Faut-il être visionnaire pour saisir le mouvement constant du droit confronté aux
mutations de la pratique des affaires ? Suffit-il juste que le juriste sache isoler les
nouveaux changements qu’animent des concepts émergents ? Encore convient-il
qu’il dégage par l’analyse de faits, de situations, de phénomènes… en émersion les
pôles futurs d’ordonnancement des règles en devenir ; qu’il recherche et suive les
traces de la dialectique permanente entre tradition et innovation.
Ainsi, peut-on en se portant à l’avant-poste du droit identifier des phénomènes juridiques non encore reconnus ou en voie de réception par le droit mais promis à un fort potentiel de développement,
décrypter les points d’inflexion de leurs disciplines, anticiper des tendances lourdes
conduisant à terme à de nouveaux outils opératoires ; somme toute, dégager
nombre de données et pratiques avant qu’elles ne soient traitées par la jurisprudence,
voire encadrées par la loi.
Ne découvre-t-on pas qu’avec le "social-business" (Thibaut Massart), on propose au "peuple économique" un nouveau concept d’entreprises liées au « microcrédit » et destinées à développer des activités économiques à caractère social dans le but de lutter contre la pauvreté, sans réaliser de pertes et sans distribuer de dividendes, mais qui permettent
le remboursement des apports et des transferts de titres avec une plus-value, le cas échéant. Ni société, ni tout-à-fait une association, le "social-business" est un groupement original, intermédiaire entre les deux, qui exerce des activités marchandes, réalise des bénéfices à réinvestir, reçoit des apports, émet des titres négociables, mais ne
recherche pas de profits à distribuer aux associés.
Autre instrument de conciliation, le concept de « faith based » de l’investissement ou du financement religieux (Isabelle Riassetto) permet une extension de l’économique dans le domaine religieux, mais surtout illustre les possibilités de coexistence de deux systèmes du lien social, le religieux et l’économique, grâce au droit, grâce à « une
contractualisation du fait religieux » qui trouve sa validité dans la liberté contractuelle.
En s’inscrivant au nombre des stipulations contractuelles, l’obligation religieuse se fonde en obligation civile ; étant entendu
que le juge étatique n’a pas à se prononcer sur la compatibilité de l’obligation avec la religion, compatibilité qui relève du système religieux. Sous réserve de l’ordre public, les instruments financiers marqués d’une coloration religieuse sont intégrés par le système juridique : par l’agrément de l’AMF, l’admission à la cotation ... Le « faith based » se présente ainsi comme un concept « prismatique » à travers lequel la banque et la finance se donnent à voir, s’organisent » sous un angle religieux comme ils peuvent l’être sous un angle éthique ou en conformité avec le développement durable ; double exigence de conformité, non seulement aux lois étatiques mais aussi à la loi religieuse.
Plus solidariste, mais permettant de concilier la flexibilité du travail salarié au sein des entreprises ou du travail indépendant, le concept d’une « garantie sociale » (Christine Neau-Leduc) appelle à instaurer un fonds mutualisé de formation, de pluri-activité et également des droits à prestations, à rémunération de substitution et à tout ce qui relève de la couverture sociale en reconnaissant à chacun, sous conditions et tout au long de sa vie, un « droit de tirage » qu’il exercerait selon son cursus personnel et qui pourrait être alimenté à des niveaux divers, individuel,
dans le cadre de l’entreprise, de la branche, voire de la collectivité, y compris par capitalisation, sous l’égide d’opérateurs de garantie collective de prévoyance divers.
Egalement, d’essence protectrice, pour assurer une régulation publique des atteintes à l’environnement, les « titres environnementaux » (François-Guy Trébulle), tels les quotas d’émission de gaz à effets de serre, réalisent la titrisation d’unités de compte environnementales et non monétaires, autorisent des "échanges de quotas" et sont dotés d’une certaine négociabilité qui permettent à leurs titulaires de se prévaloir des droits qui y sont incorporés. S’aperçoit-on, alors, que toute production mesurable peut constituer le vecteur de titres négociables sur un marché !
Autant de découvertes juridiques, et d’autres, si l’on s’efforce de saisir les dynamiques du droit des affaires autour des créations juridiques émergentes ; ce qui a fait reconnaître à certains (Gérard Farjat, Jean-Louis Bergel in "Les concepts émergents en droit des affaires", LGDJ) qu’à l’instar du monde économique, le droit des affaires offre des processus de destruction créatrice au détour de concepts émergents et peut-être pour certains… sauveteurs !
Erik LE DOLLEY