I- L’état des créances.
L’état des créances se définit comme la liste des créances établie par le mandataire judiciaire, déposée au greffe, comprenant l’ensemble des décisions du juge-commissaire sur chacune des créances déclarées.
Cette liste pourra être complétée par le relevé des créances salariales et les différentes décisions concernant ces créances (décision rendue sur recours contre les décisions du juge-commissaire).
1°- Qu’est-ce que l’état des créances ?
Lorsqu’une entreprise est en cessation des paiements, cela signifie que sa trésorerie n’est plus suffisante pour faire face à ses dettes. S’ouvre alors à son encontre une procédure collective qui lui interdit de payer ses dettes antérieures dès l’ouverture de la procédure.
Le créancier antérieur n’a également plus le droit de poursuivre l’entreprise en justice. Cette procédure est mise en place pour effectuer un traitement global des différentes dettes de l’entreprise.
Pour revendiquer la créance que lui doit la société, le créancier va pouvoir procéder à la déclaration de sa créance.
Le dépôt de l’état des créances intervient dans une procédure globale de déclaration de créances :
- les créanciers déclarent leurs créances ;
- le mandataire judiciaire dresse la liste des créances déclarées ;
- le mandataire judiciaire note des propositions de rejet d’admission ou de renvoi sur chacune des créances ainsi que les observations du débiteur ;
- l’état de créances est déposé au juge commissaire ;
- puis le juge commissaire décide de l’admission ou du rejet de chacune des créances.
L’état des créances est donc le document établi à l’issue de la vérification des créances et de toutes les décisions du juge commissaire relative aux créances déclarées. C’est une sorte de "recueil" de l’état des créances et des décisions antérieures du juge relatives à chacune des créances.
Un avis de l’état des créances est donc constitué dès que le juge commissaire a rendu ses décisions sur toutes les créances.
2°- Qui réalise le dépôt de l’état des créances ?
Le dépôt de l’état des créances est réalisé par le mandataire judiciaire ou le liquidateur après vérification de chacune des créances déclarées.
Un mandataire judiciaire est un professionnel nommé par le tribunal dans le cadre des procédures collectives pour représenter les intérêts des créanciers et assister l’entreprise en difficulté dans la gestion de ses affaires financières et juridiques.
Un liquidateur, quant à lui, est une personne désignée par le tribunal pour liquider les actifs d’une entreprise en liquidation judiciaire, en vue de payer les créanciers et de mettre fin à ses activités.
3°- Que contient le dépôt d’état des créances ?
Le dépôt d’état des créances, par définition, contient une liste détaillée de toutes les créances détenues par les créanciers à l’encontre de l’entreprise en difficulté.
Celle liste comprend :
- les montants dus ;
- les justifications ;
- et les preuves à l’appui de chaque créance.
C’est grâce à cet état des créances que le juge-commissaire décidera de l’admission ou du rejet des créances. Il est ensuite déposé au greffe du tribunal où il devient public. Ainsi, il est possible de consulter l’état des créances.
Une insertion est publiée au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) par le greffier indiquant que l’état des créances est constitué et déposé au greffe.
4°- Quand intervient le dépôt de l’état de créances ?
Le dépôt de l’état des créances intervient généralement au début de la procédure collective, souvent dans les premières semaines après l’ouverture de la procédure.
Le délai pour déclarer les créances est de 2 mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. Ainsi, le dépôt pourra être complété si besoin.
Ce dépôt est une étape cruciale permettant aux créanciers de faire valoir leurs droits et de participer activement à la procédure collective.
5°- Quelles sont les conséquences du dépôt de l’état des créances ?
Le dépôt de l’état des créances permet au juge-commissaire de prendre la décision finale concernant l’admission ou le rejet des créances. Une fois cette admission validée par le juge-commissaire, cette décision est notifiée au débiteur et au créancier concerné, et communiqués au mandataire de justice en charge du dossier.
Le dépôt de l’état des créances assure une transparence accrue dans le processus de traitement des dettes, offrant ainsi aux parties concernées une vision claire de la situation financière de l’entreprise en difficulté.
Cette étape facilite également la gestion efficace des litiges potentiels, permettant aux créanciers de contester les décisions du juge-commissaire si nécessaire, tout en garantissant une procédure équitable pour toutes les parties impliquées dans la procédure collective.
II- La débitrice peut-elle contester devant le Juge commissaire l’état des créances sur lequel a été portée une décision la condamnant à payer une créance salariale sur le fondement des articles R 624-8, alinéa 4 ; L 625-6 et L 622-21 du Code de Commerce ?
Selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 30 janvier 2023), par un jugement du 12 octobre 2016, la société Flat Lease Group a été mise en procédure de sauvegarde. Un plan a été arrêté le 6 juillet 2018.
Par un arrêt du 29 janvier 2021 devenu irrévocable, la société Flat Lease Group a été condamnée à payer à M. [K] diverses sommes en raison de son licenciement sans cause réelle et sérieuse intervenu le 7 janvier 2013. Cette créance a été portée sur l’état des créances de la société Flat Lease Group.
Le 9 février 2022, M. [K] a assigné la société Flat Lease Group en résolution du plan de sauvegarde.
Le 11 mars 2022, la société Flat Lease Group a saisi le juge-commissaire afin de voir déclarer la créance de M. [K] inopposable à la procédure de sauvegarde et de modifier l’état des créances.
Par une ordonnance du 20 juillet 2022, le juge-commissaire a dit que la société Flat Lease Group avait intérêt à agir et, se déclarant incompétent, l’a invitée à mieux se pourvoir.
La chambre commerciale juge que la débitrice en procédure collective, ne peut pas former à l’encontre de cet état des créances la réclamation ouverte aux tiers intéressés par le texte précité dans son arrêt du 23 mai 2024.
1° L’examen du moyen.
Au cas d’espèce, la requérante fait grief à l’arrêt de retenir son incompétence pour statuer sur la demande qu’elle avait formée, alors :
« Qu’à l’encontre de l’état des créances, tout intéressé peut présenter une réclamation devant le juge-commissaire dans le délai d’un mois à compter de la publication ; qu’il entrait donc dans les attributions juridictionnelles du juge-commissaire de statuer sur la réclamation formée par la société Flat Lease Group à l’encontre de l’état des créances afin de voir constater que l’arrêt du 29 janvier 2021 de la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’aurait pas dû y figurer parmi les relevés de créances salariales et que cette décision était inopposable à la procédure de sauvegarde ouverte à son égard en tant qu’elle la condamnait à tort au paiement d’une créance salariale antérieure à l’ouverture de la procédure collective sans se borner à en fixer le montant au passif ; qu’en décidant, pour retenir l’incompétence du juge commissaire, par motifs adoptés, que l’application de l’article L624-2 du Code de commerce permettait seulement au juge-commissaire de se prononcer sur le rejet ou l’admission de la créance de M. [K] avec la mention "instance en cours" et, par motifs propres, qu’en application des articles L624-2 et L 625-6 du Code de commerce, ce juge ne dispose d’aucun pouvoir juridictionnel pour admettre ou rejeter les créances salariales, quand il lui appartenait seulement de constater qu’une créance antérieure à l’ouverture de la sauvegarde ne pouvait donner lieu à aucune condamnation qui puisse être inscrite dans l’état des créances sans qu’il lui soit demandé de vérifier l’existence et le montant d’une créance salariale, la cour d’appel a déduit un motif inopérant ; qu’ainsi, elle a violé l’article R. 624-8, alinéa 4, du Code de commerce, ensemble les articles L. 622-21 et L. 625-6 du Code de commerce ».
2° La réponse de la Cour de cassation.
Selon le 4ᵉ alinéa de l’article R. 624-8 du Code de commerce, tout intéressé peut présenter une réclamation devant le juge-commissaire dans le délai d’un mois à compter de la publication de l’état des créances.
L’arrêt relève que la société Flat Lease Group a été condamnée, par un arrêt devenu irrévocable, à payer à M. [K] diverses sommes qui ont en conséquence été inscrites sur l’état des créances de la procédure collective de la société Flat Lease Group.
Il en résulte que la société Flat Lease Group, débitrice en procédure collective, ne peut pas former à l’encontre de cet état des créances la réclamation ouverte aux tiers intéressés par le texte précité.
Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1ᵉʳ, et 1015 du Code de procédure civile, l’arrêt se trouve légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Elle rappelle donc, sous le visa de cet alinéa 4 de l’article R. 624-8 précité, la règle selon laquelle tout intéressé peut, dans le délai d’un mois à compter de la publication de l’état des créances, former une réclamation devant le juge-commissaire contre l’état des créances, à l’exclusion notamment du débiteur en procédure collective qui n’est pas un tiers intéressé au sens de l’article R. 624-8, alinéa 4, comme le confirme d’ailleurs l’article L 625-6 du Code de Commerce excluant le débiteur de tout intéressé.
La motivation se place au regard de l’existence même de l’action, la qualité à agir étant une condition de celle-ci, distincte de l’intérêt à agir.
Pour rappel, l’article 31 du Code de Procédure Civile dispose :
« L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».
La débitrice en procédure collective, ne peut donc pas former à l’encontre de cet état des créances la réclamation ouverte aux tiers intéressés.
Tel est le principe.
Notes :
- Article R 624-8, alinéa 4 du Code de Commerce ;
- Article L 625-6 du Code de Commerce ;
- Article L 622-21 du Code de Commerce ;
- Article 31 du Code de Procédure Civile ;
- Cour de cassation - Chambre commerciale - N° de pourvoi : 23-12.126
- Article "Redressement judiciaire : impossible résiliation du bail pour causes financières antérieures au jugement."