Clarification des droits : une étape nécessaire à toute production audiovisuelle.

Par Sébastien Lachaussée, Avocat.

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Explorer : # droit à l'image # propriété intellectuelle # vie privée # Œuvres préexistantes

Au-delà de l’acquisition des droits des scénaristes et réalisateurs ou des projets d’adaptations audiovisuelles ou cinématographiques, la production et l’exploitation d’un film suppose de manière générale de procéder à une clarification des droits sur les éléments intégrés dans le film.

Il est alors essentiel de déterminer l’ensemble des éléments protégés inclus dans le film. Il est ici aisé de penser à la musique utilisée, mais de nombreux autres éléments doivent être considérés que nous détaillerons ci-après.

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Droit à l’image et droits de la personnalité.

Les textes français et européen établissent clairement le droit des personnes à la vie privée et sur les attributs de la personnalité (image, voix).

Le droit des personnes représentées ou audibles dans un film doit particulièrement être pris en considération dans le cadre de production de films documentaires, mais également dans le cadre de fictions biographiques, historiques ou plus généralement adaptées de faits réels. Il conviendra de conclure avec ces personnes des cessions des attributs de la personnalité, permettant l’exploitation du film dans lequel ils apparaissent.

De manière plus large, il est nécessaire de considérer le droit à la vie privée des personnes représentées, lequel est également garanti par l’article 9 du Code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

De jurisprudence constante, l’atteinte à la vie privée suppose que les personnes en cause soient vivantes, identifiées ou identifiables. A cet égard, la notoriété des personnes a une grande influence. La notoriété va en effet faciliter l’identification y compris des personnages secondaires, et ce peu importe la modification éventuelle de leurs patronymes.

Le droit à la vie privé doit être mis en perspective avec le droit à l’information et la liberté d’expression, bien que cela soit principalement applicable en matière de documentaires.

La Cour de cassation estime en effet que

« le respect de la vie privée s’impose avec davantage de force à l’auteur d’une œuvre romanesque qu’à un journaliste remplissant sa mission d’information » [1].

Aussi, dans le cadre de film de fiction, il est difficile d’espérer que le droit à la vie privée soit écarté.

Enfin, la jurisprudence a déjà pu apporter des tempéraments au droit au respect de la vie privée, notamment lorsque les faits en cause ont déjà été divulgués. Cela s’applique néanmoins au cas par cas, et plus particulièrement dans le cadre de faits publics ou faits divers, n’ayant pas trait à l’intimité des personnes. Une analyse du projet est ici nécessaire au cas par cas.

Il s’agira alors de considérer les personnes dont l’autorisation est requise, les mesures à mettre en place pour éviter un risque de confusion entre faits réels et fictifs, ou la nécessité de ne pas intégrer certains personnages au film.

Sources documentaires et images d’archives.

Dans le cadre du développement et de l’écriture d’un scénario différentes sources peuvent être utilisées, notamment des livres et articles de presse.

Il faut alors être prudent dans le cadre de l’utilisation de sources littéraires. La jurisprudence sanctionne régulièrement des auteurs ayant repris des éléments caractéristiques originaux d’une œuvre dont ils se sont servis pour réaliser leur propre œuvre, et ce y compris dans le cadre d’œuvres biographiques.

En matière cinématographique, dans le cas du scénario du film « Séraphine » les juges ont établi que dans

« neuf cas précis pour lesquels, outre la reprise d’éléments biographiques inventés par Alain Vircondelet, on note une similitude dans la formulation employée, parfois au mot près, ce qui permet d’exclure la simple réminiscence derrière laquelle se retranchent les défendeurs »

et à ajouter qu’

« en reproduisant neuf passages de cette œuvre dans la première version du scénario du film Séraphine sans autorisation préalable, la société TS Productions et M. Martin Provost ont commis des actes de contrefaçon ».

En revanche, la jurisprudence a, depuis longtemps, eu l’occasion de rappeler qu’une reprise d’éléments historiques est licite, dans des conditions appréciables selon les cas d’espèces. Il s’agira notamment de vérifier la reprise d’éléments de mise en forme propres à l’œuvre littéraire.

Il est ainsi utile d’analyser en détail les principales sources documentaires utilisées et le scénario du film, afin de déterminer in concreto les risques existants en matière de contrefaçon et la nécessité d’obtenir les droits correspondants ou de modifier le scénario en conséquence.

Enfin, il doit être noté que les images d’archives bien qu’anciennes ne sont pas forcément libres de droit. Il est alors nécessaire de procéder à une vérification minutieuse et de rechercher les éventuels ayant-droits sur ces images (auteurs, producteurs, diffuseurs etc.). Leur utilisation est soumise le cas échéant à leur autorisation préalable et suppose d’établir un contrat de cession.

Intégration d’œuvres préexistantes.

L’article L122-1 du code de la propriété intellectuelle indique très clairement que le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. Aussi, sauf à répondre aux exceptions du code de la propriété intellectuelle, la représentation ou la reproduction d’une œuvre suppose l’autorisation de son auteur.

On pense ici spontanément aux œuvres musicales, lesquelles nécessiteront de conclure des accords de synchronisation, mais il faut également s’intéresser aux œuvres plastiques et graphiques.

A ce sujet, la jurisprudence a dégagé une exception célèbre ; la théorie de l’accessoire qui permet de représenter une œuvre dès lors qu’elle n’est pas représentée pour elle-même mais constitue un élément de décor ou d’arrière-plan (Paris, 12 sept. 2008). La jurisprudence reste cependant sévère s’agissant de la mise en application de cette exception.

Il convient alors d’étudier au cas par cas les œuvres bénéficiant de l’exception, laquelle n’est jamais totalement acquise. A défaut, il s’agira d’obtenir l’accord des ayants-droits pour l’usage de leurs œuvres ou de renoncer à leur utilisation.

Il doit encore être noté que « recréer » des tableaux, photographies ou film, constitue une reproduction au sens du code de la propriété intellectuelle et donc une contrefaçon à défaut d’accord des ayant-droits. S’il est procédé à la peinture de tableaux ou à la prise de photographie « à la manière de » il faut se distinguer nettement des œuvres existantes et se montrer extrêmement prudent.

Enfin, si l’exception de panorama, s’appliquant aux œuvres sur la voie publique est entrée en vigueur et a fait beaucoup parler, cette dernière est réservée aux particuliers et n’a pas lieu d’être en matière de production audiovisuelle et cinématographique. On peut en revanche considérer rapidement l’exception de courte citation.

L’exception de courte citation.

L’exception d’analyse et de courte citation mise en place par l’article L122-5 du Code de propriété intellectuelle et nécessite de remplir certaines conditions.

Il est en premier lieu impératif de comprendre que cette exception n’est pas applicable aux œuvres reproduites intégralement et ce peu importe la taille de la reproduction. Pour ces dernières, il s’agit de considérer le développement réalisé ci-avant pour l’intégration d’œuvres préexistantes.

Par ailleurs, la citation doit respecter la condition de brièveté de l’extrait cité et ce au regard de l’œuvre citée et de l’œuvre citante (en l’espèce le film ou l’œuvre audiovisuelle).

C’est pour cette raison que l’exception de courte citation est très difficilement applicable en matière d’œuvres musicales. Elle peut en revanche s’appliquer en matière d’extrait vidéos, notamment pour l’insertion dans des documentaires.

En effet, la courte citation est licite si elle est justifiée par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elle est incorporée. En ce sens la production d’un documentaire semble remplir la condition énoncée, alors que cela sera plus difficile voire impossible dans le cadre d’œuvre de fiction.

En tout état de cause, une étude au cas par cas est impérative pour apprécier la brièveté de la citation comme le but de celle-ci.

Au vu des développements ci-avant, afin de pallier tout risque, l’utilisation d’œuvres préexistantes suppose une étude in concreto des caractéristiques du projet et le cas échéant d’arbitrer sur l’acquisition des droits nécessaires correspondants, ou de modifier le projet afin si possible d’en éviter l’acquisition.

Pour procéder à cette analyse et établir les contrats adaptés, il est alors judicieux de prendre conseil auprès d’un avocat spécialisé afin d’étudier les caractéristiques du projet et répondre au mieux aux besoins de la production.

Sébastien Lachaussée, Avocat
Lachaussée Avocat est un cabinet d’avocat dédié au secteur des médias et des nouvelles technologies.
sl chez avocatl.com
www.avocatl.com

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Notes de l'article:

[1Cass. 1re civ. 9 juill. 2003, Chandernagor et Figaro c/ Vallet, Legraverend.

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