Brevetabilité des simulations par ordinateur en Europe : un retour aux fondamentaux.

Par Yves de Saint-Pern et Thomas Moisand, CPI.

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Explorer : # brevetabilité # simulations par ordinateur # office européen des brevets # décision g1/19

Des vues divergentes sur la manière d’apprécier la brevetabilité de simulations numériques se sont fait entendre ces dernières années au sein de l’Office Européen des Brevets.
La Grande Chambre de recours de l’OEB vient de mettre fin à ce débat. Selon elle, l’approche dite COMVIK, utilisée classiquement pour évaluer la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur, s’applique telle quelle aux simulations.

-

Le 10 mars 2021, la Grande Chambre de recours de l’Office Européen des Brevets (OEB) a rendu la décision G1/19 relative à la brevetabilité des inventions portant sur des simulations mises en œuvre par ordinateur.

Cette décision était très attendue, étant donné l’importance des technologies de simulation numérique dans tous les domaines industriels et le nombre croissant de demandes de brevet européen portant sur ce type d’inventions.

Le contexte.

La décision G1/19 trouve son origine dans une demande de brevet portant sur « un procédé mis en œuvre par ordinateur pour simuler le mouvement d’une foule de piétons à travers un environnement » [1].

La Chambre de recours 3.5.07 chargée d’examiner cette demande de brevet a manifesté l’intention de s’écarter de raisonnements développés dans une décision antérieure [2] de l’OEB plutôt favorable à la brevetabilité de simulations.

Soucieuse d’une application uniforme du droit, la Chambre 3.5.07 donc a posé les questions suivantes à la Grande Chambre de recours :
- Dans le cadre de l’évaluation de l’activité inventive, une simulation par ordinateur d’un système ou procédé technique peut-elle résoudre un problème technique en produisant un effet technique allant au-delà de l’implémentation de la simulation sur un ordinateur, si la simulation par ordinateur est revendiquée comme telle ?
- Si la réponse à cette première question est oui, quels sont les critères pertinents pour déterminer si une simulation par ordinateur revendiquée comme telle résout un problème technique ? En particulier, le fait que la simulation se fonde au moins en partie sur des principes techniques sous-jacents du système ou du procédé simulé est-elle une condition suffisante ?
- Quelles sont les réponses aux questions 1) et 2) si la simulation par ordinateur est revendiquée comme faisant partie d’un procédé de conception, en particulier pour vérifier une conception (« design ») ?

Réponses apportées par la Grande Chambre de recours.

Pour la Grande Chambre, aucun groupe d’inventions mises en œuvre par ordinateur ne peut a priori être exclu de la brevetabilité. Comme toute autre invention mise en œuvre par ordinateur, une simulation peut tout à fait résoudre un problème technique, et ce même si sa sortie n’a aucun lien avec la réalité physique.

La Grande Chambre manifeste sa volonté qu’une simulation soit traitée, sur le plan de la brevetabilité, sur un pied d’égalité avec toute autre invention mise en œuvre par ordinateur.

La Grande Chambre considère à cet égard que la technicité d’un objet simulé ne devrait pas être une question décisive pour évaluer la brevetabilité d’une simulation de cet objet. Autrement, les simulations bénéficieraient d’un régime privilégié ou désavantagé par rapport aux autres inventions mises en œuvre par ordinateur.

La Grande Chambre consacre dès lors l’approche Comvik [3] comme étant adaptée pour apprécier la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur, dont les simulations.

En appliquant l’approche Comvik à une simulation, il convient de se demander si la simulation contribue à la solution technique d’un problème technique.

Positionnement de la décision G1/19 par rapport à la jurisprudence récente.

La décision G1/19 est remarquable par le fait qu’elle vient en partie désavouer des raisonnements développés dans des décisions antérieures assez récentes ayant déjà traité la question de la brevetabilité de simulations mises en œuvre par ordinateur (T1225/052 et T625/11 [4]). Dans chacune de ces décisions, le caractère technique de l’objet simulé (un circuit électronique et une centrale nucléaire, respectivement) avait été considéré comme un critère pertinent, voire même suffisant d’après le sommaire de la décision T1225/05, pour conclure au caractère technique de la simulation réalisée.

Dans un esprit conservateur, la Grande Chambre de recours fonde sa décision G1/19 en combinant deux principes généraux établis de longue date par la jurisprudence :
- L’approche Comvik, selon laquelle seules les caractéristiques contribuant au caractère technique d’une invention sont prises en considération pour apprécier l’activité inventive [5],
- L’approche « whole scope », selon laquelle un prérequis pour satisfaire l’exigence d’activité inventive est que l’invention doit résoudre un problème technique sur toute la portée de la revendication (voir points 84, 95, 98, 116 de la décision G1/19) et il y a des limites strictes pour la prise en considération d’effet techniques « potentiels » (point 133).

En combinant ces deux principes, la Grande Chambre considère qu’une contribution technique peut résider soit dans des effets techniques intrinsèques à la simulation (tels que par exemple réduire une charge de calcul) soit dans l’utilisation technique ultérieure du résultat de la simulation.

Dans ce second cas, l’exigence d’effet sur toute la portée de la revendication, peut constituer un obstacle lorsque cette utilisation technique ultérieure ne transparait pas de la revendication.

En effet, une telle revendication couvre non seulement cette utilisation technique du résultat de la simulation, auquel cas un problème technique est résolu, mais également des utilisations non techniques du résultat de cette simulation, auquel cas aucun problème technique n’est résolu.

Pour se prévaloir d’un effet technique se produisant dans une utilisation technique ultérieure d’un résultat de simulation, il faudrait, d’après la Grande Chambre, que cette utilisation soit spécifiée au moins implicitement dans la revendication (point 124).

La Grande Chambre réfute par ailleurs certains arguments qui ont été avancés au soutien du caractère technique des simulations :
- Elle est d’avis que la simple obtention par le calcul de données de sortie reflétant le comportement d’un système ne permet pas d’établir le caractère technique du procédé, et ce même si le système en question est technique (voir points 120, 128). Il s’agit à notre sens d’un point de divergence important avec les décisions antérieures T1225/05 et T625/11,
- Elle est par ailleurs d’avis que permettre d’éviter de devoir construire des prototypes ne peut pas être considéré comme un problème technique (point 123).

Selon elle, la décision de construire ou non un prototype est une décision de nature commerciale (« business decision ») prise en aval par un humain, et n’est donc pas la conséquence directe de la simulation.

Points positifs et négatifs de la décision.

La décision G1/19 a ceci de positif pour les praticiens qu’elle n’introduit pas de complexité supplémentaire à la jurisprudence existante en matière de brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur. En réaffirmant l’approche Comvik, elle devrait permettre à ceux-ci de se positionner de manière prédictible [6] sur la brevetabilité d’une invention mettant en œuvre une simulation.

En revanche, la décision G1/19 apparaît quelque peu défavorable aux demandeurs cherchant à obtenir des brevets européens portant sur des simulations numériques, notamment en ce qu’elle vient freiner l’évolution portée par les décisions T1225/05 et T625/11. Ainsi, des arguments soulignant le caractère technique de l’objet simulé ou de paramètres utilisés par la simulation risquent d’être considérés à l’avenir comme insuffisants. Ces exigences plus sévères devraient contraindre les demandeurs à limiter la portée de leurs revendications, en venant par exemple mentionner explicitement l’utilisation technique qui est faite des résultats de la simulation.

Yves de SAINT-PERN & Thomas MOISAND
Conseils en Propriété Industrielle et Mandataires en Brevets Européens

REGIMBEAU
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saint-pern chez regimbeau.eu
moisand chez regimbeau.eu

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Notes de l'article:

[4T 625/11.

[6Pour autant qu’ils puissent répondre à l’épineuse question de ce qu’il faut entendre par « technique » en droit européen des brevets, la présente décision n’apportant pas d’élément de clarification à ce sujet.

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