1. La notion de pouvoir de négociation de l’agent commercial dans l’UE.
L’article 1er de la directive européenne n°86/653/CEE définit l’agent commercial comme un « intermédiaire indépendant, chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée « commettant », soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant ».
Cette définition a été transposée en droit français à l’article L134-1 du Code de commerce, lequel définit l’agent commercial comme le mandataire
« chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux ».
Si le pouvoir de négociation constitue un élément central du statut de l’agent commercial, cette notion n’avait, jusqu’à récemment, fait l’objet d’aucune définition textuelle et n’avait jamais été précisée par la CJUE, de sorte qu’il n’en existait aucune définition claire et unifiée au sein de l’Union Européenne.
Les Etats membres ont ainsi adopté des interprétations divergentes du pouvoir de négociation : la conception commerciale et usuelle de la négociation au sens de présenter les produits, convaincre le client potentiel de ses qualités et emporter sa conviction avant de recueillir son consentement s’est alors heurtée à une conception juridique, plus stricte, de cette notion, impliquant la possibilité de modifier les conditions contractuelles.
De fait, l’interprétation majoritairement retenue par les juges français était plus restrictive que celle de leurs homologues européens, ceux-ci considérant que l’intermédiaire de commerce n’est doté d’un réel pouvoir de négociation au sens des textes qu’à condition d’être habilité à modifier les conditions de vente lors de la conclusion du contrat [1].
Par opposition, les juridictions britanniques ont par exemple adopté une approche plus pragmatique en retenant l’existence d’un pouvoir de négociation à l’intermédiaire dont le rôle est limité à la présentation des marchandises et à la suggestion de prix possibles sous réserve de validation par son mandant [2].
De la même manière, les transpositions allemandes et polonaises de la notion de négociation figurant dans la directive européenne se traduisent par le fait de « servir d’intermédiaire », sans référence à de quelconques pouvoirs d’influer sur les conditions de vente du mandant.
Ces divergences illustrent les difficultés d’interprétation inhérentes à cette notion cruciale de pouvoir de négociation de l’agent commercial, dont l’enjeu est de taille puisqu’elle conditionne l’applicabilité du statut protecteur de l’agent commercial, ayant notamment pour corollaire l’allocation à ce dernier d’une généreuse indemnité de fin de contrat.
Du fait des difficultés d’interprétation de cette notion, le pouvoir de négociation de l’agent commercial a été au centre d’un abondant contentieux, à l’occasion de ruptures de relations dont le cadre contractuel était incertain, l’intermédiaire cherchant à bénéficier du statut d’agent commercial et son cocontractant s’y opposant.
2. L’approche restrictive de la jurisprudence française dans la définition du pouvoir de négociation de l’agent commercial.
Au fil des années, la jurisprudence française s’est orientée vers une interprétation de plus en plus restrictive du pouvoir de négociation de l’agent commercial, souvent défini comme la marge de manœuvre de l’agent commercial permettant d’aménager les conditions contractuelles de l’opération à intervenir avec son mandant, c’est à dire la possibilité de ce dernier d’influer de manière effective sur une partie au moins de l’opération économique.
Certains juges du fond, entrés en résistance, ont tenté, en vain, d’assouplir cette conception stricte.
Ainsi, le 30 mai 2013, la Cour d’appel de Paris avait reconnu le bénéfice du statut des agents commerciaux à un intermédiaire ayant eu la faculté d’offrir aux meilleurs clients le financement de leur participation à des congrès internationaux, considérant que « ces cadeaux représentaient une valeur financière indiscutable et constituaient un outil de négociation à la disposition de l’agent commercial ».
Fidèle à son approche restrictive, la Cour de cassation avait annulé cette décision en retenant essentiellement que les prix et conditions de vente étaient fixés par un tarif officiel du fournisseur et que l’intermédiaire ne pouvait, sauf à perdre sa commission, accorder une remise [3].
En somme, le fait que l’intermédiaire ait bénéficié d’un support marketing destiné à favoriser ses relations avec les clients et à ainsi accroître les ventes des produits du fournisseur apparaissait indifférent, le seul critère retenu en l’espèce étant l’impossibilité d’influer sur le prix du contrat.
Dans ce contexte, et dans l’espoir de clarifier une fois pour toutes la notion de pouvoir de négociation de l’agent commercial, il a été demandé à la Cour d’appel de renvoi de poser la question préjudicielle suivante à la CJUE : « L’article 1er, paragraphe 2 de la Directive n°86/653/CEE du 18 décembre 1986 doit-il être interprété en ce sens qu’un intermédiaire indépendant qui n’a pas le pouvoir de modifier les tarifs et conditions contractuels de son commettant n’est pas chargé de négocier au sens de cet article ? »
Etonnement, dans un arrêt du 26 janvier 2017, la Cour d’appel de Paris a écarté la demande de question préjudicielle, jugeant que « les dispositions de la Directive en cause ne posent pas de difficultés particulières de compréhension » [4].
Faisant une stricte application de l’approche adoptée par la Cour de cassation, la Cour de renvoi a finalement refusé le bénéfice du statut des agents commerciaux au demandeur au motif que le contrat lui ôtait
« tout pouvoir de négociation (…) concernant les prix et les conditions de vente des produits (…) ».
Outre qu’elle faisait fi des importantes divergences d’interprétation de cette notion à l’échelle européenne, cette position consistant à assimiler le pouvoir de négociation à la seule faculté de modifier les prix et conditions de vente était des plus surprenante, dans la mesure où le propre de l’agence commerciale est précisément de permettre au mandant de conserver la maîtrise des prix de vente de ses produits, par opposition au recours à un distributeur acheteur-revendeur…
L’assouplissement de la définition du pouvoir de négociation semblait donc plus qu’opportune.
Depuis l’arrêt rendu par la CJUE le 4 juin 2020, c’est désormais chose faite.
3. La condamnation de l’approche restrictive de la notion de pouvoir de négociation de l’agent commercial.
Par un jugement en date du 19 décembre 2018, le Tribunal de commerce de Paris a transmis à la CJUE la question préjudicielle suivante :
« L’article 1er, paragraphe 2 de la directive (n°86/853/CEE susvisée) doit-il être interprété en ce sens (…) qu’un intermédiaire indépendant, agissant en tant que mandataire au nom et pour le compte de son mandant, qui n’a pas le pouvoir de modifier les tarifs et conditions contractuels des contrats de vente de son commettant, n’est pas chargé de négocier lesdits contrats au sens de cet article et ne pourrait par voie de conséquence être qualifié d’agent commercial et bénéficier du statut prévu par la directive ? »
Dans son arrêt en date du 4 juin 2020 [5], la CJUE a apporté une réponse négative à cette question en considérant qu’
« une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial, au sens de cette disposition ».
Cette nécessaire clarification du pouvoir de négociation de l’agent commercial consacre une interprétation large et extensive de cette notion, dans le sens de l’action de l’intermédiaire consistant à proposer l’adhésion à un contrat au nom et pour le compte de son mandant.
Outre qu’il permet de préciser et d’unifier la définition du pouvoir de négociation de l’agent commercial, cet assouplissement plus que bienvenu est pleinement conforme à l’esprit du statut de l’agent commercial, dont l’objet, rappelons-le, est de permettre au mandant de conserver une certaine maîtrise de ses conditions de vente.
Discussions en cours :
Dans son arrêt du 4 juin 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne n’a pas, en refusant de soumettre la qualification de contrat d’agent commerciale à la condition qu’une personne dispose de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant, condamné une approche restrictive de la définition du pouvoir de négociation qu’aurait adoptée la Cour de cassation française, dès lors que celle-ci n’a jamais jugé le contraire.
Dans les deux arrêts de la Cour de cassation cités par l’article, le statut d’agent commercial a été exclu à défaut du pouvoir de négocier les contrats pour le compte du mandant, et non de la faculté de modifier les prix des marchandises.
Il est donc tout autant inexact d’affirmer que la Cour d’appel de Paris, saisie d’un renvoi après cassation, aurait fait une stricte application de l’approche adoptée par cette dernière, en excluant le statut d’agent commercial au motif que le contrat privait le mandant de « tout pouvoir de négociation … concernant les prix et les conditions de vente des produits ».
..Et je ne partage pas votre analyse !
modifier les tarifs du mandant (Cass.com., 15 janvier 2008),
adapter les conditions, notamment tarifaires, des contrats qu’il propose à ses clients (Cass. com., 27 oct. 2009),
d’accorder des remises (Cass. com., 20 janv. 2015),
de « disposer effectivement d’une marge de manoeuvre sur une partie au moins de l’opération économique » (Cass. com., 9 déc. 2014).
Les arrêts cités dans mon article, que je vous invite à relire, portent bien sur la question de l’existence du pouvoir de négociation des intermédiaires en cause.
Au contraire de ce que vous indiquez, la jurisprudence de la Cour de cassation adopte bel et bien depuis plusieurs années une position restrictive du pouvoir de négociation de l’agent, la qualification d’agent commercial ayant été exclue à de nombreuses reprises lorsque l’intermédiaire ne bénéficie pas de la possibilité d’influer sur les conditions de vente du mandant (mon article n’évoque pas uniquement les prix).
Pour exemple, la Cour de cassation a notamment posé en principe que le pouvoir de négociation implique le pouvoir de :
Il ne s’agit là que de quelques exemples épars, la jurisprudence en ce sens étant en réalité relativement abondante .
La Cour de Cassation a refusé le bénéfice du statut d’agent commercial, dans son arrêt du 15 janvier 2008 cité par l’article, au motif que le mandant « n’était investi(e) d’aucun pouvoir de négocier les contrats », et non parce qu’il n’avait pas le pouvoir de modifier les tarifs du mandant ( Com. 15 janvier 2008, Bull. civ. IV, no 4, pourvoi no 06-14.698 ).
Dans son arrêt du 27 octobre 2009 (pourvoi no 08-16.623), La Cour de cassation a exclu le statut d’agent commercial au motif que « outre l’absence de pouvoir négocier les conditions des contrats d’abonnement téléphonique » le mandataire « n’agissait pas pour le compte » de son mandant, et non pas parce qu’il ne pouvait adapter les conditions tarifaires.
Le contrat d’agent commercial a été écarté par l’arrêt de la Cour de cassation du 20 janvier 2015 (pourvoi no 13-24.231), au motif que le mandataire « ne disposait pas d’un pouvoir de négocier des contrats au nom et pour le compte de son mandant » et non parce qu’il n’avait pas le pouvoir d’accorder des remises.
Le statut d’agent commercial n’a pas été retenu par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 décembre 2014 (pourvoi no 13-22.476) au motif que le mandant ne justifiait « pas avoir disposé effectivement d’une quelconque marge de manoeuvre sur une partie au moins de l’opération économique, ni avoir eu la possibilité d’engager son mandant » ce qui n’implique pas que c’est parce qu’il n’avait pas le pouvoir de négocier les tarifs.
Les arrêts que vous commentez tiennent bien compte, certes entre autres critères, de l’incapacité de l’intermédiaire de modifier les tarifs et/ou conditions du mandant pour exclure le statut d’agent commercial.
Le pouvoir de négocier les prix ne constitue pas l’unique condition retenue par la jurisprudence. D’ailleurs, mon article évoque le pouvoir d’influer sur les conditions de vente du mandant et de discuter les termes du contrat et non le seul pouvoir de négociation des prix.
L’approche restrictive de la jurisprudence française de la notion de pouvoir de négociation, entendue au sens du pouvoir de d’influer sur les termes du contrat, et en particulier sur les prix (je persiste et je signe !) et précisément ce qui a amené le Tribunal de commerce à poser la question préjudicielle suivante à la CJUE :« L’article 1er, paragraphe 2 de la directive (n°86/853/CEE susvisée) doit-il être interprété en ce sens (…) qu’un intermédiaire indépendant, agissant en tant que mandataire au nom et pour le compte de son mandant, qui n’a pas le pouvoir de modifier les tarifs et conditions contractuels des contrats de vente de son commettant, n’est pas chargé de négocier lesdits contrats au sens de cet article et ne pourrait par voie de conséquence être qualifié d’agent commercial et bénéficier du statut prévu par la directive ? »
Bravo chère Consoeur et merci.
Nous y verrons plus clair maintenant.