Avocats spécialistes des erreurs médicales : quelle indemnisation pour les victimes indirectes ?

Par Dimitri Philopoulos, Avocat.

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Explorer : # erreur médicale # indemnisation # victime indirecte # préjudice économique

Par un arrêt du 30 juin 2021 rendu dans le contexte d’un accident médical non fautif grave, la Cour de cassation a fourni de nouvelles précisions sur l’indemnisation des victimes indirectes au titre de la solidarité nationale.

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Dans le cadre de l’application de l’article L1142-1, II, du Code de la santé publique relatif à l’indemnisation d’un accident médical [1] non fautif grave par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (l’ONIAM) au titre de la solidarité nationale, le traitement des victimes indirectes peut être problématique.

Il en est ainsi car ce texte ne vise pas les préjudices subis par la victime indirecte en cas de survie de la victime directe :

« Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire ».

Faute de mention des préjudices de l’ayant droit en cas de survie de la victime directe, l’indemnisation de celui-ci présente des difficultés devant nos juridictions.

Fort heureusement, un arrêt rendu le 30 juin 2021 par la Première chambre civile de la Cour de cassation a fourni des précisions utiles à l’avocat spécialisé en droit de la santé [2].

I. Faits et procédure.

La victime directe a subi un drainage de liquide péricardique lors duquel ont eu lieu une perforation d’un ventricule et une plaie pariétale à l’origine d’un déficit fonctionnel permanent de 90%.

Dans ces conditions, la victime directe a saisi la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI devenue CCI) d’une demande d’indemnisation. Cependant, elle est décédée peu après cette saisine.

Soutenant qu’elle avait été victime d’un accident médical non fautif grave à l’origine de son décès, son époux et ses enfants, agissant en leur qualité d’ayants droit et à titre personnel, ont assigné en réparation l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).

L’ONIAM a été condamné à indemniser leurs préjudices au titre de la solidarité nationale sur le fondement de l’article L1142-1, II, du Code de la santé publique.

Devant la Cour de cassation, l’ONIAM a contesté l’arrêt du second juge en ce qu’il a indemnisé, d’une part, l’assistance bénévole qu’apportait la victime directe à son époux avant son décès pour les tâches ménagères du quotidien et, d’autre part, le préjudice sexuel de l’époux.

II. L’indemnisation de la victime indirecte au titre de l’assistance de la victime directe pour les tâches ménagères est approuvée par la Cour de cassation pour la période après le décès.

La Haute juridiction adhère à la solution du second juge dans les termes suivants :

« Ayant constaté qu’avant la survenue de l’accident médical, X... assistait quotidiennement son époux pour les tâches ménagères, lequel n’était pas en mesure de les assumer, ce que ne contestait pas l’ONIAM, c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit que la perte de cette assistance, consécutive au décès de celle-ci, constituait un préjudice économique indemnisable au titre de la solidarité nationale et a alloué, pour l’avenir, à Y... une rente trimestrielle viagère, après avoir fixé à une heure par jour l’assistance que lui procurait son épouse ».

La Cour de cassation décide ainsi que l’aide ménagère de la victime directe apportée à la victime indirecte est un poste de préjudice indemnisable pour la période après le décès de la première au titre du préjudice économique personnel de la seconde.

En effet, en cas d’accident médical non fautif grave, l’article L1142-1, II, du Code de la santé publique dispose qu’après le décès de la victime directe, ses ayants droit bénéficient d’une réparation intégrale (donc sans perte ni profit) de leur préjudice par l’ONIAM. 

Cependant, en ajoutant la précision selon laquelle l’indemnisation concerne la période consécutive au décès, la décision de la Cour de cassation respecte la lettre de ce texte qui ne mentionne pas les préjudices subis par la victime indirecte avant le décès de la victime directe.

Dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation a observé que la victime indirecte n’était pas en mesure d’assumer les tâches quotidiennes et que l’ONIAM n’a pas contesté ce point. On peut ainsi se poser la question de savoir si la solution aurait été la même dans le cas où la victime indirecte aurait pu assumer ces tâches.

III. En revanche, l’indemnisation du préjudice sexuel de la victime indirecte, en tant que poste de préjudice distinct, n’est pas approuvée par la Cour de cassation pour la période après le décès.

Sur la question du préjudice sexuel, l’arrêt de la Haute juridiction obéit logiquement à cette interdiction de l’article L1142-1, II, du Code de la santé publique d’indemniser au titre de la solidarité nationale la victime indirecte avant le décès de la victime directe :

« Vu l’article L1142-1, II, du Code de la santé publique et le principe d’une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

En application de ce principe, le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, peut être éprouvé par ricochet par le conjoint de la victime directe qui, à la suite du fait dommageable, subit elle-même un tel préjudice.

Cependant, dans le cas d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale sur le fondement du texte susvisé, les préjudices de la victime indirecte éprouvés du vivant de la victime directe n’ouvrent pas droit à réparation ».

Donc, bien que la victime indirecte puisse obtenir une indemnisation de ses préjudices par l’ONIAM après le décès de la victime directe, la Cour de cassation décide, de manière un peu inattendue, que le préjudice sexuel se trouve déjà indemnisé dans un autre chef de préjudice :

« Et les conséquences personnelles éprouvées par la victime indirecte, à la suite du décès de son conjoint, telles que la privation de relations sexuelles avec lui, sont indemnisées au titre du préjudice d’affection.

Pour allouer à Y... une indemnité au titre de son préjudice sexuel, l’arrêt retient que les experts ont constaté, en raison de l’accident médical, l’existence d’un tel préjudice subi par X..., qualifié de très important, et que celle-ci étant décédée des suites de cet accident, la réalité du préjudice sexuel par ricochet de son époux se trouve établie.

En statuant ainsi, alors que le préjudice sexuel invoqué par Y..., du vivant de son épouse comme après son décès, n’ouvrait pas droit à une telle indemnisation, la cour d’appel a violé le texte et le principe susvisés ».

Tout en approuvant naturellement la possibilité des ayants droit d’obtenir une indemnisation au titre de la solidarité nationale, la Cour de cassation décide que le préjudice sexuel est déjà indemnisé dans le poste du préjudice d’affection.

La nomenclature Dintilhac décrit le préjudice d’affection de l’ayant droit de la manière suivante : « Il s’agit d’un poste de préjudice qui répare le préjudice d’affection que subissent certains proches à la suite du décès de la victime directe. Il convient d’inclure, à ce titre, le retentissement pathologique avéré que le décès a pu entraîner chez certains proches ».

Le préjudice sexuel n’y est pas mentionné explicitement. Selon la décision rapportée, il peut s’agir d’un élément du « retentissement pathologique avéré que le décès a pu entraîner chez certains proches ».

Cela pourrait apparaître contraire à un autre arrêt de la Cour de cassation qui a décidé que, n’indemnise pas deux fois le même préjudice, une cour d’appel qui alloue à la veuve d’une victime d’infraction une certaine somme au titre du préjudice d’affection et une autre somme pour le préjudice résultant de l’atteinte à son intégrité psychique, consécutive à l’accident, réparé au titre des postes des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent [3].

On voit difficilement pourquoi les souffrances endurées ou le déficit fonctionnel de l’ayant droit, fût-ils consécutifs à une infraction et non à un accident médical non fautif, devraient recevoir un traitement juridique différent que celui du préjudice sexuel.

En effet, tout comme l’indemnisation de l’ayant droit de la victime d’une infraction, l’article L1142-1, II, du Code de la santé publique permet la réparation intégrale des préjudices subis par l’ayant droit de la victime d’un accident médical non fautif grave.

En tout état de cause, le rangement du préjudice sexuel de l’ayant droit dans le poste du préjudice d’affection nécessite une prise en compte intégrale par le juge du fond dans le quantum de l’indemnisation. Autrement dit le montant de l’indemnisation du préjudice d’affection et du préjudice sexuel ensemble doit traduire l’inclusion de ce dernier.

IV. Côté pratique pour l’avocat spécialiste dans les erreurs médicales.

En cas de décès de la victime directe après un accident médical non fautif grave, l’article L1142-1, II, du Code de la santé publique permet l’indemnisation (au titre de son préjudice économique personnel) de l’assistance quotidienne dont bénéficie l’ayant droit pour les tâches ménagères qu’il n’était pas en mesure d’assumer.

En vue d’une meilleure indemnisation, l’avocat en droit de la santé peut se référer aux données publiées par l’INSEE sur le temps consacré en France aux tâches ménagères [4]. En effet, selon l’arrêt de la Cour de cassation, le juge du fond a retenu une heure par jour ce qui est nettement inférieur aux données de l’INSEE pour l’accomplissement de l’ensemble des tâches ménagères. Il convient aussi de demander un chef de mission dans l’expertise médicale sur ce point.

Quant au préjudice sexuel de l’ayant droit, l’avocat doit préciser dans ses conclusions que le préjudice d’affection inclut le préjudice sexuel. Par suite, la demande de l’indemnisation au titre du préjudice d’affection peut exposer séparément celle du préjudice sexuel pour enfin formuler une demande globale qui tient compte explicitement de cette dimension supplémentaire.

Dimitri PHILOPOULOS
Avocat à la Cour de Paris
Docteur en médecine
https://dimitriphilopoulos.com

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Notes de l'article:

[1Ainsi qu’une affection iatrogène ou une infection nosocomiale.

[2Cass. Civ. 1, 30 juin 2021, pourvoi n° 19/22787.

[3Cass. Civ. 2, 23 mars 2017, pourvoi n° 16-13.350.

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