La règle de principe : un délai préfix d’un an, intangible et bref.
L’économie de l’article L640-5 du Code de commerce.
Le législateur de 2005 a voulu borner dans le temps l’ouverture des procédures collectives à l’encontre d’entités qui ont cessé toute activité. Le texte prévoit que, pour une personne morale radiée du RCS, l’assignation en liquidation judiciaire doit être délivrée dans l’année de cette radiation [1].
Deux caractéristiques se dégagent :
- Le délai est préfix. La jurisprudence le répète depuis 1995 : il n’est susceptible ni d’interruption ni de suspension [2].
- Le point de départ est objectif. Seule la publication de la radiation au BODACC fait courir le délai ; la date à laquelle le créancier découvre l’existence de sa créance importe peu.
La solution de l’arrêt du 26 mars 2025.
En l’espèce, le salarié-créancier avait engagé son action plus d’un an après la publication de la radiation (31 juillet 2019). Il arguait de la persistance de son contrat de travail au-delà de cette date et d’une prétendue fraude. La cour rejette ses arguments : la publication des opérations de liquidation le 5 juin 2019 a rendu l’information opposable aux tiers ; la radiation, publiée le 31 juillet 2019, a fait courir le délai préfix. L’assignation du 30 décembre 2021, hors délai, est donc irrecevable.
La survivance de la personnalité morale : un faux bouclier.
Principe de survie pour les besoins de la liquidation.
L’article 1844-8 du Code civil et l’article L237-2 du Code de commerce prévoient que la personnalité morale survit « pour les besoins de la liquidation ». La doctrine comme la jurisprudence admettent ainsi que peuvent être engagées des instances postérieures à la dissolution, destinées à parfaire la liquidation des droits et obligations nées avant cette dissolution [3].
Articulation délicate avec le délai préfix.
L’arrêt du 26 mars 2025 vient préciser que cette survivance n’a aucun impact sur le délai d’un an : l’action en liquidation judiciaire relève du régime spécial des procédures collectives et non du droit commun de la liquidation. Vouloir prolonger la personnalité morale pour contourner L640-5 reviendrait à priver le texte de son efficacité.
La cour rappelle donc qu’il appartient au créancier, informé par la publication au BODACC, d’agir « sans délai » s’il redoute l’insolvabilité de la personne morale dissoute.
Les moyens subsidiaires à la disposition du créancier forclos.
Réouverture de la liquidation amiable.
La jurisprudence admet que la clôture d’une liquidation amiable puisse être remise en cause si elle a été prononcée prématurément. Le créancier peut solliciter la désignation d’un mandataire ad hoc, chargé de reprendre les opérations de liquidation [4]. L’issue est incertaine, mais elle échappe au couperet du délai préfix.
Action contre les associés ou le liquidateur.
- Action en paiement contre les associés : l’article L237-13 du Code de commerce laisse au créancier un délai de cinq ans à compter de la publication de la dissolution pour rechercher la responsabilité des associés non-liquidateurs dans la limite de leur part de boni de liquidation.
- Responsabilité pour faute du liquidateur amiable : fondée sur l’article L237-12 et, par renvoi, sur l’article L225-254, cette action se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou de sa révélation.
Exception de fraude : un argument difficile.
Le créancier avait tenté de faire valoir la maxime fraus omnia corrumpit. La cour rejette implicitement cet argument, laissant entendre que la simple poursuite d’un contrat de travail après dissolution n’établit pas, en soi, la fraude. Pour être opérante, la fraude doit être démontrée de façon stricte : mise en scène délibérée d’une insolvabilité, dissimulation d’actifs ou détournement du passif. Sans preuve tangible, la fraude ne suspend pas le délai préfix.
Enseignements pratiques pour l’avocat et le dirigeant.
Vigilance accrue lors de la radiation.
Le dirigeant doit s’assurer que toutes les créances connues ou prévisibles sont apurées avant la clôture de la liquidation amiable. À défaut, il expose ses associés et son liquidateur à des actions judiciaires postérieures, certes distinctes du délai préfix, mais potentiellement lourdes de conséquences financières.
Anticipation du côté du créancier.
L’avocat du créancier doit :
- Surveiller les publications légales. Une veille sur le BODACC et les bases Infogreffe demeure indispensable pour ne pas dépasser le délai.
- Qualifier rapidement la créance. Sitôt que l’insolvabilité apparaît probable, la décision de saisir le tribunal doit être prise, même si le quantum de la créance n’est pas définitivement fixé.
- Envisager les alternatives. Si le délai est expiré, préparer dès l’origine un double argumentaire : réouverture de la liquidation amiable et action contre les associés ou le liquidateur.
Impacts en droit du travail.
L’arrêt est un avertissement pour les salariés : la protection offerte par le privilège de l’article L3253-2 du Code du travail n’a de sens que si la procédure collective démarre. Lorsqu’une société est dissoute, il appartient au salarié de vérifier sans délai son immatriculation et, le cas échéant, de déposer une requête avant l’expiration du délai préfix.
Illustration chiffrée.
Imaginons un salarié créancier d’une indemnité de 50 000 €. La société est radiée le 1ᵉʳ janvier 2024. À défaut d’assignation avant le 1ᵉʳ janvier 2025 :
- Procédure collective impossible : il ne peut plus bénéficier de l’assurance de garantie des salaires (AGS).
- Action contre les associés : recevable jusqu’au 1ᵉʳ janvier 2029, mais limitée au boni de liquidation.
- Action contre le liquidateur : prescrite le 1ᵉʳ janvier 2027, sous réserve de démontrer une faute de gestion.
Une vigilance indispensable dans l’année qui suit la radiation.
L’arrêt du 26 mars 2025 rappelle une vérité parfois négligée : la clôture des opérations de liquidation amiable d’une société n’est pas seulement un acte organique, c’est aussi un signal de départ pour un compte à rebours d’un an. Au-delà, la forclusion devient un obstacle absolu, que ni la survivance de la personnalité morale ni l’allégation de fraude ne permettent de franchir aisément.
Le dirigeant qui clôture trop vite expose son patrimoine, le créancier qui tarde à se manifester sacrifie sa créance. Dans ce ballet juridique, chacun doit tenir son rôle avec une extrême rigueur ; le manquement se paie, tôt ou tard, par une perte sèche.
Points clés à retenir.
Le délai d’un an est-il suspendu par une instance prud’homale en cours ?
Non : il est préfix et court dès la publication de la radiation [5].
La personnalité morale subsiste-t-elle ?
Oui, pour liquider les droits et obligations nés avant dissolution, mais sans effet sur le délai préfix [6].
Quels recours après forclusion ?
- Réouverture de la liquidation amiable.
- Action contre les associés : 5 ans à compter de la dissolution.
- Action contre le liquidateur : 3 ans à compter du fait dommageable ou de sa révélation.
La fraude suspend-elle le délai ?
Uniquement si elle est prouvée de façon positive ; la seule poursuite du contrat de travail ne suffit pas.
En bref, l’avocat d’affaires retiendra qu’une bonne veille juridique vaut souvent mieux qu’une longue discussion sur la nature des personnalités morales survivantes ; le chef d’entreprise, quant à lui, comprendra qu’un formalisme scrupuleux lors de la clôture de la liquidation reste la meilleure protection contre les procédures ultérieures.