Introduction.
A présent, l’e-commerce est solidement ancré dans le tissu économique mondial, transcendant les frontières géographiques et les distinctions sociales pour devenir une action ‘spontanée’ prise par une diversité de consommateurs. Ce changement de pratique témoigne non seulement de la commodité qu’offre le commerce en ligne aux individus, mais également de sa capacité à ouvrir de nouvelles avenues commerciales pour les petites, moyennes et grandes entreprises. En effet, le développement de cette tendance est analogique avec l’émergence du s-commerce, ou du commerce social, intégrant la dynamique des réseaux sociaux au processus d’achat et créant ainsi une expérience d’échange personnalisée pour les utilisateurs. Néanmoins, ces plateformes d’e-commerce et de s-commerce font face à des questions juridiques complexes. Entre la protection des données personnelles et de la confidentialité du consommateur et le développement de l’écosystème numérique et la liberté entrepreneuriale, les règlementations varient d’un pays à l’autre.
Ainsi, la question de la responsabilité de ces plateformes vis-à-vis des consommateurs représente un enjeu majeur dans cet environnement commercial en constante évolution. Les plateformes d’e-commerce se trouvent à la croisée de nombreuses obligations légales et éthiques visant à protéger les droits des consommateurs et à promouvoir le climat de confiance nécessaire au bon fonctionnement du marché. Cet article explore ces enjeux, en mettant l’accent sur les défis actuels, les obligations et les réponses juridiques apportées.
1- Les plateformes e-commerce.
A priori, l’e-commerce ou le commerce électronique peut être expliqué par une variété de définitions. Il fait référence à « l’ensemble des transactions effectuées sur un réseau électronique ouvert pat l’intermédiaire d’ordinateurs ou d’autres terminaux interactifs » (Lorentz, 1999), comme il représente « une partie de l’économie de l’internet. Il recouvre la vente de produits et de services aux consommateurs ou aux entreprises sur l’internet » (Center for Research in Electronic Commerce, University of Texas, 1999). D’après l’OCDE, le commerce électronique désigne « toutes les formes de transactions commerciales associant les particuliers et les organisations, qui reposent sur le traitement et la transmission de données numérisées, notamment texte, son et image et qui ont lien sur des réseaux ouverts », quant à la commission européenne de 1997, la définition donnée au commerce électronique a mis la lumière sur la question du traitement des données. La commission considère que « l’e-commerce est fondé sur le traitement électronique et la transmission de données, y compris textuelles, sonores et vidéo » ainsi que « la livraison en ligne d’informations numériques, les transferts électroniques de fonds, les activités boursières électronique, les enchères commerciales, etc ».
Définitions et types.
Cependant, l’exercice de l’e-commerce passe par des plateformes numériques, telles que les réseaux sociaux ; pour le cas du s-commerce qui représentait, en 2020, selon Brand24, 3.4% du commerce électronique, ou des plateformes spécifiques, dédiées particulièrement au commerce en ligne. En fait, ces plateformes sont des solutions numériques fournissant les outils nécessaires pour gérer les aspects techniques et opérationnels d’une boutique en ligne, tels que la gestion des produits, des stocks, des paiements, des expéditions et du service client.
Les types des plateformes e-commerce peuvent être classer selon les caractéristiques techniques.
Plateformes SaaS (Software as a Service) : ce sont des plateformes hébergées dans le cloud et gérées par un fournisseur de services. Elles sont accessibles après paiement d’un abonnement mensuel, et faciles à utiliser, ne nécessitent pas de compétences techniques en offrant des modèles prêts à l’emploi.
Exemples : Shopify, bigCommerce, Wix eCommerce.
Rôle : Hébergement, gestion des paiements, design, et outils de marketing.
Statut : Intermédiaire !
Marketplaces : ce sont des places de marché existantes qui permettent aux vendeurs de mettre leurs produits à vendre. Elles ont un public large, et prennent généralement une commission sur les ventes. Pour les vendeurs, le contrôle de la présentation de la boutique reste plus restreint qu’une plateforme indépendante. Cependant, elles proposent également leurs propres produits ou services.
Exemples : Amazon, eBay, Etsy, Alibaba
Rôle : Gestion des transactions, services de paiement, logistique (parfois), et protection des acheteurs.
Statut : intermédiaire et/ou acteur direct
Plateformes headless : ce sont des plateformes qui séparent l’interface utilisateur de la logique de gestion. Ce qui permet une personnalisation avancée et une intégration avec divers canaux de vente (web, mobile, Iot). Elles sont généralement utilisées par les grandes entreprises.
Exemples : CommerceTools, Salefsforce Commerce Cloud
Rôle : Gestion des données produits, stocks, commandes, et intégrations techniques.
Statut : intermédiaire technique
Plateformes sociales et de messagerie : ces plateformes permettent de vendre directement via les réseaux sociaux et les applications de messagerie. Elles sont idéales pour l’interaction directs entre vendeurs et consommateurs.
Exemples : Instagram Shopping, Facebook Marketplace.
Rôle : Promotion des produits, mise en relation, et parfois gestion des paiements.
Statut : intermédiaire technique et/ou commercial
Plateformes B2B : ce sont conçues pour les transactions entre entreprises.
Exemples : Alibaba, ThomasNet
Rôle : Facilitation des transactions B2B, gestion des catalogues, et intégration avec les systèmes ERP.
Statut : intermédiaire technique et/ou commercial
Statut juridique.
Avant de parler de la responsabilité des applications e-commerce il est tout d’abord nécessaire d’identifier leur statut juridique et de définir les relations entre les différents intervenants. En effet les plateformes e-commerce s’inscrivent souvent dans une relation triangulaire impliquant le vendeur, le consommateur et l’intermédiaire.
Sur le plan juridique, la qualification du statut de chaque acteur est primordiale pour comprendre les responsabilités de chacun. D’abord, le concepteur ou le créateur qui développe une application, ainsi que ses produits et services, est généralement qualifié comme éditeur (vendeur). Alors, il sera directement responsable des contenus proposés sur sa plateforme. Toutefois, il peut, dans certains cas, se retourner contre ses sous-traitants informatiques si des défaillances techniques sont imputables à ces derniers. Ensuite, les intermédiaires techniques et/ou commerciaux, tel que Amazon, sont considérés comme des hébergeurs de contenus. Cependant, ils occupent une double position sur le plan juridique, parce que d’une part, ils fournissent une plateforme permettant à d’autres acteurs de diffuser leurs produits, et d’autre part ils agissent comme des éditeurs en s’impliquant activement dans la commercialisation des produits. Leurs plateformes deviennent une place où ils exercent le rôle d’intermédiaire commercial en facilitant les transactions entre vendeurs et acheteurs.
Au niveau de l’Union Européenne, la directive 2000/31/CE relative au commerce électronique représente un instrument fondamental en la matière. Ce texte mentionne le statut des plateformes e-commerce, en les qualifiant comme « hébergeurs » ou comme « prestataires techniques ». Cependant, cette qualification reste limitée, spécifiquement, quand il s’agit des plateformes à double profil (hébergeur, éditeur).
Au niveau du Maroc, le commerce électronique est encadré par quelques textes de lois relatifs à l’échange électronique (loi n°53-05), à la protection des données personnelles (loi n°09-08) et à la protection des consommateurs (loi n°31-08). Toutefois, l’arsenal législatif marocain, en développement, ne dispose pas encore d’un texte dédié spécifiquement au commerce électronique, et traite la question de la qualification du statut des plateformes e-commerce.
2- La responsabilité vis-à-vis les consommateurs.
Que ce soit via des marketplaces, des boutiques en ligne ou des applications mobiles, l’e-commerce continue sa croissance et son influence sur le marché du commerce mondial et des questions complexes concernant la protection des consommateurs et la réglementation en cas de litige sont d’actualité. Dans ce contexte, il est essentiel d’analyser la responsabilité des plateformes e-commerce par rapport aux aspects clés de l’opération de vente, à savoir la qualité des produits, la protection des données personnelles des consommateurs et le règlement des litiges découlant des opérations de commerce électronique.
En matière de qualité de produit.
La question qui se pose au niveau de la qualité de produit est souvent liée à la détermination de la responsabilité, est ce que la plateforme doit garantir la conformité et la sécurité des produits vendus sur son site ou bien la responsabilité incombe uniquement au vendeur ?
Pour déterminer qui est responsable, il faut se référer aux cadres juridiques applicables, notamment la directive européenne 2019/771 sur la conformité des biens de consommation, et les dispositions de la loi marocaine n°31-08 relative à la protection des consommateurs.
La directive 2019/771 précise que le vendeur est le premier responsable de la conformité des produits. Il est tenu de garantir que les produits sont conformes au contrat, fonctionnels et correspondent à la description fournie. Quant aux plateformes, la directive confirme qu’elles ne sont pas responsables de la qualité des produits si elles agissent uniquement en qualité d’intermédiaire technique. Cependant, si elles jouent un rôle actif dans la transaction, en stockant ou en expédiant les produits, elles peuvent être tenue partiellement responsables . Ainsi, dans le cadre de la transparence, la plateforme e-commerce est dans l’obligation de fournir aux e-consommateurs des informations sur l’identité du vendeur (l’acteur direct) et sur les conditions de vente. L’absence de ces informations peut entrainer des sanctions pour pratiques commerciales trompeuses.
Au Maroc, la loi 31-08 précise que le fournisseur est le premier responsable de la qualité et de la conformité des produits. L’article 2 de la présente loi défini le fournisseur comme « toute personne physique ou morale qui agit dans le cadre d’une activité professionnelle ou commerciale ».
En somme, la responsabilité en matière de qualité de produit dépend du rôle joué par la plateforme dans la transaction. Si elle agit comme intermédiaire commercial c’est-à-dire acteur direct, elle peut être tenue partiellement ou entièrement responsable, notamment si elle gère les paiements, la logistique ou la promotion du produit. Mais si la plateforme agit uniquement comme un intermédiaire technique c’est-à-dire hébergeur, elle n’est généralement pas responsable de la qualité des produits.
En matière de traitement de données personnelles.
Les plateformes e-commerce collectent et traitent des quantités énormes de données personnelles, ce qui rend la question de la protection des données personnelles un enjeu majeur pour ces plateformes. Des réglementations strictes encadrent le traitement des données personnelles, notamment le règlement général sur la protection des données (RGPD) dans l’Union européenne et la loi 09-08 relative à la protection des données personnelles au Maroc.
Le RGPD, entré en vigueur en mai 2018, impose aux plateformes des obligations strictes concernant la sécurité et la confidentialité des données des utilisateurs. La plateforme est considérée comme responsable du traitement si elle détermine les finalités et les moyens du traitement des données (par exemple, collecte des données pour faciliter les transactions). Si la plateforme agit pour le compte d’un vendeur (par exemple, en stockant des données pour un vendeur tiers), elle est considérée comme un sous-traitant et doit respecter les instructions du responsable du traitement. Ainsi le RGPD détermine les obligations principales, à respecter par ces plateformes, qui sont le consentement explicite, la transparence, la minimisation des données, la sécurité et la notification des violations. En cas du non-respect des dispositions, le règlement prévoit des sanctions allant jusqu’à 20 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaires. Enfin, il faut signaler que si la plateforme et le vendeur agissent conjointement dans le traitement des données, ils peuvent être tenus solidairement responsable en cas de violation.
Cependant, pour la loi 09-08, promulguée en 2009, le rôle des plateformes est soit un responsable du traitement entièrement responsable sur la protection des données des utilisateurs, soit un sous-traitant dont la responsabilité est limitée. En effet, la plateformes e-commerce est généralement responsable de la protection des données si elle détermine les finalités et les moyens du traitement, et elle est tenu de garantir la conformité aux principes du traitement des données afin de garantir la protection des utilisateurs contre les cyberattaques.
En cas de litige.
La responsabilité des plateformes de commerce électronique, en cas de litige, dépend de plusieurs facteurs, tels que la nature du litige, les termes et conditions d’utilisation de la plateforme ainsi que les réglementations en vigueur. Ces plateformes sont confrontées à la présence de contenus illicites, qu’il s’agisse de produits contrefaits, interdit ou dangereux ce qui peut engager leur responsabilité contractuelle et/ou délictuelle.
La responsabilité contractuelle : si la plateforme agit en qualité d’intermédiaire entre le vendeur et le consommateur, sa responsabilité peut être engagée en fonction des conditions contractuelles que les utilisateurs acceptent lors de leur inscription (les conditions d’utilisation de la plateforme). Si la plateforme ne respecte pas ses obligations contractuelles, en ne fournissant pas un service adéquat, elle peut être tenue responsable.
La responsabilité délictuelle : en cas de préjudice causé par un produit vendu sur la plateforme, la responsabilité de celle-ci pourrait être engagée sur la base de la négligence, si elle a manqué à son devoir de diligence en ne vérifiant pas correctement les produits et les informations des vendeurs. Cependant, la directive 2000/31/CE relative au commerce électronique limite la responsabilité des plateformes pour les contenus illicites, à condition qu’elles agissent rapidement pour les retirer une fois signalées. Dans ce contexte, et pour lutter contre les produits et les contenus illicites, les plateformes investissent dans des technologies d’IA. Amazon, à titre d’exemple, utilise des algorithmes pour détecter les produits contrefaits et améliorer sa capacité de diligence.
Quant au traitement des litiges, la majorité des plateformes proposent des mécanismes internes, tels que les services après-vente, les procédures de réclamation et les politiques de retour. D’autres plateformes incluent des clauses de médiation ou d’arbitrage dans leurs conditions d’utilisation pour éviter de saisir directement les tribunaux. Dans ce sens, la CNUDCI a adopté, en 2016, les notes techniques sur le règlement des litiges en ligne. La nécessité de créer des règles pour encadrer les litiges découlant des opérations internationales de commerce électronique a poussée la commission des nations unies pour le droit commercial international a finalisé ces notes qui consacrent les principes d’impartialité, d’efficience, de responsabilité, d’indépendance, d’efficacité, des respects des garanties procédurales, de transparence et d’équité.
Conclusion.
Les plateformes de commerce électronique, qu’elles agissent comme intermédiaires techniques ou acteurs directs, jouent un rôle majeur dans l’économie mondial et doivent relever les défis de responsabilité en matière de qualité des produits et de traitement des données. Afin de concilier innovation et protection des droits, ces plateformes doivent veiller à ce que les produits mis en vente respectent les normes de qualité, et les données collectées lors des transactions sont traitées et stockées selon les règles de protection et de confidentialité.
En effet, l’équilibre entre l’innovation et la protection des droits passe par une stricte conformité aux réglementations, visant à protéger les consommateurs et à encadrer le marché du commerce numérique.