Jusqu’aux revenus de 2024, un gérant majoritaire dans une société d’exercice libéral s’il percevait une rémunération de 100.000€, les 100.000€ étaient déduits de la société d’exercice libéral, les charges sociales afférentes à cette rémunération de 100.000€ payées et provisionnées, puisque c’est un régime créances dettes (comptabilisés et déduits dans la société d’exercice libéral).
A partir des revenus de 2024, selon la règle qui a été édictée par la jurisprudence du Conseil d’Etat et applicable désormais, pour une même rémunération de 100.000€, l’administration considère que la rémunération de gérants, sauf à la démontrer preuve à l’appui, ne peut pas être supérieure à 5%. C’est un seuil qui a été déterminé unilatéralement par l’administration fiscale dans le BOFIP (BOI-RSA-GER-10-30 et BOI-RES-BNC-000136).
Il est possible d’aller au-delà du seuil de 5%, mais charge pour l’associé qui veut s’en prévaloir de le démontrer, sachant que cette démonstration ne peut pas s’autosuffire, par exemple, de la fixation dans le PV d’Assemblée Générale, d’une rémunération de gérant qui serait de 30 000€ au lieu de 5 000€. Le fait de matérialiser l’activité de gérant, par exemple, par la tenue de feuilles de temps (entre répartition de l’activité entre une activité de pur gérant et l’activité technique), ne représentera que peu d’intérêt, dès lors que les activités de gérant, considérées en tant que tel par l’Administration Fiscale sont très limitées.
Par exemple, sont exclus de l’activité de gérance, le traitement administratif d’un cabinet, c’est-à-dire facturer, relancer les clients, faire des rendez-vous, faire de la prospection, etc.
Seuls, pourraient être considérés comme entrant dans les fonctions de gérant, les rendez-vous avec des tiers hors clients (banquiers par exemple), et la convocation, la tenue des assemblées générales, les décisions prises par les associés…
Donc première contrainte de ce changement, en reprenant notre exemple :
Pour une rémunération de 100 000€ perçue au cours de l’exercice 2023 par un gérant majoritaire d’une société d’exercice libéral, imposée à titre personnel en catégorie des traitements et salaires (article 62 du CGI) à hauteur de 90 000€, après application de la déduction forfaitaire de 10% pour frais professionnels, soit une assiette taxable à l’impôt sur le revenu de 90.000€.
Au cours de l’année 2024, sur une même rémunération perçue, le gérant majoritaire d’une SEL, déclarera 5.000€ en traitements et salaires, soit une assiette taxable de 4.500€ (après déduction des 10% pour frais professionnels) et un revenu BNC de 95.000€ taxable dans sa globalité.
Dès lors, pour une même rémunération, l’assiette taxable à l’impôt sur le revenu passera de 90.000€ en 2023, à 99.500€ en 2024, soit, dans cet exemple, 9.500€ supplémentaires de base taxable.
En raisonnant à partir d’un taux moyen d’imposition évalué à 30%, l’impact pour l’associé gérant majoritaire serait de 2.850€ d’impôt supplémentaire.
A cela s’ajoute une problématique relative à l’affectation des charges/dépenses entre la SEL et la rémunération désormais imposée dans la catégorie des BNC de l’associé.
Dans une société d’exercice libéral, qui est par nature à l’IS (donc en créances/dettes), sur la base d’une rémunération de 100 000€, l’associé, au cours de l’exercice considéré aura environ 30 000€ de charges sociales.
Au moment de l’établissement du bilan de la SEL, un calcul réel des charges sociales afférentes à sa rémunération sera effectué, et la différence entre cette charge réelle et les charges effectivement payées au cours de l’exercice sera comptabilisé par le biais de provisions.
A titre d’illustration, si les charges réellement payées par la SEL étaient de 30 000€, mais qu’elles auraient dû être de 40 000€, une provision serait constatée dans la comptabilité de la SEL, à hauteur de 10.000€ afin que les charges totales soient de 40.000€.
Désormais, et compte tenu du changement de régime fiscal des rémunérations techniques de gérants de SEL, à partir du même exemple que ci-dessus, l’associé sera assujetti aux charges sociales correspondant à la rémunération BNC qu’il aura déclaré en mai de l’année suivant la perception de cette rémunération, et ne pourra déduire de son BNC que le montant des charges réellement payées. Il n’y aura donc plus de provision à constituer.
Mais le problème est encore plus important en 2024/2025. Au cours de l’exercice 2024, l’associé gérant d’une SEL, perçoit une rémunération, et la SEL verse les charges sociales de l’associé, calculées selon la rémunération réelle de 2023 (pour la partie à régulariser) et la rémunération prévisionnelle 2024 (pour les appels provisionnels).
A la fin de l’exercice 2024, la SEL aura donc payé, pour le compte de l’associé gérant, ses cotisations définitives 2023, et ses cotisations prévisionnelles 2024, qui devraient être régularisées au cours de l’année 2025.
Mais, en mai 2025, du fait de la modification du régime actuel, la SEL déclarera une rémunération Art 62 du CGI de 5.000€ et l’associé gérant déclarera un BNC de 95.000€. C’est donc sur cette dernière somme (95.000€) que les URSSAF et Caisses de retraite vont se baser pour appeler les cotisations définitives 2024, et prévisionnelles 2025, au nom de l’associé gérant.
Compte tenu de la nécessité de disposer, en qualité de contribuable BNC d’un numéro de SIREN propre, il y a fort à parier que l’URSSAF ne soit pas en mesure de faire le lien entre les cotisations à verser au titre de la rémunération perçue en 2024 (basées sur 95.000€ de revenus), et les cotisations d’ores et déjà payées au cours de l’exercice 2024, par la SEL.
Aussi, dès 2025, l’associé gérant devra s’acquitter de ses cotisations sociales personnelles, directement, sans que la SEL les verse pour son compte.
En d’autres termes, cela signifie tout simplement que la SEL va devoir augmenter la « rétrocession » à son associé, non seulement du montant de sa rémunération, mais également des charges sociales y afférents.
Dans l’exemple ci-avant, cela signifie donc que la SEL va devoir verser une rétrocession à son gérant de 95.000€ augmentée de 30.000€, soit 125.000€.
Dans sa déclaration 2035 de l’exercice 2025, l’associé gérant devra donc déclarer en recettes cette somme de 125.000€, et en charges, les charges sociales qu’il aura réellement payées, soit dans un monde idéal, 30.000€, mais compte tenu du système de calcul des URSSAF, probablement un montant différent. En particulier, l’année 2025, puisqu’il sera impossible aux URSSAF de déterminer exactement les cotisations 2025, dès lors qu’elles ne pourront se baser que sur la déclaration des revenus de 2024.
Ce mécanisme démontre donc, à ce stade, l’inutilité d’une SEL, en tant qu’outil de gestion de ses rémunérations.
Enfin, une question se pose, en plus de celle de la rémunération et des charges sociales.
Oublions la question spécifique de l’associé gérant d’une SEL, désormais imposable en BNC, et étudions la question des confrères exerçant en BNC, sans structure.
Dans ce cas, les recettes sont composées des honoraires encaissés, et les charges, de l’ensemble des charges décaissées au cours de l’exercice, charges nécessaires à l’activité du confrère. Il peut donc déduire le loyer de son local professionnel, ses frais de déplacement, de téléphonie, ses fournitures administratives, ses abonnements juridiques, etc.
Dès lors, en reprenant l’exemple de l’associé gérant de SEL, jusqu’alors, l’ensemble des charges nécessaires à sa profession étaient facturées et payées par la SEL (loyer, frais de déplacement, téléphonie, fournitures administratives, abonnement, etc…).
Désormais, l’Administration Fiscale considère que la rémunération « technique » est soumise au régime des BNC. Mais dans ce cas, ne faut-il pas considérer que les charges « techniques », c’est-à-dire celles nécessaires à l’activité professionnelle, doivent être supportées par l’associé gérant, et déduites de son BNC ?
Si nous suivons cette logique, cela signifie donc, de manière tout à fait empirique, que la SEL va poursuivre ses relations contractuelles (bail, abonnement, frais de véhicule…), payer ses charges, mais celles-ci étant appréciées comme des charges techniques pour l’associé gérant, la SEL va les annuler comptablement par le biais d’un transfert de charges, puis les comptabiliser en rétrocession d’honoraires à destination de l’associé gérant.
Poussons donc le raisonnement à son paroxysme, et prenons l’exemple assez courant d’une SELARLU, donc une SEL à associé unique.
Que restera-t-il en matière de résultat dans cette SELARLU, si l’ensemble des charges qu’elle paie actuellement pour son associé unique gérant, bascule sous la forme de rétrocession à son associé unique gérant, pour être déclarées, par celui-ci, dans sa 2035 personnelle ? Rien.
La SEL se trouve donc totalement vidée de sa substance, et ne présente plus d’intérêt.
La réforme purement fiscale qui s’est donc opérée par le biais de ce changement de régime fiscal des rémunérations versées aux associés gérants de SEL, conduit donc indubitablement à considérer, voire à assimiler, une SEL à une AARPI.
Le deuxième point, est que cette réforme conduit à devoir tenir a minima, deux comptabilités, celle de la SEL, et celle de l’associé gérant, s’il est seul, de devoir déposer deux déclarations, celle de la SEL, et une 2035 pour l’associé gérant.
Enfin, dernier point, et non des moindres, cette modification de catégorie de revenus imposables, conduit, inexorablement, à une augmentation de la fiscalité personnelle du gérant associé, dès lors qu’il perde le bénéfice de la déduction forfaitaire pour frais professionnels de 10% applicable pour les traitements et salaires, et les rémunérations Article 62 du CGI.
Il s’agit donc, ni plus ni moins, que d’une augmentation d’impôt cachée, et surtout, se pose une dernière question, en matière d’égalité devant les charges publiques, puisque ce régime ne s’applique qu’aux SEL (professions libérales) et non aux professions non règlementées qui, exerçant dans une structure de type SARL, SAS ou SA, ne sont pas concernées par ce dispositif, alors même qu’il est certain qu’une partie non négligeable de leur rémunération pourrait être qualifiée de technique.
Discussion en cours :
Mon cher confrère Votre article est très clair et expose bien les conséquences de ce changement de posture qui semble toutefois logique pour l’activité d’avocat ou de médecin par exemple en elle même. Néanmoins il me semble que lorsque qu’un avocat est le dirigeant d’un cabinet très important avec de nombreux collaborateurs la part de son activité de gérance doit être beaucoup plus importante ? Par ailleurs du fait de cette caractérisation des revenus de l’avocat exerçant en SEL en BNC ne peut on pas contester du coup l’imposition des dividendes aux charges sociales car étant un surplus qui ne correspond pas à des revenus d’activités lesquels sont taxés en BNC maintenant l’état et les organismes sociaux étant là encore gagnants sur tous les tableaux...