La cession des droits de reproduction d'une œuvre de l'esprit implique-t-elle la cession du droit de déposer cette oeuvre à titre de marque ? Par Charles Morel, Avocat et Camille Vallaud, Juriste

La cession des droits de reproduction d’une œuvre de l’esprit implique-t-elle la cession du droit de déposer cette oeuvre à titre de marque ?

Par Charles Morel, Avocat et Camille Vallaud, Juriste

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Explorer : # droit d'auteur # droit des marques # cession de droits # propriété intellectuelle

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Dans un arrêt récent (Cass. com., 16 février 2010, pourvoi n°09-12.262), la Cour de cassation clarifie l’articulation entre droit d’auteur et droit des marques.

L’auteur d’une oeuvre de dessin avait cédé une partie de ses droits, plus précisément les droits de reproduction de cette oeuvre sur des flacons de parfums, à la société L’Oréal. Cette dernière avait par la suite déposé à titre de marque le flacon reproduisant cette oeuvre et désigné les produits pour lesquels la reproduction avait été autorisée.

La question qui se posait en l’espèce était la suivante : l’auteur d’une oeuvre de l’esprit ayant cédé ses droits de reproduction d’une oeuvre destinée à être apposée sur certains produits peut-il légitimement s’opposer à son dépôt à titre de marque ?

I- La cession des droits de reproduction d’une oeuvre de l’esprit n’implique pas la cession du droit de déposer cette oeuvre à titre de marque

La société L’Oréal estimait qu’il importait peu que la cession des droits de reproduction sur différents supports n’ait pas expressément envisagé le cas d’un dépôt de marque. Il s’agissait d’une conséquence logique à laquelle l’artiste ne pouvait légitimement s’opposer, sauf clause contraire.

Ainsi, la société L’Oréal soutenait que, « eu égard à la suite que l’usage donne d’après sa nature à l’obligation contractée par l’auteur qui a cédé ses droits sur un dessin aux fins de reproduction de celui-ci sur des étuis et emballages de produits destinés à être exploités commercialement, sauf clause expresse l’interdisant, le dépôt à titre de marque d’un emballage reproduisant ledit dessin pour désigner les produits pour lesquels sa reproduction a été autorisée ne constitue pas un acte de contrefaçon ».

La Cour d’appel de Paris avait adopté une position tout à fait différente, considérant que l’autorisation de déposer la marque n’ayant pas été explicitement accordée, il n’y avait pas lieu d’en déduire l’existence.

La Cour de cassation s’aligne sur cette solution : « aucun usage » n’impose « qu’à elle seule et sauf clause contraire expresse, la cession des droits de reproduction d’une oeuvre sur des étuis et emballages implique cession du droit de déposer ce dessin en tant que marque ».

II- Une solution classique favorable aux auteurs

Cette solution témoigne du respect de la lettre de l’article L. 131-3, alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle : «  la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».

Elle est également une parfaite illustration du principe de l’interprétation stricte des contrats portant sur le droit d’auteur, dont il découle que « l’auteur est supposé s’être réservé tout droit ou mode d’exploitation non expressément inclus dans un contrat de cession » (CA Versailles, 1ère chambre, 13 février 1992).

Il s’agit d’un principe classique régulièrement rappelé par la Cour de cassation et qui s’applique à l’ensemble des oeuvres de l’esprit, indépendamment de leur nature.

Ainsi, en matière d’oeuvre de dessin, la jurisprudence a déjà jugé que les droits de reproduction d’une illustration ayant été cédés pour figurer sur un disque d’une certaine envergure et à une date précise, la reproduction de cette même illustration sur l’édition ultérieure du même disque ou sur d’autres supports en l’absence d’autorisation expresse constituait une atteinte aux droits patrimoniaux de l’auteur (TGI de Paris, 3ème chambre civile, 11 juillet 2007, RG n°06/12584).

Le contentieux en la matière est particulièrement dense en matière d’oeuvre photographique. L’autorisation portant sur la reproduction d’une oeuvre pour l’édition de cartes postales n’entraîne pas accord pour la reproduction à des fins d’illustration de prospectus et d’annonces publicitaires (Cass. Civ. 1re, 4 février 1975, n°73-12783) ou encore la cession du droit de reproduire des photographies pour illustrer une encyclopédie n’emporte pas le droit de les utiliser pour la version cédérom de cet ouvrage (Paris, 12 décembre 2001).

Si les obligations contractées par les parties sont en principe circonscrites à ce qui a été expressément prévu au contrat, la notion de « suite que l’usage donne aux obligations contractées », avancée par la défense dans cette affaire, n’est pas nouvelle.

La Cour de cassation l’avait elle-même employée pour promouvoir une solution peu favorable aux auteurs. Ainsi, dans un arrêt du 15 mai 2002, la première chambre civile avait affirmé que « la prohibition contractuelle de l’emploi publicitaire d’un cliché dont le droit de reproduction a été acquis pour illustrer la couverture d’un magazine ne s’étend pas, eu égard à la suite que l’usage donne à l’obligation d’après sa nature et sauf clause contraire expresse, à l’exposition publique de celle-là lorsqu’elle est faite pour la promotion des ventes de celui-ci » (Cass. Civ. 1ère, 15 mai 2002, 99-21090).

Bien que les circonstances de l’espèce étaient assez différentes - il ne s’agissait pas de déterminer les conséquences de l’interdiction de reproduction d’une oeuvre mais, au contraire, celles de son autorisation -, ce principe aurait pu trouver à s’appliquer. En effet, en 2002, la jurisprudence semblait avoir été sensible à la logique commerciale. Si l’emploi publicitaire du cliché n’était pas autorisé de manière générale, il aurait été assez singulier que l’auteur du cliché puisse simultanément autoriser sa reproduction sur la couverture d’un magazine - et, par conséquent, tirer profit de cette autorisation - et interdire qu’il soit utilisé lors de la promotion de celui-ci. Cela revenait tout simplement à interdire ou, tout au moins, rendre impossible toute publicité concernant ce numéro et, par conséquent, réduire sensiblement ses possibilités d’exploitation.

L’impossibilité de déposer à titre de marque un flacon reproduisant une oeuvre de dessin en l’absence d’autorisation entrave également l’activité de la société exploitante. Néanmoins, la logique commerciale impliquant une solution inverse est beaucoup moins évidente.

La solution retenue par l’arrêt du 16 février 2010 respecte parfaitement l’esprit extrêmement favorable aux auteurs du droit de la propriété intellectuelle. En matière de cession de droits, il importe en effet de prémunir ceux-ci contre toute cession abusive. Elle est particulièrement juste d’un point de vue financier car l’auteur du dessin aurait sans doute négocié à la hausse le contrat de cession si un dépôt du flacon le reproduisant à titre de marque avait été envisagé.

Néanmoins, elle aboutit également à créer une situation pour le moins étrange : si l’auteur du dessin est seul à même de le déposer à titre de marque, pourrait-il l’exploiter en tant que tel alors même que le même dessin est présent sur les flacons de parfum de la société L’Oréal ? En effet, la grande marque de cosmétiques pourrait alors soutenir que l’exploitation de cette marque constitue un acte de concurrence déloyale.

En tout état de cause, cette décision rappelle qu’il est essentiel d’être précis et prévoyant lors de la rédaction d’un contrat de cession de droits d’auteur.

Charles MOREL,

Avocat à la Cour, droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies, droit pénal et droit de la presse

http://avocats.fr/space/charles.morel

Camille VALLAUD,

Juriste Marques, Dessins et Modèles CEIPI

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