Comment fixer sans risque la rémunération d’un dirigeant d’entreprise ?

Par Roselyne Roland-Gosselin, Juriste.

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Explorer : # rémunération des dirigeants # abus de pouvoir # risques juridiques # gouvernance d'entreprise

Une rémunération jugée excessive présente de nombreux risques. Quels sont-ils ? Comment les éviter ?
La réforme annoncée par le gouvernement va-t-elle modifier ces principes ?

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La rémunération des dirigeants a été en 2012 au cœur de l’actualité juridique et risque fort de maintenir cette place privilégiée cette année.

Rappelons que dans les entreprises publiques, la rémunération globale des dirigeants est plafonnée à 450 000 € brut annuel depuis fin juillet 2012. Elle est soumise en outre au contrôle préalable du ministre de l’économie, et conjoint du ministre du budget dans les établissements publics à caractère industriel et commercial. Les décisions ministérielles prises sur ces rémunérations sont désormais publiées. Ces mesures ont concerné environ 50 entreprises détenues directement ou indirectement par l’Etat et seront étendues aux 10 principales filiales de ces entreprises. (Décret n°2012-915 du 26 juillet 2012 paru au JO du 27 juillet 2012).

Du côté des entreprises privées, la Cour de cassation a confirmé la condamnation d’un ancien président directeur général du groupe Vinci à payer 375 000 € d’amende, soit le maximum prévu par l’article L.242-6 du Code de commerce. C’est dire à quel point le sujet ne doit pas être pris à la légère, même dans une entreprise prospère (Cass. crim., 16 mai 2012, pourvoi n°11-85150).

Et ce n’est pas tout ! Le gouvernement compte présenter un projet de loi permettant d’interdire ou d’encadrer certaines pratiques et de rénover la gouvernance des entreprises privées, afin de renforcer le contrôle exercé sur les rémunérations. Initialement prévu à l’automne 2012, il est fort probable que ce projet sera reporté cette année (Conseil des ministres du 13 juin 2012).
A l’aube d’une nouvelle réforme, il est nécessaire de rappeler les règles actuelles du droit des sociétés pour contrôler les rémunérations des dirigeants d’entreprises privées.

D’autant plus que le risque juridique n’est pas le seul encouru par le dirigeant (civil et/ou pénal). En effet, si les actionnaires ou les associés n’assurent pas ou ne peuvent assurer leur « rôle de police » interne, l’administration fiscale peut intervenir comme la « police des polices » garante des intérêts de l’Etat par une sanction principalement financière à l’encontre des entreprises et de ses dirigeants.

I - Un risque civil ...

La rémunération excessive présente un risque civil dès lors qu’elle résulte d’un abus de majorité, d’une part, ou lorsqu’elle met en échec le principe de libre révocabilité du dirigeant, d’autre part.

L’abus de majorité - distinct de l’abus de biens sociaux qui est de nature pénale - permet aux actionnaires ou associés minoritaires d’obtenir la nullité de la décision prise et d’obtenir des dommages et intérêts auprès des majoritaires.

Pour engager une action judiciaire au motif du vote d’une rémunération abusive, il faut démontrer que deux conditions sont réunies :

— * ­ la décision est contraire à l’intérêt de la société
— * ­ et est prise « dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de ceux de la minorité » .

Mais ces deux éléments ne sont pas faciles à prouver.

Par ailleurs, l’impossibilité de mettre en œuvre le principe de la libre révocabilité des dirigeants « ad nutum » peut résulter des golden parachutes (ou parachutes en or) en raison de l’importance de l’indemnité conventionnelle, de la pension de retraite ou de tout autre avantage promis aux mandataires sociaux en cas de révocation.

Deux critères sont retenus par les tribunaux pour apprécier le caractère abusif de cette rémunération faisant obstacle à la révocation du dirigeant :

— * ­ le montant de l’indemnité au regard des performances de la société
— * ­ et les circonstances dans laquelle celle-ci est due.

Si les indemnités de départ sont jugées excessives, il sera prononcé la nullité de la convention qui les prévoit. Cette nullité pourra en outre être étendue à l’ensemble des autres avantages accordés, tel l’octroi d’un contrat de travail.
Toutefois, les conventions d’indemnités versées aux dirigeants lors de leur révocation sont valables tant qu’elles ne présentent pas un caractère dissuasif et ne portent pas atteinte à leur libre révocabilité .

II - Un risque pénal …

Dans des cas extrêmes, l’attribution d’une rémunération excessive pourra être qualifiée de pénale lorsqu’un dirigeant fait un usage abusif de son statut pour fixer ou faire fixer sa rémunération au détriment de l’intérêt de la société et à des fins purement personnelles. Selon sa nature, cette infraction est qualifiée soit d’abus de biens sociaux (ou « ABS »), soit de délit de banqueroute, soit d’abus de pouvoirs.

L’abus de biens sociaux est retenu dès lors qu’un dirigeant s’octroie une rémunération excessive compte tenu des difficultés financières de l’entreprise et de l’insuffisance du travail fourni.

D’une part, la rémunération excessive a pour effet de dépasser purement et simplement la capacité financière de l’entreprise ou bien de créer une réduction même temporaire de sa capacité financière sans contrepartie pour elle.

D’autre part, la rémunération est excessive car le travail fourni est insuffisant pour justifier une telle attribution. Le dirigeant s’enrichit donc au détriment de l’entreprise dans un intérêt purement personnel.

Cette infraction est réprimée par le Code de commerce par un emprisonnement de 5 ans et d’une amende de 375 000 €.

Le délit de banqueroute par détournement d’actif est retenu lorsque les faits de délit d’abus de biens sociaux sont réalisés dans une société en état de cessation de paiement .

L’abus de pouvoir est retenu lorsqu’un dirigeant use de son statut et de son influence pour se faire octroyer une rémunération excessive.

Récemment, le président-directeur-général d’une importante société de bâtiment, cotée au CAC 40 (groupe Vinci), a été condamné du chef de l’abus de pouvoir pour avoir proposé avec succès à son conseil d’administration la révocation des membres du comité de rémunérations hostiles au déplafonnement et à l’entière variabilité de sa rémunération. Les nouveaux membres du comité de rémunération nommés, sous le contrôle du dirigeant, ont fixé à 4 290 265 euros la rémunération annuelle de ce dernier et à 12 870 795 euros le montant de ses stocks options correspondant à 3 ans de rémunération et une retraite complémentaire annuelle de 2 145 132 euros. En outre, le conseil d’administration a entériné les propositions de ce comité spécialisé sans qu’il soit porté à sa connaissance le rapport d’un cabinet extérieur sur les risques d’une entière variabilité de la rémunération en cause. La Cour de cassation a approuvé la condamnation de ce dirigeant par la Cour d’appel au paiement d’une amende de 375 000 euros pour délit d’abus de pouvoirs.

L’abus de pouvoir est un délit sanctionné comme l’abus de biens sociaux.

Toutefois, la sanction de l’abus de pouvoirs paraît ici ridicule par rapport au montant des rémunérations en cause dans cette affaire. On peut espérer que la réforme annoncée par le Gouvernement aura pour effet de relever le plafond de l’amende fixée par le Code de commerce pour tenir compte des rémunérations exorbitantes de certains patrons du CAC 40 qui défraient la chronique.

En outre, cette jurisprudence rappelle que le droit des sociétés s’applique à tout entrepreneur, dans l’intérêt général et sans aucun favoritisme. Il n’est donc fait aucune différence entre un PDG du CAC 40 et le dirigeant d’une PME. Entre les deux, il n’y a que le montant des condamnations qui change car il est – d’évidence - proportionnel à celui des abus.

III – Un risque fiscal

En dehors de tout risque juridique et/ou pénal, la rémunération excessive fait également courir un risque fiscal non seulement à la société mais aussi au dirigeant.

Pour l’entreprise, l’administration réintègrera la part excessive de la rémunération du dirigeant aux résultats imposables de l’entreprise pour donner lieu à un rappel d’impôt sur les sociétés dans le cadre d’un redressement fiscal.

Pour le dirigeant, le redressement de son entreprise pourra être étendu à son foyer fiscal personnel afin que la même part exagérée de sa rémunération soit majorée de 25% et imposée dans la catégorie des revenus distribués - comme les dividendes -.

Quant au caractère excessif des rémunérations, il doit être apprécié selon les critères habituellement retenus par la jurisprudence du Conseil d’État, c’est-à-dire en fonction :

— * ­ du taux des rémunérations attribuées aux dirigeants occupant des emplois analogues dans les entreprises similaires de la région ;
— * ­ de l’importance de la rémunération totale ;
— * ­ éventuellement de la part de capital détenue par l’intéressé ;
— * ­ du volume des affaires sociales et de l’importance de ses responsabilités .

Toutefois, la seule circonstance qu’une entreprise soit déficitaire ne saurait suffire à démontrer que les rémunérations qu’elle verse soient excessives .

Peut-on s’attendre à un projet de loi en 2013 ?

La Direction du Trésor Public a lancé, à l’automne dernier, une consultation publique sur la rémunération des dirigeants d’entreprises qui porte sur trois thèmes majeurs :
1) Le cadre applicable aux différentes formes de rémunération des dirigeants ;
2) Les règles de gouvernance relatives à la fixation de la rémunération des dirigeants ;
3) Les autres dispositions concernant la gouvernance d’entreprise et non expressément liées à la rémunération des dirigeants.

Certaines questions restent encore en suspens, notamment celle de savoir si les sociétés non cotées dépassant une certaine taille devront être incluses dans le périmètre de cette future réforme.

Toutefois, on remarque en France que l’indépendance des conseils d’administration vis-à-vis des dirigeants n’est pas suffisante, ce qui est certainement l’une des causes des rémunérations excessives. La solution majoritairement proposée pour limiter ces effets pervers serait de donner davantage de pouvoir aux actionnaires en soumettant la rémunération des principaux dirigeants au vote des actionnaires lors de l’assemblée générale annuelle. C’est que l’on appelle souvent les procédures de « say on pay », et c’est la solution qui a été adoptée dans plusieurs pays.

Il s’ébruite que seraient adoptés en 2013 les procédures de « say on pay » dans nos entreprises et le relèvement du montant maximal de l’amende en cas d’abus de biens sociaux et d’abus de pouvoir afin de s’adapter aux nouveau montants des rémunérations fixées dans les sociétés cotées.

Pour l’instant aucun projet de loi n’a été déposé auprès de l’une des chambres du parlement, mais il est attendu … normalement cette année.

Toutefois, la prudence sera et restera encore de rigueur pour fixer la rémunération du dirigeant, dans le respect des principes légaux et statutaires, quelque soit la notoriété, la taille et l’implantation de l’entreprise.

Roselyne Roland-Gosselin

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