[Chronique] Avocates, inspirez-nous ! Entretien avec Siv-Huor Ou (5).

[Chronique] Avocates, inspirez-nous ! Entretien avec Siv-Huor Ou (5).

Propos recueillis par :
Christine Méjean et Isabelle-Eva Ternik, Avocates.

2169 lectures 1re Parution: Modifié: 2 commentaires 5  /5

"Avocates, inspirez-nous !" est une initiative de Christine Mejean et d’Isabelle-Eva Ternik qui a pour objectif le partage d’expériences professionnelles à travers des entretiens menés avec des avocates aux profils et parcours diversifiés, que le Village de la Justice a eu envie de relayer.
Pour cette nouvelle chronique [1], découvrez Siv-Huor Ou, avocate indépendante en droit de la propriété intellectuelle et qui a la particularité d’avoir une clientèle internationale. Avec pragmatisme, elle nous livre son expérience professionnelle.

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"Avocates, inspirez-nous" : les origines du projet.

La loi du 1er décembre 1900 a permis aux femmes d’exercer la profession d’avocat. Olga Balachowsky-Petit a été la première femme à prêter serment le 6 décembre 1900 et Jeanne Chauvin a été la première femme à plaider dans une affaire de contrefaçon de corsets en 1907.
118 ans plus tard, en 2018, les avocates sont plus de 36.000 en France et représentent plus de 55% de la profession d’avocat [2]. Cependant, seules 24,5% d’entre elles sont associées dans les 100 plus grands cabinets d’affaires et leurs revenus moyens sur l’ensemble de leur carrière sont inférieurs de plus de 50% à ceux des hommes [3].
Apprenons à les connaître ! Comment les avocates appréhendent-elles leur métier ? Quelles sont leurs clefs de succès ? Quelle(s) transformation(s) apportent-elles au sein de la profession ?


Siv-Huor Ou, Avocate spécialisée en propriété intellectuelle depuis 13 ans, ayant une expérience professionnelle en grand cabinet et désormais indépendante.

(Crédits photo. : Isabelle-Eva Ternik)

Ses attentes du métier d’avocat.

"J’ai à cœur de conseiller et représenter mes clients dans tous les aspects de leur activité."

« Ma motivation pour devenir avocate vient de mon histoire familiale. Mes parents ont fui le Cambodge en 1975. Ayant obtenu le statut de réfugiés en France, ils ont travaillé dur, afin de pourvoir aux besoins de leurs enfants. Au cours de ma jeunesse, j’ai ressenti leur désarroi lorsqu’ils n’arrivaient pas à se faire comprendre, je parlais pour eux et je les représentais. Ma vocation d’avocat découle de ce vécu. Aujourd’hui, j’ai à cœur de conseiller et représenter mes clients dans tous les aspects de leur activité. »

Son expérience de collaboratrice en cabinet international.

« Je suis heureuse d’avoir eu cette expérience de 10 ans au sein d’une grosse structure internationale qui m’a permis de traiter de problématiques complexes et variées avec des confrères de cultures juridiques différentes. Même si les conditions de travail étaient sur certains aspects difficiles (grosses amplitudes horaires, pression constante, etc…), l’expérience a été formatrice et enrichissante. Elle m’a permis d’acquérir une véritable expertise dans le domaine de la propriété intellectuelle ainsi que des compétences entrepreneuriales. »

Le sens qu’elle donne a son métier aujourd’hui.

"Optimiser la protection de mes clients sur le plan tant juridique, qu’économique et géographique."

« Le droit de la propriété intellectuelle permet aux chefs d’entreprise de protéger leurs créations. Grâce à ma pratique dans divers domaines (luxe, cosmétique, industrie automobile, vin, pharmacie, numérique et nouvelles technologies), j’ai aujourd’hui une vision multi-sectorielle à apporter à mes clients en plus de mon expertise d’avocat. Mon objectif est de proposer à mes clients une stratégie qui optimise leur protection sur le plan tant juridique, qu’économique et géographique. »

Sa philosophie de vie professionnelle.

« Recourir à un avocat suscite une certaine appréhension. La figure de l’avocat impressionne par son statut de sachant. Il me tient à cœur de créer un lien de confiance. Aussi sans jamais remettre en cause mon indépendance, je mets peu de distance formelle avec mes clients. Cela permet une fluidité dans la circulation de l’information. Tous ces éléments que mes clients osent me dire dans une conversation informelle vont nourrir ma stratégie du dossier. »

Ses caractéristiques d’exercice.

"Je travaille en collaboration avec des confrères étrangers qui constituent un réseau solide et dynamique."

« Je conseille une clientèle internationale qui souhaite s’implanter notamment dans le Moyen-Orient. A Paris, j’accompagne mes clients qui ont des problématiques relatives à la sécurisation et la défense de leurs droits de propriété intellectuelle dans un contexte international. Pour cela, je travaille en collaboration depuis de nombreuses années avec des confrères étrangers qui constituent un réseau solide et dynamique. Ayant représenté et assisté des clients dans des contentieux qui se sont déroulés sur plusieurs territoires (notamment, en France, Japon et Brésil ou encore en Angleterre, France, et Allemagne), je suis à même de conseiller à mes clients dans quel Etat ils ont intérêt à initier un procès, en fonction des éléments du dossier ainsi que des spécificités du droit local. »

Ses trucs et astuces pour réalimenter le moteur au quotidien.

"Être bien entourée, c’est essentiel !"

« Pour faire baisser le stress, je procède généralement en deux temps : d’abord, je parle de ma problématique avec des personnes de confiance puis je m’isole afin d’être pleinement concentrée sur sa résolution. Être bien entourée, c’est essentiel ! »

Son équilibre vie pro – vie perso.

« En tant qu’avocate collaboratrice, je m’investissais beaucoup dans ma vie professionnelle, ce qui la rendait difficilement conciliable avec ma vie personnelle. Le rythme de travail dans un grand cabinet est soutenu : on gagne bien sa vie mais on a peu de temps libre. En tant que collaboratrice senior, j’avais le confort de déléguer aux collaborateurs juniors, aux stagiaires, aux assistantes et je traitais des dossiers en toute autonomie.
Ma vie a évolué depuis que j’ai créé mon cabinet. Certes, je dois maintenant réaliser toutes les tâches moi-même, mais cela permet de me recentrer sur l’essentiel. En tant qu’avocate indépendante, j’ai la maîtrise du choix des dossiers, de la stratégie, de la relation client et du calendrier. »

A votre avis, être une femme est-il un atout dans l’avocature ?

« Non, je pense que ce qui compte c’est la personnalité et non le genre. »

Avez-vous déjà été témoin d’attitudes sexistes ?

« Non jamais dans un contexte professionnel. (silence) Tout dépend… de quoi parle-t-on ? S’il s’agit de remarques ou d’attitudes de séduction plus ou moins insistantes, en général, je ne les prends pas comme une attaque à titre personnel, à partir du moment où leur contenu n’est ni dégradant ni dénigrant. Néanmoins, cela demeure un sujet majeur qui touche toutes les strates de la société. »

Ses conseils aux étudiants.

"Je vous conseille de faire des stages pour découvrir le terrain."

« Il est important que vous choisissiez votre profession en fonction de vos appétences. Personne ne peut savoir à votre place. Si vous envisagez de devenir avocat, la question à vous poser est : quel mode de travail vous correspond le mieux, au sein d’un cabinet indépendant ou d’une grosse structure d’avocats ? Je vous conseille vivement de faire des stages pour découvrir le terrain. »

Ses conseils aux jeunes avocats.

« En début de carrière, la collaboration constitue une période de montée en compétences. Il est important pour le collaborateur d’entretenir de bonnes relations avec son équipe, en particulier les avocats seniors et les associés, pour tirer le meilleur de ses premières expériences.
L’Ecole d’Avocat ne dispense pas de formation sur la gestion des relations humaines et professionnelles en cabinet d’avocat, qui peuvent être plus ou moins difficiles à appréhender.
Mon conseil : prendre du recul et communiquer reste encore le meilleur moyen pour désamorcer un conflit avant de décider - en dernier recours - de changer de cabinet ! »

Sa vision de l’avenir du métier.

Interprofessionnalité, médiation et arbitrage.

« En Angleterre, les procès ont généralement un coût très élevé, c’est pourquoi les parties ont tendance à s’entendre sur une solution amiable.
En Allemagne, les avocats allemands et les juges allemands semblent avoir une application plus rigoureuse et plus uniforme du droit, ce qui contribue à une meilleure prévisibilité.
En France, il est parfois délicat d’expliquer aux clients que leur dossier est bon mais qu’il existe un risque non négligeable qu’ils perdent à cause du fort aléa judiciaire. En vue de limiter l’arbitraire des décisions judiciaires françaises, il pourrait être judicieux d’inciter à prévoir dans tous les contrats des clauses de médiation et arbitrage.

L’avenir en droit de la propriété intellectuelle en France est me semble-t-il dans le développement de l’interprofessionnalité entre conseils de propriété industrielle (CPI) et avocats. Le CPI apporte l’expertise technique et l’avocat apporte l’expertise juridique, deux activités complémentaires. »

Propos recueillis par :
Christine Méjean et Isabelle-Eva Ternik, Avocates.

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Notes de l'article:

[1Le précédent entretien avec Cloé Si Hassen.

[2Source : www.justice.gouv.fr

[3Source : Rapport Haeri 2017.

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 15 janvier 2020 à 12:36
    par Virginie BARRAUD LE BOULC’H , Le 14 janvier 2020 à 14:46

    La profession d’avocat est essentiellement exercée par des femmes.
    La majorité des avocats exerce (encore) en province.
    L’avocat est donc une avocate de province.

    Pourquoi cette rubrique n’évoque-t-elle que des avocates parisiennes ?

    • par Isabelle-Eva TERNIK , Le 15 janvier 2020 à 12:36

      Chère Consoeur,

      Votre remarque sur la répartition géographique est tout à fait exacte : 42% de la profession exerce au sein du barreau de Paris et 58% exerce au sein des barreaux de Province.

      Savez-vous qui organise, rencontre, photographie, rédige et relit les entretiens de cette chronique ?

      Christine MEJEAN et moi-même réalisons notre chronique "Avocates, inspirez-nous !" à titre bénévole pendant notre (peu de) temps libre, en sus de notre activité d’avocate indépendante. Comme nous exerçons à Paris, nos rencontres s’y déroulent donc pour des raisons pratiques, car nous ne pouvons pas nous déplacer dans toute la France. Il va de soi que nous serions ravies de mener également des entretiens avec des avocates d’autres barreaux, si les circonstances le permettent.

      L’essence de notre chronique est animée par le plaisir du partage d’expériences.

      Isabelle-Eva TERNIK

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