I) Exposé des faits.
Au cas particulier, un salarié avait été embauché par la société Samsic transport en qualité d’ouvrier affecté au nettoyage de rames de métro à compter du 1ᵉʳ avril 2015.
La convention collective du personnel des entreprises de manutention ferroviaire et travaux connexes du 12 juin 2019 était applicable à l’espèce (IDCC 538).
L’article 20.1 de cette convention collective prévoyait qu’à la fin d’un contrat commercial ou d’un marché public relatif à une activité entrant dans son champ d’application, le nouveau titulaire du marché (i.e. l’entreprise entrante) devait reprendre les contrats de travail de l’ancien (i.e. l’entreprise sortante).
A compter du 1ᵉʳ septembre 2021, la société Samsic transport a perdu le marché de nettoyage dont elle bénéficiait au profit de l’entreprise Guy Challancin.
Par lettre du 1ᵉʳ octobre 2021, l’entreprise Guy Challancin a informé le salarié que son contrat de travail ne lui avait pas été transféré, faute d’avoir signé l’avenant prévu à cette fin qui lui avait été communiqué.
Il était informé qu’il demeurait, donc, salarié de l’entreprise Samsic transport.
C’est ainsi que le salarié a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes aux fins :
- de condamnation de l’entreprise Guy Challancin à l’intégrer dans ses effectifs à compter du 1er septembre 2021,
- et, subsidiairement, qu’il soit dit qu’il reste intégré au sein des effectifs de l’entreprise Samsic transport et que les démarches utiles auprès de la caisse primaire d’assurance maladie soient effectuées pour que ses prestations lui soient versées.
Les juges du fond ont retenu que le contrat de travail du salarié avait bien été transféré à l’entreprise Guy Challancin.
Insatisfaite de cette décision et estimant que le contrat de travail du salarié ne lui avait pas été transféré, l’entreprise Guy Challancin s’est pourvue en cassation.
II) Les moyens.
L’entreprise Guy Challancin a formé un pourvoi principal, puis un pourvoi provoqué. Seul le pourvoi principal sera étudié ici.
A l’appui de son pourvoi principal, l’entreprise Guy Challancin a, par un moyen unique composé de deux branches, fait grief à l’arrêt d’avoir infirmé l’ordonnance de référé entreprise et d’avoir jugé que le contrat de travail du salarié lui avait été transféré à compter du 1ᵉʳ septembre 2021.
La première branche du moyen reprochait, en substance, à l’arrêt d’avoir violé les articles L1121-1 du Code du travail, 1134 devenu 1103 du Code civil et 1271 devenu 1329 du Code civil, en jugeant qu’un transfert du contrat de travail serait intervenu de plein droit en application de la convention collective, alors qu’en l’absence "d’accord exprès" du salarié celui-ci ne pouvait avoir été transféré.
La seconde branche reprochait à l’arrêt d’avoir violé l’article 20.1 de la convention collective en retenant qu’un transfert du contrat de travail serait intervenu, alors qu’il serait subordonné à la signature d’un "nouveau contrat".
L’article 20.1 de la convention collective faisait effectivement allusion à un "nouveau contrat", sans pour autant évoquer la nécessité de signer un avenant à un contrat de travail.
La Cour de cassation devait donc répondre à la question suivante :
« L’article 20.1 de la convention collective susmentionnée impose-t-il que l’accord du salarié au transfert conventionnel de son contrat de travail soit formalisé par un avenant ? »
III) La solution.
Pour répondre à cette question, la chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé, dans un premier temps, le principe selon lequel, lorsque l’article L1224-1 du Code du travail ne peut être appliqué, le transfert du contrat de travail ne peut être opéré sans l’accord exprès du salarié.
Elle a, également, souligné que ce principe était édicté dans le seul intérêt du salarié, de sorte que l’employeur ne pouvait s’en prévaloir dans un litige.
Ce faisant, elle a d’emblée signalé à l’entreprise Guy Challancin qu’elle ne pouvait se prévaloir de l’éventuelle absence d’accord exprès du salarié pour contester le transfert du contrat de travail.
Dans un second temps, elle a précisé que l’accord exprès du salarié se déduisait de ce que les juges du fond avaient constaté que :
- le salarié avait été informé du transfert de son contrat de travail à compter du 1ᵉʳ septembre 2021 et convoqué pour signer un avenant à cette fin,
- et qu’en dépit de l’absence de signature de cet avenant, le salarié avait adressé des arrêts maladie à l’entreprise Guy Challancin afin qu’elle puisse transmettre les éléments nécessaires à la CPAM pour le maintien de ses indemnités journalières.
Elle en a conclu que :
« Le salarié avait accepté la poursuite de son contrat de travail avec l’entreprise entrante (l’entreprise Guy Challancin) laquelle ne pouvait se prévaloir de l’absence de signature de l’avenant qui lui avait été proposé pour s’opposer à la continuité du contrat de travail ».
IV) Portée de l’arrêt.
Il convient de tirer deux enseignements de l’arrêt ci-commenté.
Premièrement, il traduit une position constante de la chambre sociale de la Cour de cassation qui veut que seul le salarié puisse se prévaloir de son absence d’accord exprès au transfert conventionnel de son contrat de travail dans un contentieux [1].
Il ne s’agit cependant non pas d’une règle relative à la recevabilité de l’action, mais à son bienfondé.
Ensuite, et c’est là toute la singularité de l’arrêt, lorsque l’accord collectif ne prévoit pas expressément la signature d’un avenant ou une autre procédure particulière vis-à-vis du salarié, il convient de déterminer si ce dernier a expressément consenti au transfert conventionnel de son contrat de travail.
Pour la chambre sociale de la Cour de cassation, ce consentement exprès peut résulter des circonstances et d’un comportement proactif du salarié relatif au maintien des droits qu’il tire partiellement ou totalement de son contrat de travail chez le nouvel employeur.
Une telle solution ne semblait pourtant pas évidente, car les juges du fond ont le pouvoir de procéder à l’interprétation d’une convention collective lorsque celle-ci n’est pas claire et précise afin de lui donner un sens conforme à la règlementation en vigueur au moment où l’accord a été conclu [2].
Cet arrêt est, in fine, un appel à la vigilance des partenaires sociaux qui sont invités à détailler expressément les conditions du transfert conventionnel des contrats de travail lors de la rédaction des clauses des conventions collectives.