carrière olympique de Pistorius semblait improbable.
A son extrémité basse le tibia et le fibula forment la fourche malléolaire qui elle-même forme, avec le pied, l’articulation de la cheville. S’il n’y a pas de fibula, le pied ne peut être maintenu par la fourche malléolaire et les ligaments responsables de la flexion. Une agénésie des fibulas ne permet pas de marcher.
Oscar Pistorius est amputé sous les genoux à l’âge de 11 mois.
Des prothèses lui permettent alors de marcher, de courir, d’avoir une vie normale. Pistorius avant de se lancer dans l’athlétisme en 2004, pratique le rugby, le tennis, le water polo.
Un sportif accompli.
Oscar Pistorius had never thought of himself as being disabled.
Puis un jour, les prothèses Cheetah Flex Foot, sont commercialisées. Fabriquées par Ossür, une société spécialisée islandaise. Des prothèses en forme de lame, d’un seul tenant. Sans articulation. En fibre de carbone. Des feuilles de fibre de carbone imprégnées de résine. Collées. Moulées. Des crampons.
Les prothèses Cheetah feront Blade Runner.
A partir de 2004, Oscar Pistorius enchaîne les victoires aux jeux para-olympiques mais aussi dans les compétitions avec les athlètes valides. Car la toute puissante International Association of Athletics Federation invite Pistorius, faisant fi de son handicap et le considérant de facto comme un athlète valide. Il gagne notamment un 100 mètres avec les valides en 11 secondes 51. En 2007, il court le 400 mètres en 46,56 secondes.
Pistorius, le Blade Runner des pistes, suscite admiration mais aussi interrogation, étonnement, stupeur.
Le 13 juillet 2007, la course à Rome de Pistorius est filmée. Analysée. Le démarrage de Pistorius est lent. Utiliser des starting blocks avec les Cheetah n’est pas aisé, négocier les virages non plus. Mais ses accélérations à la fin du 100 mètres, sèment le trouble.
Faster over the back straight.
Le constat est simple. Un athlète handicapé et appareillé court plus vite que les athlètes valides.
Ses prothèses ?
Le 26 mars 2007, l’International Association of Athletics Federation, (IAAF) lors d’une réunion à Monbassa au Kenya, modifie son règlement.
Rien n’est hasard dans le monde du droit du sport.
La fameuse règle 144-2 (e) du règlement de l’IAAF devient States that for the purpose of the rule, the following shall be considered assistance and are therefore not allowed, use of any technical device that incorporate springs, wheels, or any other element that provides the user with an advantage over another athlete not using such a device.
L’utilisation de tout dispositif technique incluant des ressorts, des rouages ou tout autre élément qui confère un avantage à un athlète par rapport à celui qui n’en utilise pas est interdite.
L’IAAF ne peut exclure Pistorius de la catégorie des athlètes valides sans un rapport d’expertise.
Le professeur Peter Bruggeman, de l’Institut de biomécanique et d’orthopédie de l’université de Cologne, a la mission de dire si le port des prothèses Cheetah Fox avantage Pistorius. Un protocole de tests, de consommation d’oxygène, de contrôle du lactate, d’exercices, de coupes en 3 D du corps, est mis en place.
La conclusion du professeur Bruggeman dit que les prothèses avantagent Pistorius. Sa locomotion bondissante est liée à un moindre coût métabolique.
Le 14 janvier 2008, l’IAAF Council rend sa décision.
The IAAF Council issued a decision which included the following finding a running with these prostheses requires a less-important vertical movement associated with a losser mechanical effort to raise the body and the energy loss resulting from the use of these protheses is significantly lower that resulting from a human ankle joint at a maximal sprint speed.
En résumé, Oscar Pistorius, muni de ses prothèses, bénéficie d’un avantage technique, prohibé par la règle 144-2 (e) du règlement de l’IAAF, modifié le 26 mars 2007. Les prothèses Cheetah sont considérées comme un dopage technologique.
L’IAAF lui intime de revenir dans la catégorie des athlètes handicapés.
Pistorius était-il toléré chez les athlètes valides tant que ses performances étaient inférieures à celles de ces derniers ?
Qu’est-ce qui, chez cet homme, de son squelette, de ses muscles, de ses capacités cognitives, de ses capacités d’adaptation, de ses prothèses, font qu’il est devenu meilleur que les athlètes valides et peut-être une menace ?
Un homme ou une femme, ne se considérant pas comme handicapé, (ne souffrant pas d’anosognosie), est-il en droit de refuser tout statut d’handicapé ?
Le 13 février 2008, Pistorius fait appel devant le Tribunal Arbitral du Sport de Lausanne de la décision N°2008/01 du 14 janvier 2008 de l’IAAF, conformément à l’article 60-25 du règlement.
Le Tribunal Arbitral du Sport de Lausanne est une juridiction spécialisée, indépendante, créée en 1984. Placée sous l’autorité du Conseil International de l’Arbitrage en matière de sport. (CIAS).
Le TAS, outre la mise en place de chambres ad hoc traitant les contentieux issus de manifestations sportives ponctuelles, comme les JO, prévoit dans son règlement des procédures d’arbitrage ordinaire, des procédures d’arbitrage d’appel, des procédures consultatives, des procédures de médiations.
Le tribunal est composé du Président Martin Hunter, un ancien avocat britannique du cabinet Frehfields, de David W. Rivkin, un avocat américain du cabinet Debevoise and Pimpton, et de Jean-Philippe Rochat, un avocat suisse du cabinet Carrard.
Trois spécialistes internationaux, reconnus, respectés, de l’arbitrage.
Rochat a déjà assumé des fonctions au sein du TAS.
4 General Hearings dans l’argumentation de Pistorius :
Did the IAAF Council exceed its jurisdiction in taking the IAAF decision ?
Cette première contestation sera abandonnée.
Was the process lending to the IAAF decision procedurally unsound ?
La régularité de la procédure.
Was the IAAF decision unlawfully discriminatory ?
La discrimination.
Was the IAAF decision wrong in determine that Pistorius use of the Cheetah Flex Foot device controverses Rule 144.2 (e) ?
L’avantage technique.
Une bataille d’experts commence. Car pour arbitrer les juges n’ont aucune connaissance médicale ou technique. L’Allemand Bruggemann pour l’IAAF, des spécialistes américains de Houston pour Pistorius, s’affrontent.
Une décision de l’IAAF discriminatoire ? La convention sur les droits des handicapés signée le 13 décembre 2006 applicable trente jours après la vingtième ratification le 3 mai 2008 est inapplicable. L’IAAF a son siège à Monaco et Monaco n’a pas ratifié la convention.
Un pré-jugement ? Les officiels de l’IAAF ont en effet informé la presse avant même le prononcé de la décision. Les abstentions des membres de son comité ont été considérées comme des votes positifs. Des anomalies procédurales certaines.
Alors violation de l’article 144-2 (e) ou absence de violation ?
La taille minimale des prothèses est calculée grâce à une formule mathématique. Fondée sur la longueur de l’avant bras du sportif et par rapport à la distance qui sépare le sternum de l’extrémité des moignons. Le résultat est majoré de 3,5 %.
Pistorius n’est pas un homme bionique.
Ses prothèses n’ont ni capteurs, ni microprocesseurs ni moteurs. De simples lames dont l’usage et le contrôle dues à un entraînement, permettent la performance.
Ces dites performances de Pistorius font qu’on oublie la fonction inhérente d’une prothèse. Une prothèse répare. Compense. Se substitue. Une prothèse a une fonction organique et fonctionnelle, Rééquilibre un corps. Améliore les capacités cognitives. Fait progresser. Fait vivre.
Les prothèses de Pistorius sont au contraire analysées comme un moyen d’extension des capacités humaines.
Mais des jambes prothétiques doivent-elles être considérées comme thérapeutiques si elles permettent une forme de retour à une normalité et mélioratives si elles permettent d’aller au-delà ?
En application de quel texte juridique, à partir de quel seuil, de quelle nature, de quel degré, dans quel contexte, sur quel individu, une réparation n’est plus restauratrice mais discriminative, susceptible de créer un préjudice à autrui, de violer le principe d’égalité ?
Pistorius n’est pas un surhomme.
Un temps de contact au sol dit ordinaire. Un temps de vol légèrement inférieur à la moyenne tout comme sa longueur de foulée, mesurée à 2m27 à Cologne et lors du meeting de Rome entre les 100 et 200 mètres. Bien loin des foulées de Johnson (2m40) ou de Wariner (2m51).
L’équipe d’experts de l’IAAF teste le niveau de force verticale utilisée lors du sprint, en plus de l’énergie métabolique dépensée. Comment l’énergie se répartit-elle dans le corps ? Les Cheetahs l’augmentent-elle ? Le bassin de l’athlète fournit 80 % de l’énergie. Celle-ci est stockée dans le corps de la lame. Projetée dans son extrémité lorsque le coureur s’élance.
Les experts comparent la consommation d’oxygène de Pistorius avec celle des athlètes valides. Son niveau de fatigue. Sa perte d’énergie due à l’usage des prothèses. Comparée à des jambes normales.
Quelle règle juridique et quelle nomenclature d’expertise sont susceptibles de comparer des jambes prothétiques à des jambes normales ?
En toile de fond, le débat porte sur l’utilisation des biotechnologies susceptibles d’altérer la nature anthropologique des athlètes. Le corps pré-cybernétique de Pistorius crée une inégalité.
Initialement un obstacle à une vie normale, générant une infériorité sociale et physique, le corps de Pistorius traduit tout au contraire une supériorité discriminant les athlètes valides.
Pistorius n’est pas adepte du transhumanisme prônant une incursion du technologique dans l’évolution biologique de l’espèce humaine afin d’émanciper le corps des contraintes naturelles ou un adepte du bioconservatisme.
Nul militantisme particulier de sa part pour le Human Enhancement, désignant l’amélioration technique des performances humaines aussi bien physiques, intellectuelles qu’émotionnelles.
Pistorius plaide sa normalité.
Le 16 mai 2008, la sentence est rendue. L’IAAF n’apportant pas la preuve que Pistorius bénéficie d’un avantage technique, sa décision attaquée est annulée.
There is no sufficient evidence of any metabolic advantage.
The IAAF has failed to satisfy the burden of proof. Pistorius’appeal must be upheld. The consequence of this ruling by the panel is that the IAAF Council ‘s decision 2008/01 of 14 january 2008, is revoked with immediate effects and Pistorius is currently eligible to compete in IAAF sanctioned events.
It is not a general licence to use any further developments of the Cheetah Flee Foot that might be found to provide him with an overall net advantage.
Le Tribunal Arbitral du Sport de Lausanne se montre très prudent. Il n’exclut pas que dans le futur, l’IAAF puisse apporter la preuve que les prothèses avantagent Pistorius.
La décision du Tribunal précise aussi que sa sentence concerne exclusivement le type de prothèses portées par Pistorius.
Alors que faire lorsque les prothèses seront améliorées ?
Et qu’un athlète appareillé avec une prothèse combinant toutes les avancées technologiques sollicitera encore l’égalité avec les athlètes valides ?
La carrière de Pistorius est interrompue, temporairement ou définitivement, nul ne sait, mais le débat sur les athlètes appareillés de prothèses, revendiquant juridiquement leur validité et leur égalité avec les athlètes valides va continuer, compte tenu des progrès de la médecine et des biotechnologies.
Discussion en cours :
Effectivement le "cas Pistorius" pose beaucoup de questions sur la capacité d’amélioration de ces dernières dans le sport. Mais cela pose aussi la question qui consiste à sur-compenser un handicap par la technologie. Tout simplement l’utilisation de Google Glass ou de logiciels de résolution de problèmes mathématiques portent en germe l’utilisation de moyens permettant de réagir plus vite ou de "dépasser" l’humain dans des examens par exemple....