[Maroc] La clause de non concurrence : liberté contractuelle ou restriction de la liberté d'entreprendre ? Par Bilal Elmahfoudi, Avocat.

Extrait de : Droit des affaires et des sociétés

[Maroc] La clause de non concurrence : liberté contractuelle ou restriction de la liberté d’entreprendre ?

Par Bilal Elmahfoudi, Avocat.

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Quelle entreprise ne se soucie pas des activités similaires que peut exercer un concurrent ?

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Dans un monde économique ou la concurrence est de plus en plus libre, les pratiques anticoncurrentielles peuvent rapidement donner lieu à un monopole d’exercice. Par conséquent, il est nécessaire de mettre en œuvre un système de régulation efficace, permettant un équilibre macroéconomique. Mais également, développer une ingénierie juridique protectrice des intérêts des entreprises à titre individuel.

En effet, la régulation suppose toujours la question de la restriction de certaines libertés. L’enjeu est donc de permettre un champ économique fluide, dans l’exercice des activités commerciales par les entreprises, sans pour autant porter atteinte à la liberté d’entreprendre et la concurrence génératrice de circulation monétaire.

Au Maroc, la protection de la liberté d’entreprendre et le droit à la concurrence sont réglementés par plusieurs textes. Il s’agit d’abord de la constitution du royaume, du dahir des obligations et des contrats et enfin la loi sur la concurrence et la liberté des prix. Il existe également un conseil de la concurrence dont la mission principale est de réguler toute les activités économiques. Il joue le rôle du garde-fou contre toutes les pratiques anticoncurrentielles.

Cependant, la concurrence et la liberté d’entreprendre peuvent des fois se heurter à des principes fondamentaux du Droit, notamment à celui de la liberté contractuelle et à la volonté des parties.

En effet, des parties dans un contrat peuvent prévoir une clause de non concurrence. A titre d’exemple, des associés au sein d’une entreprise, peuvent être mené à céder leur parts.

Cependant le cessionnaire, soucieux de la valeur des parts qu’il acquiert, et de la protection de son entreprise contre la concurrence éventuelle du cédant, peut exiger une clause de non concurrence.

Les législateurs n’ont pas déterminé le cadre juridique d’une clause de non concurrence.

Dans un contrat, les parties peuvent insérer toute clause qu’ils jugent nécessaire pour atteindre leurs objectifs. Toutefois, des conditions légales sont à observer, à défaut de rendre toute clause non conforme réputé nulle et non écrites. Par conséquent, une place importante a été laissée à l’interprétation du contrat, qui ne sera autre que le fruit de pratiques judiciaires et jurisprudentielles.

En plus de l’échange du consentement, un contrat valablement constitué doit contenir l’objet et la cause. L’objet doit être certain. La cause du contrat est la réponse à la question : pourquoi l’obligation est due ? C’est l’élément du contrat faisant naître l’obligation. La cause d’une obligation doit donc être licite pour sa validité. C’est-à-dire qu’elle ne doit pas être contraire aux bonnes mœurs et à la loi.

La clause de non concurrence, crée une obligation de ne pas faire, notamment le non exercice d’une activité similaire dans une durée de cinq années. Cependant, que dit la loi sur une telle obligation et sa validité ?

L’article 109 du Dahir des obligations et des contrats dispose que :

« est nulle et rend nulle l’obligation qui en dépend, toute condition ayant pour effet de restreindre ou d’interdire l’exercice des droits et facultés appartenant à toute personne humaine, telles que celles de se marier, d’exercer ses droits civils. Cette disposition ne s’applique pas au cas où une partie s’interdirait d’exercer une certaine industrie, pendant un temps ou dans un rayon déterminé ».

Dans le cas d’espèce, - la clause de non concurrence dans un contrat de cession des parts sociales - il s’agirait de la liberté d’entreprendre et de la libre concurrence (faisant partie des droits civils de tout citoyen et acteur économique). Un droit protégé par la Constitution du Royaume et la loi sur la liberté des prix et de la concurrence. La liberté d’entreprendre est, aux yeux du constituant marocain, étroitement liée à la libre concurrence puisque les deux notions forment un tout indissociable.

En effet, l’article 6 de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence, dans son titre III relatif aux pratiques anticoncurrentielles, dispose que :

« Sont prohibées, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes ou coalitions expresses ou tacites, sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit, notamment lorsqu’elles tendent à :
1. limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises,
2. …
 »

Cependant, dans l’hypothèse où cette clause est jugée valable en tant que telle, nonobstant des textes susmentionnés, la validité de la clause est soumise à l’appréciation du juge.

La jurisprudence a mis en œuvre certaines conditions de la validité de cette clause dans des cas similaires.

En effet, la condition de non concurrence puise sa source soit la loi ou dans les conventions entre les parties. La première étant une obligation de droit, et la seconde une obligation contractuelle. Le gérant d’une entreprise ne peut, en effet, exercer une activité similaire car il a une obligation de loyauté envers cette dernière, sauf stipulation contraire des statuts.

Le deuxième alinéa de l’article 109 susmentionné, qui interdit toute condition ayant pour effet de restreindre ou d’interdire l’exercice des droits et facultés appartenant à toute personne humaine, dispose qu’une partie peut s’interdire d’exercer une certaine industrie, pendant un temps ou dans un rayon déterminé. Cette partie peut donner lieu à deux interprétations. La première étant le cumul des deux conditions donc limitation dans l’espace et le temps. La deuxième serait l’une de ces conditions seulement.

Un arrêt de la Cour de Cassation marocaine du 10/07/2002, dans un dossier de contentieux social que l’on pourrait transposer sur le cas d’espèce, car il invoque la question de clause de non concurrence, indique que :

« la clause de non concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives ».

La jurisprudence semble avoir tranché sur la question dans le cas d’espèce, sauf revirement futur.

Ainsi, on pourrait dire que la clause de non concurrence suppose trois conditions :
- Elle doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de la société. N’est donc pas valable la clause qui interdit au vendeur de concurrencer la société « de quelque manière que ce soit » ;
- Elle doit être limitée dans le temps et dans l’espace ;
- Elle doit comporter l’obligation pour la société de verser au vendeur une contrepartie financière.

Ainsi, on peut dire que la liberté contractuelle est garantie, mais à l’instar de toute liberté, elle est conditionné par le respect d’un certains nombre de principes. La clause de non concurrence est soumise à des conditions qu’on peut qualifier de draconiennes, car elle porte atteinte à la liberté d’entreprendre et risque de corrompre un espace propice à la concurrence et son impact positif sur l’économie d’un pays.

Une tentative de protection en amont serait sans utilité, car les textes ne manquent pas à sanctionner toute pratique pouvant être qualifié de concurrence déloyale.

Bilal Elmahfoudi
Avocat à la Cour
Barreau de Rabat

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