Pour rappel, les arts décoratifs bénéficient également de la protection du droit d’auteur dès lors que dans leur conception, et sous réserve de la notion d’originalité, l’auteur a été animé du souci de donner à ses créations une valeur nouvelle dans le domaine de l’agrément, séparable du caractère fonctionnel de l’objet.
Dans cette acception, la copie non autorisée de meubles originaux est appréhendée sur le terrain de la contrefaçon, à laquelle est sensible la Fondation Giacometti.
En l’espèce, il était question d’une paire de fauteuils « Têtes de lionnes » en fer et bronze attribués à Diego Giacometti et vendu par une galerie d’art en 2014. Une expertise amiable, postérieure à cette vente, a cependant conclu que lesdites œuvres étaient fausses.
Si la contrefaçon n’était pas discutée dans cette affaire puisque les parties reconnaissaient le défaut d’authenticité des œuvres, la Cour d’appel Paris, par un arrêt en date du 2 novembre 2022, a dû se prononcer sur l’évaluation des sommes allouées au titre du préjudice patrimonial (I) et moral (II).
I. Evaluation de l’atteinte portée aux droits patrimoniaux.
Pour rappel, au titre de la protection accordée par le droit d’auteur à des œuvres originales, l’artiste ou ses ayants droit sont en droit d’exercer un contrôle très étroit sur l’exploitation desdites œuvres protégées, notamment quant à leur reproduction totale ou partielle de celles-ci.
La reprise d’une œuvre par un tiers et ce sans l’autorisation préalable de son auteur, l’expose à une éventuelle action en contrefaçon prévue par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle qui répriment le délit de contrefaçon.
Dans cette affaire, les ayants droit de Diego Giacometti ont poursuivi la galerie d’art pour contrefaçon, lui reprochant d’avoir détenu et proposer à la vente des œuvres du sculpteur sans leur autorisation.
L’authenticité n’était pas le cœur du litige, ces derniers ont obtenu gain de cause devant le Tribunal judiciaire de Paris le 19 juin 2020. Toutefois, ils ont contesté les indemnisations allouées par tribunal qui leur a accordé la somme de 1 000 euros en réparation de leur atteinte aux droits patrimoniaux et 1 000 euros pour leur préjudice moral.
L’affaire ainsi portée en appel reposait sur la seule question de l’indemnisation jugée par les ayants droit comme trop maigre, effectivement, les faits de contrefaçon étant « non contestés ».
Sur la question du préjudice patrimonial précisément, les requérants sollicitaient
« une somme forfaitaire de 29 000 euros correspondant, selon eux, au montant de la redevance qu’aurait perçu l’auteur ou ses ayants droits s’ils avaient autorisé la reproduction de l’œuvre, soulignant que leur préjudice a été sous-évalué en première instance ».
L’article L331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle renseigne sur les modalités de fixation des dommages et intérêts suite à une contrefaçon.
Il prévoit schématiquement deux méthodes : soit un calcul comprenant l’indemnisation des préjudices moraux, économiques et des bénéfices réalisés par le contrefacteur, soit un montant forfaitaire sur demande expresse de la partie lésée.
C’est ce que demandait en l’espèce les ayants droit de Giacometti.
La Cour d’appel de Paris précise à ce titre qu’il incombait dès lors aux appelants « de fournir tout élément utile notamment quant au prix de la licence conventionnelle que le contrefacteur aurait dû payer ». Or, selon la cour, ces derniers
« ne produisent aucune pièce pour justifier du montant de la redevance ainsi revendiquée, se contentant de solliciter un pourcentage du prix de vente des pièces incriminée ».
Par conséquent, sans apport supplémentaire, les juges du fond considèrent que la somme de 1 000 euros accordée en première instance pour réparer l’atteinte aux droits patrimoniaux était suffisante, restant à statuer sur l’indemnisation au titre du préjudice moral.
II. Évaluation de l’atteinte portée au droit moral.
Pour relever une atteinte au droit moral, la cour d’appel notait que les fauteuils litigieux n’étaient pas des œuvres créées de toutes pièces et faussement attribuées à Diego Giacometti mais étaient en réalité des copies de fauteuils authentiques ce qui, selon elle, était répréhensible.
D’autant que l’artiste avait exprimé de son vivant la volonté qu’aucune de ses œuvres, en original ou en copie, ne soient réalisée après sa mort. Les héritiers veillaient donc « au respect de ce souhait et combattent à cette fin en Europe la recrudescence de copies d’œuvres authentiques et de contrefaçons faussement attribuées au sculpteur ».
Pour mémoire, les sommes allouées en première instance au titre de cette atteinte au droit moral de l’artiste avait été fixée à 1 000 euros. Compte tenu de ce qui précède, la Cour d’appel de Paris affirmait alors que «
le préjudice subi en conséquence sera plus justement réparé dans ces circonstances par l’attribution d’une somme de 10 000 euros à ses ayants droit, continuateurs de son droit moral et gardiens du respect de ses volontés, le jugement étant réformé sur ce point ».
De surcroît, les héritiers sollicitaient une demande de publication dans le but de mettre en garde les acteurs du marché de l’art et en cela limiter la circulation des œuvres contrefaisantes. Toutefois, la cour a jugé
« le préjudice subi par les ayants droits de l’artiste est suffisamment réparé par l’octroi de dommages et intérêts, la mesure de publication sollicitée n’apparaissant ni opportune, ni proportionnée aux faits de l’espèce ».
L’appréciation du préjudice résultant de la contrefaçon est tout aussi primordiale que la démonstration de la contrefaçon comme le démontrent régulièrement les décisions en la matière.
Dans une autre affaire, un peintre du courant « Geek Art » réclamait 90 000 euros au titre de ses prérogatives patrimoniales et 15 000 euros au titre de son droit moral pour la reproduction de quatre de ses créations sur des tonnelets de vin d’une société viticole.
La Cour d’appel de Paris dans sa décision du 17 janvier 2020 (18/20593) a fait une application littérale de l’article 313-1-3 du Code de la propriété intellectuelle. Après avoir constaté que l’artiste n’avait formulé aucune demande expresse d’application forfaitaire, elle a donc procédé à la seconde méthode proportionnelle.
Au regard des conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits de l’artiste, au préjudice moral de ce dernier et aux bénéfices, réalisés par la société contrefaisante, la cour a estimé que les dommages et intérêts doivent être fixés à la somme globale de 20 000 euros laquelle répare entièrement le préjudice subi.
Ainsi, la question de l’évaluation du préjudice fait partie de ces thèmes si présents dans les affaires de contrefaçon et pourtant si mal connus, souvent source de confusion en raison de ces deux méthodes d’évaluation. Les préjudices doivent être déterminés avec précision.