Amaury Lenoir, porte-drapeau de la médiation au sein de la Justice administrative.

Amaury Lenoir, porte-drapeau de la médiation au sein de la Justice administrative.

Interview de Amaury Lenoir réalisée par Nathalie Hantz, Rédaction du Village de la Justice

2023 semble clairement être l’année d’un nouvel élan pour "l’amiable", cette alternative à la voie contentieuse prévue par les différents codes de procédure pour régler les litiges. Du côté des juridictions judiciaires, c’est l’entrée en vigueur de deux nouvelles procédures (l’Audience de règlement amiable et la césure du procès), et la nomination de neuf ambassadeurs de l’amiable qui ont permis ce "second souffle". Quid du côté des juridictions de l’ordre administratif  ? Le Village de la Justice a questionné à ce sujet Amaury Lenoir, Délégué national à la médiation pour les juridictions administratives depuis 2020, et qui siège au conseil national de la médiation depuis 2023 [1].

-

Village de la Justice : En quoi consiste votre mission de Délégué national à la médiation pour les juridictions administratives ?

Amaury Lenoir : « Sous l’autorité directe de Madame Cécile Nissen, secrétaire générale adjointe du Conseil d’Etat chargée des juridictions administratives et du numérique, j’assure notamment les missions suivantes :

  • Conseiller et accompagner les juridictions administratives dans leurs actions de développement de la médiation ;
  • Animer et coordonner le réseau national des référents médiations des juridictions administratives ainsi que le comité « Justice administrative et médiation » ;
  • Dynamiser et renforcer la collaboration entre la juridiction administrative et les différentes entités concernées par la médiation administrative et juridictionnelle ;
  • Faire toute proposition d’évolution législative, règlementaire, opérationnelle ou organisationnelle nécessaire au développement de la médiation administrative, notamment en phase juridictionnelle ;
  • Contribuer au renforcement de l’offre de formation à la médiation administrative aussi bien en interne qu’en externe (universités, centres de formation, etc.) ;
  • Promouvoir et soutenir les initiatives de communication susceptibles de développer les modes amiables de résolution des litiges et en particulier la médiation ;
  • Siéger au conseil national de la médiation comme représentant des juridictions administrative. »

"Contrairement à ce qui existe pour les juridictions judiciaires, les juridictions administratives n’ont pas la possibilité d’avoir recours aux autres MARD."

V.J : Vous êtes délégué national à la médiation : quid des autres MARD ?

A.L : « À ce jour, les juridictions administratives ne sont concernées que par la médiation, même si certains processus de médiation ordonnés par le juge administratif, en phase précontentieuse [2] comme en phase contentieuse [3], peuvent parfois s’apparenter à de la conciliation. À cet égard, le législateur n’a pas souhaité faire le distinguo entre ces deux processus, au demeurant assez proches, dans la définition donnée à la médiation à l’article L.213-1 du Code de Justice Administrative (CJA).

Contrairement à ce qui existe pour les juridictions judiciaires, les juridictions administratives n’ont pas la possibilité d’avoir recours aux autres MARD, notamment à la procédure participative [4] et aux deux procédures récemment mises en place dans le code de procédure civile : l’audience de règlement amiable et la césure du procès. Cela viendra peut-être dans un second temps. »

V.J : L’amiable « prend-il » plus dans les juridictions administratives que dans les juridictions de l’ordre judiciaire ? Dans l’affirmative, quelle en est la raison ? 

A.L : « L’amiable existe depuis 1995 dans les juridictions judiciaires alors qu’il n’est apparu que très récemment dans les juridictions administratives, à la faveur de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21ème siècle. Nous avions donc quasiment « une génération » de retard sur nos collègues du judiciaire.

Toutefois, force est de constater que les juridictions administratives se sont rapidement et efficacement appropriées « l’esprit et l’outil » de la médiation, sous l’impulsion du Conseil d’État, et que le retard a été largement absorbé.

Les juridictions administratives se sont rapidement et efficacement appropriées « l’esprit et l’outil » de la médiation.

Beaucoup de choses ont ainsi été pensées, expérimentées et développées au cours de ses six dernières années, permettant notamment aux juridictions administratives d’atteindre dès 2021 l’objectif initialement fixé par le vice-président du Conseil d’État : le « 1% médiation » (1% des affaires enregistrées doivent être effectivement réorientées vers la médiation). Depuis, ce sont plus de 2 000 médiations qui sont annuellement ordonnées par le juge administratif, pour plus de 5 000 affaires proposées à la médiation. Au-delà des chiffres, une « charte éthique des médiateurs dans les litiges administratifs » a été élaborée et rendue publique en 2017.

De nombreuses conventions de médiation ont aussi été conclues avec les barreaux, certaines administrations ou collectivités ou encore avec des centres et associations de médiation. Un « manuel du référent médiation », clarifiant les principaux points de doctrine et de procédure en la matière a été élaboré en 2021 et diffusé en interne à l’ensemble des juridictions.
Des notes thématiques ont également été élaborées de manière collaborative avec des partenaires clés, puis largement diffusées. Des sessions de formation, initiale et continue, sont régulièrement organisées à destination des magistrats et agents par le centre de formation de la juridiction administrative (CFJA).
Des opérations de communication sont régulièrement assurées, aux quatre coins du pays, afin de développer l’acculturation médiation parmi les acteurs des litiges administratifs.
Enfin, des expérimentations locales et nationales ont été menées, pour certaines avec beaucoup de succès à l’instar de l’expérimentation de médiation préalable obligatoire [5].

Ces dernières années, à la lumière des avancées et réussites enregistrées et grâce à la forte mobilisation de leurs référents médiation et de leur délégué national à la médiation, les juridictions administratives ont souvent été citées en exemple et félicitées. Toutefois, force est de constater que les juridictions judiciaires ont accompli de grandes avancées ces derniers mois, sous l’impulsion du Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Monsieur Dupond-Moretti : l’avènement de nouvelles procédures (ARA et césure du procès), la création du conseil national de la médiation, la nomination de neuf « ambassadeurs de l’amiable », les nombreuses actions d’information et de promotion autour des MARD, un cycle de conférences MARD au sein des Cours d’Appel, etc.
Les juridictions administratives y sont très attentives tant ces évolutions sont sources de motivation et d’inspiration pour nous. Ce nouvel élan qui anime nos collègues du judiciaire sera, j’en suis convaincu, repris et prolongé par et au sein des juridictions administratives. »

« Ce nouvel élan qui anime nos collègues du judiciaire sera, j’en suis convaincu, repris et prolongé par et au sein des juridictions administratives. »

V.J : Vous avez évoqué les ambassadeurs de l’amiable : Serait-il souhaitable qu’un groupe identique soit créé pour l’ordre administratif ?

A.L : Il convient de saluer l’utilité et la pertinence de ce dispositif et les contributions volontaires, voire bénévoles, de ces neuf ambassadeurs acquis à la cause. C’est une chance pour les juridictions judiciaires. C’est aussi et surtout une chance pour les justiciables et plus largement, pour notre société.

À ce jour, ces ambassadeurs de l’amiable ne sont pas impliqués, directement du moins, dans le dispositif médiation des juridictions administratives. La tâche qui est la leur, déjà lourde et ambitieuse, souffrirait très certainement d’un tel élargissement. Au demeurant, les juridictions administratives assurent déjà, depuis 2016, de nombreuses actions de promotion et d’acculturation de la médiation dans les différentes sphères et strates concernées : magistrats et agents des juridictions, professionnels du droit et de la médiation, administrations et collectivités, universités, etc.

Ces actions sont souvent portées par les référents médiation des juridictions administratives, par certains chefs de juridictions, magistrats et greffiers, accompagnés d’avocats publicistes et de médiateurs administratifs, libéraux et institutionnels. Là aussi, il y a lieu de saluer tout le travail accompli par ces derniers, de manière volontaire et souvent bénévole. Pour l’heure, il ne me semble pas nécessaire d’envisager que des ambassadeurs de l’amiable soient également nommés et missionnés pour promouvoir et encourager le développement de l’amiable dans la sphère administrative. Cela le sera sûrement lorsque de nouvelles procédures, de nouveaux dispositifs, de nouveaux moyens et de nouveaux objectifs MARD seront prévus pour les litiges administratifs en phase juridictionnelle. »

V.J : Quelles « innovations » et changements souhaiteriez-vous mettre en place pour faire progresser l’amiable et notamment la médiation ? 

A.L : « Plusieurs » leviers de développement ont déjà été identifiés, mais deux d’entre eux me semblent essentiels :

  • Le premier levier consisterait à élaborer et à promouvoir, voire à imposer, une politique plus favorable à la médiation au sein des administrations et des collectivités. Il s’agirait en outre de développer, multiplier voire généraliser les dispositifs de médiation institutionnelle et territoriale et en parallèle, de prévoir pour toutes les administrations et collectivités des lignes directrices claires en matière de médiation, des budgets dédiés mais aussi, à l’instar des juridictions administratives, des « objectifs médiation ».

Aujourd’hui, la plupart des refus opposés aux propositions de médiation faites par les juridictions administratives sont le fait d’administrations ou de collectivités qui ne perçoivent pas toujours l’opportunité d’une médiation et qui, bien souvent, manquent de temps et de moyens (humains et financiers) pour s’engager en médiation.

Un des leviers consisterait à professionnaliser les dispositifs de médiation existants au sein des juridictions administratives.

  • Le second levier Il m’arrive en effet de rêver d’un avenir où, dans chaque juridiction - du moins les plus « grosses » - il existerait une « chambre de la médiation » composée d’un(e) président(e) ou chef(fe) de chambre (pas nécessairement magistrat), d’un ou plusieurs agents de greffe « chargé(s) de médiation » et d’une équipe de « médiateurs juridictionnels », formés et compétents en médiation administrative, rattachés exclusivement à la juridiction et qui offriraient ainsi aux justiciables un véritable service public et gratuit, dans les domaines contentieux où le coût de la médiation est aujourd’hui un obstacle diriment à l’engagement effectif d’un processus de médiation en phase juridictionnelle.

Je pense en particulier, mais non exclusivement, aux contentieux sociaux. Il s’agirait ainsi de déployer de véritables dispositifs de « médiation juridictionnelle », fortement inspirés et dans le prolongement de ce qui existe et fonctionne déjà en phase administrative et précontentieuse avec les dispositifs de médiation institutionnelle et territoriale.
Avec un tel dispositif, la médiation juridictionnelle administrative aurait toute la légitimité et la capacité pour traiter et peut-être même pour prévenir, un nombre bien plus conséquent de situations et de litiges aux côtés des médiateurs libéraux, institutionnels et territoriaux. Tout le monde en sortirait gagnants. »

Crédit photo©Les Petites Affiches

Interview de Amaury Lenoir réalisée par Nathalie Hantz, Rédaction du Village de la Justice

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

5 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Attaché d’administration de l’Etat, titulaire d’un master 2 en management international et en droit public, spécialiste de l’humanitaire, de l’asile et de la médiation, Amaury Lenoir travaille depuis plus de douze ans pour le Conseil d’Etat et accompagne, depuis 2017, les juridictions administratives et leurs partenaires dans leurs actions en faveur du développement de la médiation administrative. Nommé "Délégué national à la médiation pour les juridictions administratives" en 2020, il officie également en qualité de référent médiation du tribunal administratif de Nice, de médiateur juridictionnel et de formateur dans ce domaine. Depuis 2023, il siège au Conseil National de la Médiation.

[2« Médiations à l’initiative des parties » - art. L.213-5 et 6 du code de justice administrative (CJA).

[3« Médiations à l’initiative du juge » - art. L.213-7 à 10 du même code

[4Art. 2062 à 2068 du code civil

[5Décret n°2018-101 du 16 février 2018

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs