La création de l'ABCPI doit être ajournée. Par Claude Joël Packa et Lionel Kalina Menga, Avocats.

La création de l’ABCPI doit être ajournée.

Par Claude Joël Packa et Lionel Kalina Menga, Avocats.

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Explorer : # libre choix de l'avocat # droits de la défense # critères d'admission des avocats # principes de base des nations unies

L’exercice de profession d’avocat devant la Cour pénale internationale (CPI) est soigneusement encadrée par les textes internes à cette institution. Les avocats doivent faire acte de candidature pour être inscrit sur une liste tenue par le greffe de cette cour qui apprécie l’éligibilité des avocats à postuler devant cette Cour.
Sous l’instigation du greffe, ces avocats ont décidé de créer sans concertation avec les ordres nationaux, une association du Barreau devant la Cour pénale en abrégé ABCPI. Cette initiative doit être ajournée.

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Régie par le Statut de Rome entré en vigueur le 1er juillet 2002, la Cour pénale internationale est la première juridiction internationale permanente créée par traité dont l’objectif est de contribuer à mettre fin à l’impunité des auteurs de génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité ayant lésé la communauté internationale.

Dès lors que l’infraction est caractérisée, victimes, accusés et suspects se voient « garantir » par cette institution, le droit de se faire assister par un conseil. La représentation de l’accusation et de la défense lors du procès pénal au sein de la Cour est étroitement encadrée par les différents textes internes qui organisent cette juridiction.

I.- L’encadrement du statut des avocats de la défense devant la CPI et le principe du libre choix de l’avocat.

Quel que soit le système juridique, de Common Law ou de Civil Law, tout individu dispose du droit de choisir librement son conseil. Devant la CPI cette prérogative fondamentale subit une grave entorse puisque le choix de l’accusé est « tutoré » par l’obligation qui lui est faite de choisir son avocat sur une liste de conseils présélectionnés par le greffe de la Cour.
En effet, au terme de la Règle 21-2 du Règlement de procédure et de preuve de la CPI « le greffier dresse et tient à jour une liste de conseils répondant aux critères énoncés dans la règle 22 et dans le Règlement de la Cour. L’intéressé choisit son conseil sur cette liste ou un autre conseil répondant aux critères en question acceptant d’être inscrit sur ladite liste ».

Selon le guide établit à cet effet par la CPI, pour figurer sur la liste de conseils, les candidats doivent satisfaire à certaines exigences prescrites par la Cour.
Ils doivent selon les critères de la Cour, justifier d’une compétence et d’une expérience d’au moins une dizaine d’années en droit international, en droit pénal ou en procédure pénale, expérience acquise soit comme avocat, soit comme procureur ou juge.
Les candidats doivent avoir une excellente connaissance et une pratique courante d’au moins une des deux langues de travail de la Cour, qui sont l’anglais et le français.
Enfin, ils doivent n’avoir jamais été condamnés pour des infractions pénales ou disciplinaires graves considérées comme incompatibles avec la nature des fonctions de conseil devant la Cour. Au cas où un candidat aurait fait l’objet d’une telle condamnation, le greffier évalue si la sanction prononcée à son encontre est de nature à empêcher le candidat à intervenir devant la Cour conformément aux textes fondamentaux de celle-ci.
La candidature est adressées au greffe qui après un examen préliminaire pour apprécier la complétude du dossier, le transmets un à jury d’évaluation constitué au sein du greffe pour examiner les qualifications du candidat sur la base des critères d’admission précités.

Si la Règle 21 admet effectivement que l’accusé puisse désigner l’avocat de son choix, elle restreint cette faculté en exigeant que ce conseil choisi accepte préalablement de se faire inscrire sur la liste tenue par le greffe de la Cour.
La demande d’inscription est alors soumise à l’examen du greffe qui peut parfaitement la rejeter. Cette situation est extrêmement préoccupante car elle donne à la Cour toute latitude pour conditionner le choix de l’avocat de la défense, et écarter sans aucun recours tout avocat considéré, à tort ou à raison, comme importun. La Cour par l’intermédiaire de son greffe a toujours le dernier mot sur le choix de l’avocat ce qui est contraire au principe du libre choix du conseil par l’accusé.

II.- La tenue d’une liste de conseils de la défense cooptés par la CPI est contraire aux principes de base des Nations Unies relatifs au rôle du barreau.

Adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août 1990, les principes de base relatif au Barreau rappelle notamment que :
1. Toute personne peut faire appel à un avocat de son choix pour protéger et faire valoir ses droits et pour la défendre à tous les stades d’une procédure pénale.
2. Les pouvoirs publics prévoient des procédures efficaces et des mécanismes adéquats permettant à toute personne vivant sur leur territoire et soumise à leur juridiction, sans distinction d’aucune sorte, ni discrimination fondée sur la race, la couleur, l’origine ethnique, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou la situation économique ou autre d’avoir effectivement et dans des conditions d’égalité accès aux services d’un avocat.
3. Les pouvoirs publics veillent à ce que toute personne, lorsqu’elle est arrêtée ou mise en détention ou lorsqu’elle est accusée d’un crime ou d’un délit, soit informée sans délai, par l’autorité compétente, de son droit à être assistée par un avocat de son choix.

Par ailleurs, cette charte prescrit également une étroite collaboration entre les associations d’avocats et les pouvoirs publics, dans les termes suivants :
4. Les pouvoirs publics prévoient des fonds et autres ressources suffisantes permettant d’offrir des services juridiques aux personnes les plus démunies et, le cas échéant, à d’autres personnes défavorisées. Les associations professionnelles d’avocats doivent collaborer à l’organisation et à la fourniture des services, moyens et ressources pertinents.
5. Les pouvoirs publics et les associations professionnelles d’avocats promeuvent des programmes visant à informer les justiciables de leurs droits et devoirs au regard de la loi et du rôle important que jouent les avocats quant à la protection de leurs libertés fondamentales. Il faut en particulier veiller à fournir une assistance aux personnes démunies et à d’autres personnes défavorisées, afin de leur permettre de faire valoir leurs droits et, si nécessaire, de faire appel à des avocats. A la lecture de ce qui précède la procédure de choix contrôlé du conseil imposé par la CPI n’est pas conforme aux principes de base précités.

En effet, le préambule de la convention précise que « les principes de base sur le rôle du barreau énoncés, formulés pour aider les États membres à veiller à ce que les avocats exercent le rôle qui leur revient, devraient être pris en compte et respectés par les gouvernements dans le cadre de leur législation et de leur pratique nationales et devraient être portés à l’attention des avocats, ainsi que d’autres personnes telles que les juges, les membres du parquet, les représentants du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif et le public en général (...) ».

Il s’infère de ce qui précède que, la CPI institution spécialisée des Nations Unies devrait se conformer à ces exigences pertinentes.

III.- Pourquoi la création de l’ABCPI doit être ajournée.

La Conférence des Barreaux OHADA a été informé de ce que, sous l’instigation du greffe de la CPI, ces conseils présélectionnés ont décidés de la mise en place d’une association du barreau de la Cour pénale internationale en abrégé ABCPI, sans aucune concertation avec les ordres nationaux d’avocats.

L’assemblée générale constitutive de cette association qui a été prévue pour le 1er juillet 2016 vient consacrer cette malformation congénitale de l’exercice des droits de la défense devant la CPI.

Selon le projet de statuts disponible sur son site, l’ABCPI se composerait de membres à part entière, de membres associés et de membres affiliés. Serait considéré comme membre « toute personne inscrite en tant que Conseil indépendant sur la liste des Conseils autorisés à exercer devant la CPI, ou encore toute personne désignée comme conseil devant la CPI et y assistant ou y représentant directement des individus ». 


Serait encore considérées comme membre, toute personne inscrite sur la liste des personnes assistant un conseil de la CPI ou autrement désignée comme membre du personnel d’appui dans le cadre d’une affaire, inscrite au barreau de son pays et possédant cinq années d’expérience pertinente en droit international pénal. Selon les mêmes statuts l’adhésion à cette association aurait vocation à devenir obligatoire pour tous les avocats prétendant postuler devant la CPI.

Les associations d’avocats traditionnelles telle que le barreau de Paris, la Fédération des barreaux européens ou encore le Conseil des barreaux européens ont fait part de leurs vives inquiétudes, de ce « qu’une association dont les critères d’indépendance peuvent apparaître comme discutables puisse être considérée par les organes de la Cour comme seule autorisée à représenter l’ensemble des avocats exerçant devant la CPI ».
En outre, ajoutent-elles, le montant de la cotisation pourrait constituer un frein pour de nombreux confrères, ce qui pourrait aboutir à limiter la représentation géographique devant la CPI. Il paraît de surcroit contraire aux principes d’imposer à un avocat une adhésion à une association agréée par le greffe aux fins d’être autorisé à représenter son client devant la Cour.

En réponse, Silvia Fernandez Gurmendi, présidente de la CPI a répondu dans un courrier du 2 juin 2016, avoir transmis ces doléances au greffier pour examen et suivi étant donné que les questions relatives au conseil de la défense et des victimes relèvent de sa compétence. Réponse évidemment peu satisfaisante au regard des enjeux induits par ces réserves sur la crédibilité même de l’institution. En outre ne pas avoir donné suite à la demande de rendez vous sollicitée par ces associations nous paraît plus que maladroit du point de vue des convenances.
Les avocats africains pour leur part, réunis au sein de la Conférence des barreaux de l’epace OHADA se montrent dans leurs échanges informels, tout aussi réservés quant à cette initiative, et ce d’autant que les Africains constituent, à ce jour, le plus gros contingent des justiciables devant cette juridiction.

De façon générale l’opinion qui se dégage est de dire que la création de cette association prévue pour le 1er juillet prochain doit être différée pour permettre une meilleure concertation sur les conditions de la postulation devant la CPI.
C’est la voie du bon sens, et elle conditionne la légitimité de cette association qui reposera nécessairement sur une reconnaissance des associations traditionnelles d’avocats.
Faire le contraire conduirait à isoler cette association dès sa naissance, et contribuerait à renforcer, à juste raison cette fois-ci, le sentiment qu’il s’agit d’une justice sélective sur mesure. Cela viendrait apporter de l’eau au moulin de ceux qui prônent la sortie de l’Union africaine de cette institution.

Madame le Président, pour notre part, nous pensons, comme beaucoup d’autres que, la création de cette association doit être ajournée, et cette question va bien au delà des seules compétences du greffier. Passer outre ces réserves serait lourdement contre-productif et aurait des conséquences qui poseraient la question même de la survie de la Cour que vous avez la lourde charge de présider. Et, c’est vous qui en serez comptable devant l’histoire.

Bâtonnier Claude Joël Packa et Lionel Kalina MENGA
Pour l’ordre National des Avocats du Congo,
Avocats au Barreau de Pointe-Noire,
Membre de la Conférence des Barreaux des Etats Parties de l’OHADA.

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