Le taux effectif global erroné à l’épreuve du droit bancaire.

Par Mostafa Amda.

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Explorer : # taux effectif global (teg) # droit bancaire # protection de l'emprunteur # sanction juridique

Le taux effectif global (TEG) a fait l’objet ces dernières années d’une profonde évolution juridique qui suscite autant de questionnements que d’incertitudes.
Instauré par la loi sur l’usure n°66-1010 en 1966, le taux effectif global ou taux annuel effectif global (TAEG) peut être défini comme le taux d’intérêt fixé par la banque ou l’établissement de crédit permettant d’évaluer le coût total d’un crédit.

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Ce taux d’intérêt ne peut être supérieur au « taux de l’usure », c’est-à-dire au taux maximal légal applicable fixé par la Banque de France. Le TEG, dont les dispositions seront intégrées en 1993 dans le Code de la consommation, se réfère ainsi au taux réellement pratiqué pour une opération de crédit déterminée. Il comprend les intérêts conventionnels auxquels s’ajoutent, en vertu de l’article L 314-1 du Code de la consommation (ancien article L313-1), les « frais, commissions ou rémunérations de toute nature (frais de dossier par exemple), directs ou indirects » intervenant de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt. Notons qu’il ne comprend pas, entre autres, les frais d’acte notarié lié à l’acquisition du bien immobilier.

En 2001, le Code monétaire et financier intègre l’obligation de mentionner un TEG pour tous les crédits. L’exigence de la fixation par écrit du taux d’intérêt résulte de l’article 1907 du Code civil (selon lequel le taux légal s’applique chaque fois qu’un taux conventionnel n’est pas stipulé par écrit) et de l’article L313-2 du Code de la consommation (devenu article L315-5) indiquant que le TEG « doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt ».
Ainsi, le TEG permet à l’emprunteur de connaître le coup réel du crédit et de plafonner dans certains cas le taux de l’intérêt conventionnel par le biais de la prohibition de l’usure.

Une ordonnance prévue par la loi n° 2014-1662 du 30 décembre 2014 transposant la directive européenne n°2014/17/UE sur les contrats de crédits aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel, dispose notamment que les crédits immobiliers des particuliers auront désormais pour valeur de référence le TAEG (taux annuel effectif global qui ne concernait auparavant que les crédits à la consommation depuis la loi Lagarde de 2010 ) et non plus le TEG. L’entrée en vigueur de ce nouveau mode de calcul est prévue au 1er octobre 2016.

Il arrive que les organismes de crédit communiquent un TEG erroné, c’est-à-dire qu’ils aient omis un élément devant entrer légalement dans le calcul du TEG ou qu’ils aient encore ajouté un élément non prévu à celui-ci. Ainsi, l’omission ou l’ajout d’un élément dans le calcul du TEG constituera une erreur susceptible d’être sanctionnée par les tribunaux.
Le TEG erroné connaît un contentieux abondant. Le quotidien Le Parisien titrait le 24 octobre 2013 qu’entre 50 et 75% de prêts immobiliers étaient basés sur des faux calculs de taux d’intérêts.
En matière de sanctions encourues, une sanction pénale est prévue à l’article L.341-49 du Code de la consommation qui prévoit l’application d’une amende de 150 000 euros. Nous allons néanmoins davantage se pencher sur la sanction civile qui est une création jurisprudentielle.

Comment la Cour de cassation est-elle parvenue à trouver un équilibre entre une sanction proportionnée et la protection de l’emprunteur au regard d’un contentieux abondant des actions en responsabilité du banquier en matière de TEG erroné ?

Dans sa volonté de rechercher cet équilibre entre une sanction proportionnée et la protection de l’emprunteur, la Cour de cassation a d’abord dû faire face à un échec (I) avant d’y parvenir, sous l’impulsion du droit européen (II).

I) Le constat d’un échec de la Cour de cassation dans sa recherche d’un équilibre entre une sanction proportionnée et la protection de l’emprunteur

L’échec de la Cour de cassation dans sa recherche d’un équilibre se traduit d’abord par une sanction civile du taux effectif global erroné assez lourde (A), solution qui favorise le banquier (B).

A) Le développement jurisprudentiel de la sanction civile du taux effectif global erroné : la nature et la délimitation d’une sanction civile redoutable

La sanction civile est redoutable de par sa nature (1) ainsi que dans sa délimitation (2)

1) La nature de la sanction civile : l’assimilation du TEG erroné à l’absence de TEG mentionné par écrit

On qualifie le TEG d’inexact en cas d’erreur de calcul ou lorsqu’un élément légalement compris dans le TEG a été omis. Or, depuis quelques années, la Cour de cassation s’est mise à assimiler le TEG erroné à l’absence de TEG mentionné par écrit (comme elle l’a notamment relevé dans sa première chambre le 19 septembre 2007).
Il est donc primordial de s’intéresser au sort que les magistrats réservent au contrat de prêt dont le TEG n’est pas mentionné par écrit puisque le même sort sera réservé au contrat prêt dont le TEG est erroné.

Depuis quelques années maintenant, les magistrats estiment que l’exigence d’un écrit mentionnant dans le contrat le TEG est une condition de validité de la stipulation d’intérêts conventionnels. Ainsi la méconnaissance des dispositions du nouvel article L 314-5 (ancien L 313-2) du Code de la consommation, édictées dans le seul intérêt de l’emprunteur, est sanctionnée par la nullité relative de cette stipulation (1ère chambre civile, 21 janvier 1992) sans que cette nullité n’ait d’incidence sur le principe du droit à l’intérêt lui même : le taux légal est alors substitué au taux convenu à compter de la date du prêt (1ère chambre civile, 16 janvier 2013). Concrètement, il en ressort de ces décisions que l’absence d’écrit n’entraîne pas la nullité du contrat de prêt puisqu’une telle sanction aurait lésé l’emprunteur.
La chambre commerciale de la Cour de cassation rajoute qu’il n’y a pas lieu non plus d’octroyer des dommages et intérêts à l’emprunteur (Chambre commerciale 30 octobre 2012). Il revient alors au prêteur de restituer les excédents d’intérêts indûment perçus.

Notons qu’en ce qui concerne les crédits aux consommateurs (crédit à la consommation et crédit immobilier) c’est la déchéance du droit aux intérêts du prêteur qui est encourue. En effet, dans ces cas, l’offre de prêt qui ne contiendrait pas de TEG n’est pas conforme aux exigences de l’article L.312-28 du Code de la consommation à l’égard du crédit à la consommation ou l’article L.313-10 du même code en ce qui concerne le crédit immobilier. Néanmoins, une différence de régime subsiste entre ces deux types de crédits. En effet, la déchéance du droit aux intérêts est totale en matière de crédit à la consommation alors qu’elle est déterminée souverainement par les juges dans le cas du crédit immobilier

La doctrine a critiqué cette assimilation : Nicolas Mathey, professeur de droit à l’Université Paris Descartes y voit une insécurité juridique dans cette perception de la Cour de cassation d’assimiler une absence à une erreur.

Cette assimilation mène à une substitution du taux conventionnel au taux légal.

2) La délimitation de la sanction civile : la substitution du taux conventionnel au taux légal

En assimilant le TEG erroné à l’absence de TEG par écrit, la Cour de cassation applique dans les deux cas de figure la substitution du taux légal au taux conventionnel (1ère chambre civile de la Cour de cassation, 19 septembre 2007). Ainsi, si le taux contractuel a été appliqué, le « trop perçu » doit être restitué.

Dans l’arrêt du 13 mars 2007 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, il n’était pas contesté que la sanction devait être la substitution du taux légal au taux conventionnel. C’est le montant des sommes devant être restituées à l’emprunteur qui constituait l’objet du litige. Dans cette affaire, l’emprunteur souhaitait obtenir le remboursement des cotisations d’assurance, qui sont intégrées dans le TEG. Cependant celles-ci ne font pas partie du taux conventionnel. Par conséquent pour la Cour de cassation la banque devait restituer à l’emprunteur les sommes trop versées en remboursement du prêt en principal et intérêts à l’exclusion de tous les frais et accessoires liés au prêt. Ainsi selon la Cour de cassation, la sanction d’un TEG erroné est la substitution du taux d’intérêt légal au taux conventionnel. Cette solution témoigne que la cour de Cassation n’envisage pas une quelconque autre sanction civile en matière de TEG erroné. Lasserre Capdeville parle de solution « radicale ».

Un arrêt du 13 mai 2014 (1ère chambre civile de la Cour de cassation) est venu préciser qu’il revient au juges du fonds de s’assurer que le calcul du TEG proposé établit l’erreur alléguée, peu important qu’il n’émane pas d’un professionnel du chiffre. Notons que le taux d’intérêt légal est celui en vigueur au moment où il est acquis et doit en conséquence suivre les modifications successives qui émanent de la loi (1ère chambre civile, 21 janvier 1992). Ce taux a par exemple été de 0,04% pour l’année 2014, un taux qui est donc très bas et qui peu occasionner de très grandes pertes pour les banquiers.

Pourtant, la jurisprudence reste plutôt défavorable à l’emprunteur

B) Une solution favorable au banquier

La solution retenue par la jurisprudence de la Cour de cassation est favorable au banquier, d’abord parce qu’il revient à l’emprunteur d’apporter la preuve du TEG erroné (1). La solution amène également à une insécurité juridique en la matière (2)

1) La charge de la preuve du TEG erroné : une solution nuisible à l’emprunteur

Par quelques décisions d’une importance cruciale en la matière mais qui n’ont pas été publiées au bulletin civil, la Cour de cassation a affirmé que l’omission d’un élément dans le calcul du TEG n’emporte nullité de la clause d’intérêts conventionnels que si son résultat est modifié au delà d’une décimale, ce qui doit être démontré par l’emprunteur (1ère chambre civile de la Cour de cassation 1er octobre 2014). La solution est ainsi défavorable à l’emprunteur car il perd son procès s’il ne parvient pas à prouver sa prétention.

Par ailleurs, dans cet arrêt du 1er octobre 2014, la Cour de cassation a cherché dans cet arrêt à limiter l’application de la jurisprudence relative au TEG erroné, en y apportant une difficulté technique relative à l’importance financière de l’erreur.
Cependant certaines juridictions du fonds font résistent à cette vision de la Cour de cassation, c’est le cas de la cour d’appel de Grenoble le 30 juin 2015.

Ainsi la sanction prévoyant la substitution est simplement de nature jurisprudentielle et n’est pas à l’abri d’un revirement de jurisprudence car elle n’est prévue par aucun texte, ce qui est source d’insécurité juridique

2) Une solution inéquitable pour l’emprunteur, source d’insécurité juridique

Le professeur Capdeville parle de solution « radicale » adoptée par les magistrats de la Cour de cassation en assimilant le TEG erroné au TEG non écrit. Selon lui, cette solution peut se révéler dans certaines circonstances inéquitable pour l’emprunteur. En effet, imaginons le cas d’un individu qui se laisse séduire par le taux d’intérêt erroné et qui s’engage dans une opération de crédit pour laquelle le taux réel est très nettement supérieur au taux annoncé. On peut supposer que si l’intéressé avait connu le véritable montant du TEG, il ne se serait pas engagé. On devrait alors admettre, si le crédit lui occasionne des difficultés financières qu’il a perdu une chance de ne pas contracter en raison de la faute du prêteur. Dans un tel scénario, l’engagement de la responsabilité civile de la banque devrait être engagée.

Cependant, la Cour de cassation affirme encore catégoriquement dans ses arrêts que « la sanction du taux effectif global erroné est la substitution du taux d’intérêt légal au taux conventionnel » (par exemple, dans l’arrêt de sa première chambre civile du 13 mars 2007).
Cette solution serait inéquitable pour l’emprunteur lorsque celui-ci a omis de solliciter une substitution alors qu’un préjudicie est manifeste.

Par ailleurs, ce qui est surtout source d’insécurité juridique résulte dans le fait que c’est la jurisprudence qui construit petit à petit les éléments devant entrer dans le TEG. C’est la raison pour laquelle une grande partie des TEG sont erronés puisqu’il y a beaucoup d’incertitudes jurisprudentielles. Par exemple, dans une décision du 9 décembre 2010, lorsque la 1ère chambre civile de la Cour de cassation affirme que les souscriptions de parts sociales doivent être prises etc considération dans le calcul du TEG, elle rend faux un grand nombre de TEG consentis jusqu’à lors par les banques. La jurisprudence étant rétroactive, les nouvelles décisions de la Cour de cassation amène des conséquences en chaîne en quelque sorte, ce qui rend faux un grand nombre de TEG.

Par conséquent, la Cour de cassation a tenté de trouver un équilibre entre une sanction qui serait proportionnée et la protection de l’emprunteur.

II) La difficulté d’une mise en équilibre des composantes entourant le TEG erroné

Cette recherche d’équilibre entre une sanction proportionnée et la protection de l’emprunteur s’est d’abord timidement traduit par une volonté jurisprudentielle de limiter l’extension du TEG erroné (A) avant de parvenir, de manière plus affirmée à d’avantage de cohérence en la matière, sous l’impulsion du droit européen (B)

A) La volonté modérée de la Cour de cassation de limiter l’extension de la sanction du TEG erroné

La Cour de cassation s’est montrée peu préoccupée à l’idée de limiter l’extension du TEG erroné. En effet, elle approuve que le TEG doit être exact mais peut être faux, à une décimale près (1). Par ailleurs, il y a une différenciation selon ses chambres en matière de point de départ du délai d’action en nullité (2).

1) Le seuil de tolérance de l’inexactitude du TEG à l’épreuve des juridictions de fond

L’annexe à l’article R.313-1 du Code de la consommation en sa remarque d) dispose que « le résultat du calcul est exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale. Lorsque le chiffre est arrondi à une décimale particulière, la règle suivante est d’application : si le chiffre de la décimale suivant cette décimale particulière est supérieure ou égale à 5, le chiffre de cette décimale particulière sera augmenté de 1 ». Cette annexe, prise en application de l’article L.314-1 Code de la consommation relatif au calcul du taux effectif global insiste sur le respect de l’exactitude de l’information donnée aux consommateurs qui souhaitent souscrire un prêt.

La première chambre civile de la Cour de cassation, à l’occasion de deux arrêts en date du 1er octobre 2014 et du 26 novembre 2014, a eu l’occasion d’apporter son interprétation relative à ces dispositions légales. Ainsi, la Haute Juridiction a dégagé le principe de l’erreur admise de la décimale. En d’autres termes, ne peut être sanctionnée que l’erreur admise à 0,1 point. Le professeur Mainguy traduisait les choses ainsi : « Le TEG doit être exact, mais peut être faux, à une décimale près » (JCP entreprise et affaires, n°22, pages 38 et suivantes, 28 mai 215). Roussille Myriam disait en des termes plus lapidaires « TEG erroné : moins d’une décimale, ça ne compte pas ». Ainsi, une erreur de décimale entraîne une erreur dans le calcul du TEG/TAEG que les juges pourront sanctionner de ce seul fait. En effet, même si l’erreur profite à l’emprunteur (taux pratiqué inférieur au taux réel), une peine pourra être prononcée à l’égard de l’établissement de crédit.

Par conséquent, un TEG peut être faux sans qu’il ne fasse l’objet d’une nullité, ce qui est clairement contraire à la multitude de dispositions protectrices des consommateurs définis dans le Code de la consommation.
Dans cette perspective, cette interprétation de la Cour de cassation a été vivement critiquée par la doctrine (François Couderc, magistrat, Gazette Palais, Edition générale 2015, n°49).
Bérengère Poitrat, expert de justice près la cour d’appel d’Angers, a pour sa part rédigé une critique mathématique de cette jurisprudence en concluant notamment que : « Calculer un nombre avec une précision d’au moins une décimale veut dire que ce nombre ne peut pas être exprimé sous forme entière et qu’il doit être présenté avec exactitude sans quoi la précision ne sera pas respectée » (Gazette Palais Edition Générale 2015, n°294 à 295).

Au delà de la critique de la doctrine, il y a une certaine résistance des juridictions du second degré.
En effet, la cour d’appel de Grenoble a clairement manifesté son refus de se soumettre à cette interprétation de la Cour de cassation. En effet dans un arrêt en date du 30 juin 2015, le juge estimait qu’ « en l’espèce, les parties ont entendu fixer un taux effectif global à 3 décimales. L’erreur affectant la troisième décimale emporte, par application des articles susvisés du code de la consommation et de l’article 1134 du Code civil, la nullité de la stipulation du taux d’intérêts conventionnels et la substitution du taux légal depuis l’origine » (Grenoble, 1ère Chambre Civile, 30/06/2015, RG n°13/01071).

D’ailleurs, la cour d’appel de Rennes avait un raisonnement identique quelques années plus tôt. Dans un arrêt en date du 22 avril 2011, celle-ci avait la même motivation en estimant qu’il suffisait « d’une erreur portant sur la seconde décimale du TEG pour que ce taux soit erroné au regard des prescriptions de l’annexe à l’article R.313-1 du Code de la consommation, dès lors que le Crédit Foncier de France a fait le choix d’exprimer le taux effectif global avec cette exactitude de deux décimales et s’est engagé sur la pertinence du taux ainsi calculé permettant à l’emprunteur toute comparaison utile avec d’autres offres de prêt » (Rennes, CH. 01 B, 22/04/2011, RG n°10/00772). Dans cette affaire, la cour d’appel de Rennes avait prononcé la déchéance du droit aux intérêts en raison d’une incidence sur le TEG de 0,01 %.

Ces deux arrêts qui rappellent que la protection du consommateur en matière de taux d’intérêt ne doit souffrir d’aucune exception, n’ont néanmoins pas mené à un revirement de jurisprudence. La Cour de cassation estime qu’il serait trop sévère de sanctionner la banque pour une aussi petite erreur.
Cette faible volonté de la Cour de cassation de limiter l’extension de la sanction du TEG erroné se traduit aussi par l’inconstance, suivant ses chambres, de définir un point de départ unique du délai de l’action en nullité.

2) Un point de départ du délai d’action en nullité différent selon la section de la Cour de cassation

Le délai de prescription de l’action en nullité est de cinq ans (article 1304 du Code civil). Il s’agit d’une disposition d’ordre public.
L’action en déchéance du droit aux intérêts n’est enfermée dans aucun délai spécifique et relève donc du délai prévu par l’article L.110-4 du Code de commerce, c’est-à-dire un délai de cinq ans depuis la li du 17 juin 2008.

La question qui se pose est celle de savoir à quel moment débute le délai de l’action en nullité. Et là encore, la faible détermination de la Cour de cassation à limiter l’extension de la sanction du TEG erroné se perçoit à travers la différence d’interprétation de ses chambres, civile et commerciale, en matière de point de départ du délai de prescription.

En effet, pour la Chambre commerciale, le délai commence à compter du jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître le vice affectant le TEG, c’est-à-dire, s’agissant d’un prêt, la date de la convention (Chambre commerciale, 10 juin 2008). En présence d’un découvert, la date de départ sera la réception de chacun des écrits indiquant ou devant indiquer le TEG appliqué (Chambre commerciale 16 mars 2010).
La première chambre civile a adopté, quant à elle, une solution plus favorable à l’emprunteur. Ainsi, le point de départ de la prescription est la date de la convention lorsque l’examen de sa teneur permet de constater l’erreur ou, lorsque tel n’est pas le cas, la date de la révélation de celle-ci à l’emprunteur (1ère chambre civile, 11 juin 2009). Par exemple, suivant l’interprétation de la première chambre civile, n’est pas prescrite une action en nullité menée contre un taux conventionnel erroné sans constater que l’emprunteur était en mesure de déceler par lui même, à la lecture des actes, l’erreur affectant le TEG (1ère chambre civile, 16 avril 2015).
Notons qu’en ce qui concerne le cas particulier de l’action en déchéance du droit aux intérêts, le délai débute « à compter de la date à laquelle le contrat de crédit est définitivement formé » (1ère chambre civile, 3 juillet 2013).

Par conséquent, il semblerait que la volonté de la Cour de cassation de limiter l’extension de la sanction du TEG erroné ne soit pas réellement poussée puisque qu’elle admet qu’un TEG erroné puisse être exact sous réserve d’une décimale et que par ailleurs, sa jurisprudence n’est pas clair quant au point de départ du délai de l’action en nullité.
Ces analyses sont néanmoins à tempérer.

B) Le souhait de la Cour de cassation de renouer avec une certaine cohérence en matière de TEG erroné

La Cour de cassation tente de renouer avec une certaine cohérence en matière de TEG erroné, d’abord comme elle l’a toujours affirmé, en refusant d’admettre la nullité absolue de la stipulation d’intérêt en cas de TEG erroné (1), puis, et cela est nouveau, en consacrant une exigence de proportionnalité dans la sanction du TEG erroné (2)

1) Le refus d’admettre la nullité absolue de la stipulation d’intérêt en cas de TEG erroné

Lorsque le crédit est soumis au droit de la consommation, le non-respect des exigences légales est sanctionné par une déchéance appréciée par le juge en cas de crédit mobilier et automatique s’il s’agit d’un crédit immobilier. Si la déchéance est prononcée, il n’y a pas substitution du taux légal au TEG erroné. La sanction pénale est prévue par l’article L. 313-2 du Code de la consommation.

S’agissant des crédits non soumis à des dispositions spécifiques, le Code civil ne précise pas la sanction applicable en cas de non-respect de l’exigence d’une mention écrite du taux. La sanction aurait pu être la nullité du prêt mais elle est à la fois excessive et inappropriée puisqu’elle offrirait au prêteur la possibilité de solliciter immédiatement le remboursement des sommes avancées. Très vite la sanction qui s’est imposée est celle de la nullité affectant la seule stipulation relative à l’intérêt.
La nullité ne sanctionne pas véritablement un vice du consentement. Elle sanctionne le non-respect d’un formalisme de protection (Chambre commerciale, 10 juin 2008).

Les dispositions consacrées au TEG étant imposées dans l’intérêt de l’emprunteur, la nullité ne pouvait être que relative (1ère chambre civile, 21 janvier 1992, 1ère chambre civile 14 juin 2007)
Seul l’emprunteur peut donc agir.
La nullité entraîne la substitution au taux d’intérêt stipulé du taux légal tel qu’il est fixé par décret (Chambre commerciale, 4 mai 1993).

La solution est la même lorsque le taux est erroné (Chambre commerciale, 17 janvier 2006 - 1ère chambre civile, 7 mars 2006).
En cas de nouvelle stipulation erronée, la nullité ne fait pas revivre la stipulation initiale (1ère chambre civile, 27 février 2007).

Mais là où se manifeste clairement la volonté de la Cour de cassation de renouer avec une certaine cohérence dans la sanction du TEG erroné se trouve dans son exigence de proportionnalité dans la sanction du TEG erroné.

2) L’affirmation d’une exigence de proportionnalité dans la sanction du TEG erroné : une jurisprudence en conformité avec le droit de l’UE

Depuis quelques années, on assiste à un fort développement du secteur d’expertiseurs de crédit qui promettent souvent de contester le taux effectif global dans l’espoir de récupérer une partie des intérêts payés ou à venir. Mais depuis un important arrêt de la Cour de cassation rendue par sa première chambre civile le 12 octobre 2016, cette opportunité est réservée aux emprunteurs qui ont subi un préjudice.
Le taux effectif global d’un crédit (ou taux annuel effectif global ‘TAEG’ depuis le 1er octobre 2016) est un élément essentiel du contrat de crédit. Si le TEG est erroné, en vertu d’une jurisprudence de longue date, la sanction est la substitution du taux d‘intérêt légal au taux d’intérêt prévu dans le contrat. Cette sanction est particulièrement attrayante lorsque le taux d’intérêt légal est aussi faible qu’actuellement (entre 0,04% et 1,01% entre 2013 et 2016).

Dans l’arrêt du 12 octobre 2016, la Cour de cassation est venu apporter une précision importante en la matière. Dans cette affaire, Les intéressés avaient contesté deux prêts immobiliers de de 200.000 et 440.000 euros obtenus auprès de la Caisse d’Epargne Ile-de-France le 5 septembre 2008. Dans son rapport, l’expert conclut, pour le crédit de 400.000 euros, que « le taux effectif global indiqué de 6,42 % s’élève en réalité à 6,32 % ».

S’appuyant sur cet erreur de TEG, les intéressés ont demandé la substitution de taux, pour bénéficier du taux d’intérêt légal. La cour d’appel de Versailles a refusé d’accéder à leur demande, notamment parce que « l’erreur n’aurait pu avoir comme conséquence que de contraindre l’emprunteur à consentir un coût global finalement supérieur à celui réellement assumé ».
Dans son arrêt du 12 octobre 2016, la Cour de cassation a confirmé cette interprétation lorsque « l’erreur alléguée ne venait pas [au] détriment » des consommateurs.
Ainsi, une erreur de TEG ne suffit pas pour contester son crédit : il faut également démontrer un préjudice pour obtenir la substitution du taux. La sanction doit être proportionnée au grief allégué.

Cette jurisprudence se conforme ainsi au droit européen puisqu’elle répond à une transposition en droit interne de la directive 2014/17/UE du 4 février 2014, sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel, ce qui amène la Cour de cassation a plus de cohérence dans sa volonté de prononcer une sanction plus proportionnelle en matière de TEG erroné tout en se souciant de la protection de l’emprunteur.

Par Mostafa Amda
Droit des affaires, droit international

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