1. L’article 1895 alinéa 1er du Code civil énonce que :
« L’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme numérique énoncée au contrat ».
Cette règle issue du droit romain demeure inchangée, mais les moyens de communication ont permis tout au long du XXe siècle de mettre en œuvre un remboursement du prêt, non pas dans son intégralité (le capital et les intérêts) mais par des échéances mensuelles successives sur plusieurs années [1].
Cette évolution du prêt, fondée sur l’exécution successive d’une obligation civile ou commerciale, repose comme à l’origine de ce contrat sur une confiance réciproque entre le débiteur et le créancier [2].
Le prêt constitue ainsi l’octroi au débiteur du droit de disposer d’un délai pour rembourser le capital et les intérêts contractuels, ce dont l’emprunteur peut être déchu dans certaines circonstances.
2. L’emprunteur peut, en effet, être privé de ce droit par le jeu de la résolution judiciaire de l’article 1227 du Code civil ou par l’application de stipulations contractuelles que l’organisme de prêt a prévues au sein du contrat, qui lui permettent de prononcer unilatéralement la « déchéance du terme » et ainsi de réclamer immédiatement à l’emprunteur défaillant le montant du capital restant dû et des intérêts, sans intervention du juge.
En matière de prêt immobilier, cette hypothèse est prévue à l’article L313-51, alinéa 1ᵉʳ, du Code de la consommation et permet au prêteur de solliciter la résolution du contrat et d’obtenir le remboursement du capital restant dû et des intérêts échus :
« Lorsque le prêteur est amené à demander la résolution du contrat, il peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, ainsi que le paiement des intérêts échus. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts à un taux égal à celui du prêt ».
Priver un débiteur du délai de remboursement qui lui a initialement été accordé est extrêmement lourd de conséquences pour les particuliers, notamment emprunteurs immobiliers, qui ne disposent généralement pas des fonds pour rembourser en une fois le capital restant dû.
Le remboursement immédiat de l’intégralité du capital restant dû est généralement impossible pour l’écrasante majorité des emprunteurs, sauf à pouvoir vendre sur le champ le bien immobilier objet du contrat de prêt, et donc à renoncer à l’opération initiale.
C’est la raison pour laquelle les juridictions européennes et françaises, sous le prisme de l’interdiction des clauses abusives, ont progressivement dégagé des principes qui fixent désormais les conditions dans lesquelles la clause de déchéance du terme doit être rédigée (I) et exécutée (II) afin de protéger manifestement l’emprunteur des conséquences d’une éventuelle déchéance du terme du prêt.
3. Les emprunteurs ont fait progressivement valoir devant les juridictions que la mise en œuvre d’une telle clause de déchéance du terme pouvait se heurter au droit communautaire sur les clauses abusives.
Pour rappel, les clauses abusives sont :
« les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » [3].
De telles clauses sont sanctionnées par la jurisprudence et sont réputées non écrites [4].
I. La rédaction minutieuse de la clause de déchéance du terme soumise au régime des clauses abusives.
4. Dans la lignée de sa jurisprudence générale sur les clauses abusives [5], faisant notamment obligation au juge de les relever d’office [6], la Cour de Justice de l’Union européenne est venue préciser que la clause de déchéance du terme doit être proportionnée et permettre au consommateur de remédier à ses effets [7].
Au-delà de ces deux critères essentiels, la CJUE précise, afin de déterminer si une clause produit un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, que la juridiction nationale doit examiner :
« 1° si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel ;
2° si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt ;
3° si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques ;
4° si le droit national confère au consommateur des moyens adéquats et efficaces lui permettant, lorsque celui-ci est soumis à l’application d’une telle clause, de remédier aux effets de l’exigibilité du prêt.
5. La Cour de cassation s’est interrogée sur le point de savoir si ces critères posés pour l’appréciation du caractère abusif de la clause de déchéance du terme en raison d’un manquement du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont cumulatifs ou alternatifs.
Selon la CJUE, ces critères ne sont ni cumulatifs ni alternatifs et la liste fournie au point 66 de l’arrêt n’est pas exhaustive ».
Elle retient, en effet, que considérer qu’ils sont cumulatifs ou alternatifs « reviendrait à restreindre cet examen du juge national » [8].
Se fondant sur l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13 qui définit de façon particulièrement large les critères permettant d’effectuer ledit examen en englobant expressément « toutes les circonstances » qui entourent la conclusion du contrat concerné [9], la CJUE retient que les critères évoqués dans l’arrêt Banco Primus « doivent être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné » [10].
Une attention particulière doit donc être accordée à la rédaction des clauses de déchéance du terme qui sont aujourd’hui systématiquement prévues dans les contrats de prêts par les banques.
6. Cette clause doit notamment définir avec précision les différentes causes qui sont susceptibles d’entraîner le prononcé de la déchéance du terme, de manière intelligible pour le consommateur.
D’une part, le retard ou l’absence de paiement constitue dans quasiment tous les contrats de prêts aux particuliers, comme aux entreprises, une cause de déchéance du terme ce qui est assez cohérent au regard de la nature et de l’objet du contrat de prêt, fondé sur la confiance du prêteur dans le respect de l’engagement du débiteur.
D’autre part, l’écrasante majorité des contrats de prêt prévoient également comme cause de déchéance du terme, la dissimulation volontaire par l’emprunteur d’informations ou la falsification de documents requis par la banque. La sanction s’explique dans cette hypothèse par le fait que la banque a été empêchée d’apprécier correctement la situation financière de l’emprunteur.
La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que la clause de déchéance du terme doit être suffisamment précise quant aux incidents pouvant conduire à cette exigibilité immédiate.
Elle sanctionne ainsi une clause de déchéance du terme « en ce qu’elle est de nature à laisser croire que l’établissement de crédit dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l’importance de l’inexactitude de cette déclaration » [11].
Dès lors, la jurisprudence valide des clauses de déchéance du terme qui précise que l’intégralité des sommes peut être réclamée lorsque les inexactitudes des déclarations de l’emprunteur portent sur des éléments essentiels à l’acceptation du prêteur [12].
Par conséquent, seules la dissimulation ou la falsification d’éléments importants de la situation personnelle et financière de l’emprunteur peuvent être sanctionnées par la déchéance du terme, tels que les revenus, le patrimoine ou l’état d’endettement de l’emprunteur.
7. Enfin, il sera précisé que la clause de déchéance du terme ne doit pas laisser croire au prêteur qu’un recours en justice est impossible.
La Cour de cassation a sanctionné pour cette raison une clause de déchéance du terme rédigée dans les termes suivants :
« Si bon semble au prêteur, quinze jours après notification faite à l’emprunteur par lettre recommandée avec accusé de réception, et ce sans qu’il soit besoin d’une mise en demeure ni d’aucune formalité judiciaire, dans l’un des cas suivants ».
La Cour de cassation a estimé que la rédaction de cette clause est de nature à laisser croire que :
« L’emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance du terme » et qu’elle était donc abusive [13].
Si les critères d’appréciation du déséquilibre de la clause de déchéance du terme sont laissés a priori à l’appréciation du Juge national, la Cour de cassation française confère, parmi les quatre critères susvisés, une importance particulière à la capacité pour le consommateur de disposer d’un temps suffisant pour y remédier.
II. La mise en œuvre encadrée de la clause de déchéance du terme par le prêteur et le délai de régularisation.
8. Pour assurer une forme de prise de conscience auprès de l’emprunteur du parfait respect de son obligation de remboursement échelonné, bon nombre d’organismes de prêt prévoyaient une clause assez stricte de déchéance du terme.
De nombreux contrats de prêts stipulaient une forme d’automaticité de la résiliation en cas de retard et/ou d’absence de paiement d’une ou plusieurs échéances, une déchéance du terme de « plein droit ».
Sous l’influence du droit communautaire, la Cour de cassation exige depuis quelques années que la déchéance du terme soit précédée d’une mise en demeure préalable pour produire régulièrement ses effets, en conformité avec la solution désormais retenue par l’article 1226 du Code civil.
Pour mémoire, notre droit a consacré dans le Code civil la faculté pour le créancier d’une obligation de résoudre unilatéralement le contrat, y compris à durée déterminée.
Si cette solution était reconnue parfois en jurisprudence avant la réforme du droit des contrats de 2016 (Ord. 2016-131 du 10-2-2016), le nouvel article 1226 du Code Civil impose, sauf urgence, pour résoudre le contrat, une mise en demeure préalable, puis une notification de la rupture adressées au débiteur de l’obligation défaillant :
« Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
La mise en demeure mentionne expressément qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.
Lorsque l’inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.
Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l’inexécution ».
Cette réforme du Code civil, elle-même fondée sur quelques jurisprudences antérieures et la doctrine, a indéniablement eu une influence sur le droit de la consommation.
9. Cette mise en demeure préalable a été consacrée pour les prêts immobiliers souscrits par les consommateurs par un premier arrêt de principe en date du 3 juin 2015 [14] :
« […] si le contrat de prêt d’une somme d’argent peut prévoir que la défaillance de l’emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf disposition expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle ;
Ainsi, sous la double influence des travaux préparatoires relatif au nouvel article 1226 du Code civil et de la jurisprudence communautaire, la Cour de cassation a imposé que la déchéance du terme devait être précédée d’une mise en demeure d’une durée raisonnable permettant ainsi d’échapper le cas échéant au couperet que représente la déchéance du terme ».
Fort logiquement, en termes de délai, ce qui apparaît raisonnable pour la banque ne l’est pas forcément pour l’emprunteur.
Il est donc revenu au Juge le soin de définir concrètement cette notion de délai raisonnable.
10. La pratique courante des banques fut le plus souvent de fixer un délai de mise en demeure de paiement de l’échéance ou des échéances impayées de 8 jours ou de 15 jours.
Pour la Cour de cassation, un délai de 8 jours constitue un déséquilibre significatif au détriment du consommateur.
De telles clauses ont donc été qualifiées d’abusives [15] :
« […] la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement […] ».
Plus récemment, la Cour de cassation a jugé qu’une clause prévoyant une résiliation de plein droit après une mise en demeure comprenant un délai de quinze jours n’est pas d’une durée raisonnable puisque :
« Elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement » [16].
Une durée d’un mois est jugée le plus souvent suffisante pour considérer que l’exécution de la clause de déchéance du terme ne crée pas un déséquilibre significatif [17].
11. La Cour de cassation sanctionne les clauses de déchéance du terme qui ne prévoient pas de préavis suffisant, créant ainsi un déséquilibre significatif au détriment du consommateur :
« La clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties » [18].
Pour être clair, le préavis évoqué fait référence au délai qui permet à l’emprunteur de régulariser sa situation auprès de la banque et de maintenir ainsi le caractère échelonné du prêt.
Aussi, une clause qui ne prévoit aucune mise en demeure ou préavis préalable au prononcé de la déchéance du terme sera nécessairement jugée abusive.
Cette solution a été rappelée par la Cour d’appel de Rennes dans un arrêt du 29 septembre 2023 qui a sanctionné une clause de déchéance du terme qui prévoit :
« la résiliation de plein droit du contrat en cas d’échéance impayée sans mise en demeure laissant à l’emprunteur un préavis d’une durée raisonnable pour régulariser la situation » [19].
Pour la Cour d’appel de Rennes, une telle clause « laisse croire aux emprunteurs qu’ils ne disposent d’aucun délai pour régulariser l’arriéré et que le prêteur peut se prévaloir de la déchéance du terme pour une seule échéances impayée sans considération de la gravité du manquement au regard de la durée et du montant du prêt consenti ».
12. Une jurisprudence classique de la Cour de cassation permettait aux banques d’échapper à l’obligation de mise en demeure préalable de l’emprunteur en présence d’une disposition expresse et non équivoque dans le contrat de prêt qui l’en dispense [20].
La dispense de l’envoi d’une mise en demeure doit être particulièrement explicite. Il a ainsi été jugé, logiquement, que la clause prévoyant l’ « absence de formalité judiciaire » ne permettait pas d’écarter l’absence de mise en demeure préalable [21].
L’avenir de cette solution est incertain à la suite des récents développements jurisprudentiels qui imposent le respect d’un préavis suffisant avant le prononcé de la déchéance du terme. À notre sens, les banques ne peuvent plus aujourd’hui se dispenser de l’envoi d’une mise en demeure contenant un préavis suffisant pour prononcer la déchéance du terme.
13. Enfin, la mise en demeure préalable doit être rédigée de manière particulièrement précise puisque l’emprunteur doit être informé de manière claire qu’à défaut de régularisation de sa part dans le délai raisonnable octroyé par la banque, le prêteur mettra en œuvre la clause de déchéance du terme, entrainant l’exigibilité immédiate des sommes restant dues [22].
La Cour de cassation applique ainsi dans cet arrêt les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 1226 du Code civil qui n’étaient pourtant pas applicable à cette affaire.
L’emprunteur doit également être informé précisément sur les manquements qui lui sont reprochés, c’est-à-dire sur les impayés qui lui sont reprochés.
À défaut de l’indication de ces informations, la déchéance du terme ne sera pas valable. En revanche, la jurisprudence n’a jamais imposé aux banques d’indiquer le montant du capital restant dû dans cette mise en demeure.
14. En définitive, on peut aujourd’hui affirmer que la validité de la clause de déchéance est étroitement liée à ses conditions de mise en œuvre ou plus exactement à la faculté laissée à l’emprunteur d’échapper à la rigueur d’une déchéance du terme, en lui permettant de comprendre qu’il dispose d’un délai d’un mois pour régulariser les échéances impayées et maintenir ainsi le terme initial du prêt.