Les applications de la blockchain, la fiscalité et l'administration fiscale. Par Arnaud Tailfer, Avocat et Briac Duhot, Elève-avocat.

Les applications de la blockchain, la fiscalité et l’administration fiscale.

Par Arnaud Tailfer, Avocat et Briac Duhot, Elève-avocat.

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S’il est une question d’actualité et dans l’air du temps fiscal en ce début 2022, c’est bien le régime juridique et fiscal applicable aux applications de la blockchain. Sans être arrivée à maturité suffisante pour se voir doter d’un régime juridique clair, l’industrie connait aujourd’hui de multiples applications et a capté de nombreux investisseurs. Les enjeux financiers soulevés sont désormais conséquents.
Nous nous proposons de cerner les questions que pourrait se poser l’administration fiscale.

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Sans avoir vocation à répondre aux multiples interrogations soulevées par les crypto-actifs, tant par leur nature que par leur utilisation, nous synthétiserons ci-après les principaux enjeux fiscaux. Certaines questions sont entières, d’autres partiellement résolues et nous ne doutons pas que si ces supports continuent à attirer autant d’investisseurs, l’administration fiscale finira aussi par s’intéresser sérieusement au sujet.

I. Régime des actifs numériques pour les investisseurs

La qualification et le régime des actifs numériques sont les plus développés même si certaines questions restent entières.

A) Qualification juridique

L’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier (CMF) définit l’actif numérique comme toute valeur, échangeable sans duplication sur une blockchain à savoir, d’une part, les jetons de protocole qui permettent de faire fonctionner une blockchain publique et d’autre part, les jetons d’application qui peuvent représenter numériquement toute sorte de droit.

Nous trouvons :

-  Les monnaies virtuelles (Coins) qui sont des jetons de protocole qui servent avant tout à la rémunération des mineurs qui travaillent à la validation des blocks, avant de servir de monnaie d’échange sous forme numérique ;

-  Les jetons utilitaires (Utility tokens) qui sont émis à l’occasion d’une offre au public. Ces jetons représentent un ou plusieurs droits numériques.

B) Régime fiscal

Le régime fiscal des actifs numériques est précisé à l’article 150 VH bis du Code Général des Impôts (CGI). Ce régime emporte deux séries de conséquences :

-  D’une part, la fiscalité ne trouve à s’appliquer qu’en cas de cession à titre onéreux d’actifs numériques en échange d’une contrepartie autre que des actifs numériques. Il faut donc comprendre que l’échange d’un actif numérique contre un autre actif numérique n’est pas imposé à cet instant.

-  D’autre part, ce régime fiscal ne s’applique qu’aux personnes physiques et il convient de distinguer :

1. L’investisseur personne physique qui :

- En cas de cessions occasionnelles, est soumis à une imposition forfaitaire au taux de 30% (12,8% d’impôt sur le revenu et 17,2% de prélèvements sociaux) sur les plus-values réalisées, sauf pour les cessions dont le montant total au cours d’une année n’excède pas 305 €. Les moins-values ne sont pas reportables. A compter du 1er janvier 2023, les particuliers pourront opter pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu.

- En cas de cessions habituelles, est pour l’heure soumis au régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) avec une soumission au barème de l’impôt sur le revenu, sur un revenu net calculé après déduction des charges éligibles ou d’un abattement forfaitaire.

Pour autant, la position de l’administration a été remise en question. En cause, l’incertitude encadrant la notion d’habitude. Une disposition de la Loi de Finances pour 2022 aligne ainsi, à compter du 1er janvier 2023, la caractérisation d’une activité à titre professionnel en matière de transaction sur actifs numériques sur celle d’opération de bourse.

Pour mémoire, les indices révélant une opération de bourse réalisée à titre professionnel sont notamment, la détention, la maîtrise et l’utilisation d’informations et de techniques d’interventions spécialisées ainsi que la recherche organisée au profit d’opérations boursières nombreuses et sophistiquées. Peut également être pertinente une comparaison avec les autres revenus. En toute hypothèse, les opérations devront être réalisées personnellement par les contribuables. Il s’agit bien d’une analyse factuelle à mener au cas par cas. Reste à déterminer si pour l’administration fiscale la prise de participation sur les marchés financiers est similaire à l’acquisition d’actifs numériques afin d’identifier si les critères précédents resteront pertinents.

2. L’investisseur personne morale non translucide sera pour sa part soumis à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun. Cet impôt sera supporté sur les opérations portant sur les actifs numériques (y compris les échanges).

Enfin, l’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ou contre des devises traditionnelles n’est pas concerné par la TVA.

C) Conformité fiscale

Tout crypto-actif pouvant être qualifié d’actif numérique se rattache à régime fiscal établi, dont les modalités d’imposition et de recouvrement sont définies.

Pour simplifier ses opérations de contrôle, l’administration fiscale peut se fonder sur l’obligation déclarative des références des comptes d’actifs numériques à l’étranger (type custodial) pour récupérer les informations pertinentes à une vérification approfondie (notamment une assistance administrative internationale). A noter que le manquement à l’obligation déclarative est sanctionné par une amende de 750 € par compte non déclaré alors que l’omission et l’inexactitude au sein de la déclaration sont sanctionnées d’une amende de 125 € (ces montants peuvent être doublés si le solde du compte est supérieur à 50 000 €).

Le dispositif apparait calqué sur l’obligation déclarative des comptes à l’étranger. Pour autant, le législateur ne semble pas avoir adapté le délai de reprise (délai pour opérer des redressements) en prévoyant qu’il serait étendu à 10 ans en cas de défaut déclaratif des comptes d’actifs numériques. Le délai applicable semble ainsi être à ce jour de 3 ans (i.e. jusqu’au 31 décembre de la 3ème année suivant l’année au titre de laquelle l’impôt est dû), sans préjudice d’une future intervention du Législateur (pour aligner tous les délais sur 10 ans en cas d’omission déclarative de comptes à l’étranger).

En pratique, les règles sont claires mais l’administration fiscale ne semble pas disposer de moyens particulièrement contraignants et efficaces pour opérer ses vérifications, tant son délai pour agir peut apparaitre court.

Toutefois, ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas forcément demain (et les illustrations ne manquent pas avec l’administration fiscale).

Et il convient de garder en tête que le délai de reprise de 3 ans ne s’applique aujourd’hui qu’aux investisseurs agissant occasionnellement (ou bientôt agissant à titre non professionnel). Pour ceux ayant des politiques d’investissement plus actives, et conformément aux règles des BIC et BNC, le délai de reprise peut aller jusqu’à 10 ans dès lors que l’activité ne serait pas déclarée comme telle.

Un bien long délai pour l’administration fiscale …

II. Régime des autres crypto-actifs pour les investisseurs

En complément des actifs numériques à proprement parler, d’autres crypto-actifs doivent être présentés et présentent des similitudes avec la notion d’actif numérique. Nous nous concentrerons ci-après sur les jetons non fongibles – autrement fameusement appelés NFT.

A) Qualification des NFT

Le régime fiscal des NFT prête aujourd’hui à débat, en raison d’une absence de qualification juridique claire. Selon la qualification juridique, les régimes fiscaux pourraient être les suivants.

1) S’il s’agit d’un actif numérique

La question qui se pose à ce jour est celle de savoir si un NFT pourrait être qualifié d’actif numérique. La doctrine est partagée sur ce point et deux thèses s’affrontent :

-  Soit les jetons visés à l’article L54-10-1 du CMF seraient propre aux ICO et implicitement fongibles et représentatifs d’un droit réel sur l’émetteur
-  Soit il convient de privilégier une lecture stricte du texte L54-10-1 du CMF qui appréhenderait ainsi sans le vouloir les NFT. Le régime fiscal des actifs numériques serait ainsi applicable

Les conséquences de l’assimilation des NFT aux actifs numériques ne serait pas sans conséquence puisqu’il pourrait permettre des échanges entre coins et NFT en toute neutralité fiscale.

A ce jour, le débat reste entier et devra être clarifié soit par le juge soit par le Législateur, si tant est que les caractéristiques des NFT en question ne permettent pas de trancher la qualification.

2) S’il s’agit d’une œuvre d’art

Nous réserverons cette hypothèse puisqu’en matière fiscale, les œuvres d’art sont définies de manière exhaustive à l’article 98 A de l’annexe III du CGI (et les différents dispositifs renvoient à cette liste). L’approche est ainsi limitée à des biens avec une assise « matérielle », exclusive des NFT.

A supposer que cette position évolue, (le Législateur confortant la possibilité de regarder en transparence par exemple), il faudrait toutefois intégrer le régime spécifique applicable en matière de TVA pour les œuvres d’art ainsi qu’en matière de taxation forfaitaire. A ce jour, ces régimes ne semblent toutefois pas applicables.

3) S’il s’agit d’un bien meuble

A tout le moins, le régime des biens meubles (notamment incorporels) apparait applicable aux transactions de NFT. Ce régime s’applique à toutes cessions réalisées par un particulier dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé. Il emporte les conséquences suivantes :

-  Les ventes inférieures à 5 000 € au cours d’une année sont exonérées ;

-  Celles qui sont supérieures sont imposées à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux au taux global de 36,2% avec un abattement de 5% par année de détention au-delà de la deuxième année.

Toutefois, dès que les cessions peuvent être qualifiées d’habituelles par l’administration fiscale, ce régime ne s’applique plus. En effet, les transactions, par leur importance, leur nombre, leur fréquence ou la brièveté du délai séparant les achats des reventes, peuvent justifier l’application du régime des bénéfices industriels et commerciaux. En l’état, la jurisprudence est fournie (précisément) en matière de marchands en œuvres d’art.

Dès lors que l’activité est qualifiable d’habituelle, l’imposition se fait au regard du régime des BIC, en tant qu’activité professionnelle. Le revenu imposable est alors soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu (jusqu’à 49 %) et devrait donner lieu au paiement de cotisations de sécurité sociale.

Une omission déclarative, dans ce contexte, peut entrainer un redressement par l’administration sur le fondement de l’activité occulte, applicable aux activités professionnelles. Ce redressement emporte un prolongement du délai de reprise jusqu’à l’expiration de la 10e année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu la cession (i.e. 31 décembre 2032 pour une activité réalisée en 2022), avec une majoration de 80% des droits initialement dus.

B) La conformité fiscale

Si des doutes apparaissent, ils ne permettent à aucun instant de considérer qu’aucune fiscalité ne serait applicable.

Comme nous l’avons dépeint succinctement, la qualification juridique des différents crypto-actifs n’est pas claire, ce dont il résulte que le régime fiscal peut évoluer. Ceci étant dit, il apparait que même si la qualification d’actif numérique peut prêter à discussion, le régime des plus-values sur biens meubles peut trouver une application résiduelle, ce dont l’administration pourrait tirer argument pour imputer un caractère intentionnel à une omission déclarative.

Toujours dans la mesure où il existe un doute sur le fait que ces crypto-actifs soient qualifiables d’actifs numériques, l’obligation déclarative des comptes à l’étranger pourrait ne pas être applicable. En tout état de cause, le délai de reprise ne serait quand bien même pas étendu à 10 ans en cas de défaut déclaratif.

Ainsi, comme pour notre précédente analyse en matière d’actifs numériques, il apparait que les investisseurs occasionnels ne pourraient pas se voir, à ce jour, opposer un délai de reprise supérieur à 3 ans (i.e. jusqu’au 31 décembre de la 3ème année suivant l’année au titre de laquelle l’impôt est dû).

Mais nous réitérons notre mise en garde s’agissant des investisseurs assimilables à des acheteurs-revendeurs puisque relevant des règles des BIC, ils se verraient alors appliquer un délai de reprise allant jusqu’à 10 ans : bien assez pour que l’administration fiscale se dote des sources nécessaires à l’égard des contribuables indélicats.

Arnaud Tailfer - Avocat spécialiste en fiscalité
Briac Duhot - Elève-avocat intervenant en fiscalité

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