Décret sur la protection des alignements d’arbres : la forêt toujours cachée ?

Initialement prévue par la loi du 8 août 2016 relative à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, la protection des alignements d’arbres a, en 2022, fait l’objet d’une profonde modification qui vient d’entrer en vigueur. La première version de l’article L350-3 du Code de l’environnement avait déployé son potentiel via un avis du Conseil d’Etat.
La nouvelle version, issue de la loi 3DS, vient quant à elle de "prendre vie" avec la publication du décret du 19 mai 2023 relatif au régime de protection des allées d’arbres et alignements d’arbres bordant les voies ouvertes à la circulation publique. Ce dispositif précise et complète la protection des alignements d’arbres, même si de nombreuses zones d’ombre perdurent quant à cette protection.

Introduction.

"Je ne comprends pas que l’on puisse passer à côté d’un arbre, et ne pas être heureux de le voir". Ainsi le Prince Mychkine, dans les dernières pages de l’Idiot s’exprimait-il au sujet de l’Arbre, thème d’ailleurs récurent chez Dostoïevski. Il est toutefois constant que cette conception particulière de l’arbre dans la littérature, et non seulement russe, n’a pas complètement trouvé son écho dans la législation environnementale. L’arbre n’est en effet pas en soi protégé par le code de l’environnement, mais au titre de réglementations diverses et sectorielles qui, plus que rendre une protection véritablement efficace, trouble l’application de cette dernière, et empêche une répression sécurisée de son atteinte.

Une nouvelle législation vient toutefois d’entrer en vigueur, non pour protéger un arbre unique, mais un alignement d’arbres. Initialement issu d’une loi de 2016, l’article L.350-3 du code de l’environnement avait fait l’objet d’une application en droit de l’urbanisme par le Conseil d’Etat, mais sa violation était dépourvue de toute autre sanction, notamment pénale.

L’article 194 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (dite "loi 3DS"), a cherché à combler cette difficulté afin de faire respecter les dispositions de l’article L.350-3 du code de l’environnement. Il a pour ce faire tenté de définir plus strictement les cas de dérogations, mais aussi les sanctions applicables. Ce faisant, la loi 3DS a profondément modifié son régime d’application.

Le nouvel article issu de la loi 3DS, rappelle tout d’abord, dans un alinéa introductif peu juridique, le principe de la protection des alignements d’arbres bordant les voies ouvertes à la circulation publique. Il justifie cette protection particulière, à l’image de l’ancien texte, par la valeur patrimoniale et bucolique de ces alignements, et par leur rôle dans la préservation de la biodiversité. Il pose ensuite l’interdiction d’abattre ou de porter atteinte à un arbre composant l’alignement, puis de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres constituant une telle allée ou un tel alignement d’arbres. Il décline enfin les modalités de dérogations à ce principe en confiant au préfet le soin de se prononcer sur celles-ci. L’article fixe également des modalités de compensation qui devront en tout état de cause être prioritairement réalisés à proximité des alignements concernés et dans un délai raisonnable. Enfin, des sanctions pénales sont prévues. Les modalités d’application de cet article devaient être fixées par décret très attendu.

Après plus d’un an de travail, ce dernier décret a été publié le 21 mai 2023 et, créant les articles R. 350-1 à R. 350-15 du code de l’environnement, est venu décliner et préciser les modalités pratiques d’application de cette loi.

Bien que protecteur, ce nouveau régime juridique assez complet (I) ne couvre toutefois pas toutes les zones d’ombre qui continueront sans doute à nuire, au moins dans un premier temps, à la protection de ces alignements d’arbres (II).

I - Des nouvelles règles protectrices des alignements d’arbres.

Les nouvelles dispositions ont tout d’abord pour mérite de préciser de manière claire les motifs de dérogation à l’interdiction d’atteinte (au sens large) aux règles de protection posées par l’article L.350-3 du code de l’environnement (A). Cette clarification est d’autant plus appréciable d’un point de vue juridique, qu’elle a été pensée pour s’articuler avec d’autres procédures environnementales, et est accompagnée de règles répressives destinées à en assurer le respect (B).

A - Un régime de protection juridiquement plus détaillé, et donc plus protecteur.

Alors que le régime antérieur de protection des alignements d’arbres renvoyait, on le verra, le soin d’apprécier la possibilité de déroger à l’interdiction de principe d’atteinte aux alignements d’arbres à l’autorité compétente (en matière d’urbanisme essentiellement), le nouveau dispositif se veut bien plus précis. Il prévoit en effet deux régimes différents de dérogations qu’il convient de rappeler brièvement.

Tout d’abord, un régime de déclaration de remise en cause des alignements d’arbres existe lorsqu’il est démontré que l’état sanitaire ou mécanique d’un ou de plusieurs arbres présente un danger pour la sécurité des personnes ou des biens. Ce régime bénéficie également au demandeur lorsqu’un risque sanitaire pour les autres arbres existe ou lorsque l’esthétique de la composition ne peut plus être assurée, si tant est toutefois que la préservation de la biodiversité peut être obtenue par d’autres mesures. Dans ces cas, une déclaration doit être réalisée auprès du préfet qui en informe le maire. Le préfet dispose alors d’un mois pour s’y opposer ou imposer des prescriptions. A défaut d’intervention de sa part, les travaux sont tacitement approuvés. A l’inverse, en cas d’intervention dans ce délai, le demandeur sera tenu de respecter les prescriptions préfectorales. L’article R.350-26 du code de l’environnement prévoit en outre explicitement que, dans le cas d’une demande de déclaration, aucun des travaux envisagés ne peut débuter avant l’expiration du délai d’un mois imparti au préfet pour se prononcer sur la déclaration. Cette disposition protectrice permet d’éviter les coupes et abattages anticipés que certaines associations de protection de l’environnement appréhendaient.

Il convient toutefois de noter qu’à titre exceptionnel, la déclaration n’a pas à être réalisée en cas de danger imminent pour la sécurité des personnes. Dans ce cas toutefois, le préfet doit être informé sans délai des opérations menées. Celui-ci aura alors un mois pour approuver ou non les mesures de compensations proposées suite à l’atteinte aux alignements, ou en demander de nouvelles. L’absence de réaction vaudra approbation tacite des mesures de compensation en application du nouvel article R.350-27 du code de l’environnement.

Le nouveau dispositif créé ensuite un régime plus restrictif d’autorisation préalable lorsque les atteintes aux alignements sont nécessaires pour la réalisation de projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements. La demande d’autorisation doit alors être formulée auprès du préfet qui a deux mois pour répondre. Le préfet peut toutefois prolonger brièvement les délais d’instruction en sollicitant des compléments. Cette demande doit, en application de l’article R. 350-29 du code de l’environnement, être faite dans les quinze jours suivant la réception de la demande d’autorisation, et préciser de façon exhaustive les informations, pièces et documents manquants. Ces compléments doivent être fournis sous un mois. A défaut de réponse ou de complément dans ce délai, le préfet peut, même tacitement, rejeter la demande d’autorisation.

En l’absence de réponse explicite du préfet dans les deux mois suivant la demande d’autorisation ou la complétude du dossier, le principe du silence vaut accord joue, et le pétitionnaire peut procéder aux opérations d’abattages ou de coupes des arbres concernés dans les conditions qu’il avait projetées dans sa demande d’autorisation.

Dans les cas de déclaration ou d’autorisation, le dossier doit être conforme aux dispositions du décret et contenir tous les éléments listés aux articles R.350-20 et R.350-23 pour la déclaration et aux articles R.350-20 et R. 350-28 pour les demandes d’autorisation. De même, et pour les deux régimes, le décret rappelle l’applicabilité de l’article L. 123-19-2 du code de l’environnement qui impose une procédure de participation du public en cas d’incidence sur l’environnement. Les délais d’instruction de la déclaration (art. R.350-26 du code de l’environnement) ou d’autorisation (Art. R.350-30 du code de l’environnement) sont naturellement interrompus pendant la durée de la consultation du public et reportés à la date de sa clôture.

Enfin, et outre ces deux régimes spécifiques, le décret prévoit deux exceptions à l’obligation d’une procédure préalable de déclaration en cas de coupes "sanitaires".

La première est la possibilité pour un gestionnaire de voirie de mettre en œuvre une procédure de déclaration unique si celui-ci a établi un plan de gestion fixant les principes de conservation et de renouvellement des allées et alignements d’arbres et bordant ces voies. Dans ce cas, qui n’est pas tant une exception qu’une mesure de simplification, le gestionnaire peut, en application de l’article R.350-25 du code de l’environnement, établir une déclaration unique couvrant, pour un maximum de cinq ans, l’ensemble des opérations relevant de ce régime et prévues par ce plan. Dans ce cas, évidemment, le dossier de déclaration devra annexer le projet de plan de gestion.

La seconde dérogation est, elle, en revanche totale, puisqu’elle vise, en application de l’article R.350-24 du code de l’environnement, les mesures prises en application des dispositions françaises et européennes relatives à la lutte contre les risques phytosanitaires liés à la présence ou à la suspicion de présence d’un organisme nuisible réglementé en application du règlement (UE) 2016/2031 du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2016 et du code rural et de la pêche maritime. Dans ce cas, l’obligation de déclaration cède évidemment devant les impératifs européens et nationaux de lutte contre les organismes nuisibles aux végétaux.

On le voit, le nouveau régime juridique de protection des alignements d’arbres est bien plus complet que par le passé, et détermine de manière plus claire les procédures applicables. Outre ce régime plus détaillé, les nouveaux textes prévoient des dispositifs pertinents visant à en assurer l’efficacité.

B - Des dispositifs administratifs et pénaux améliorant l’efficacité de la protection envisagée.

Outre la description des procédures applicables, deux dispositifs spécifiquement introduits par la loi 3DS et son décret d’application tendent à renforcer l’efficience des règles de protection de ces alignements. L’une est administrative, l’autre pénale.

Avant toute chose, cependant, il y a lieu de rappeler que le régime fixé par l’article L. 350-3 du code de l’environnement n’offre pas un "droit à" la destruction des alignements d’arbres, mais que celui-ci prévoit un régime d’exception. A ce titre, le code de l’environnement prévoit que la demande d’autorisation ou le dossier de déclaration doivent obligatoirement comprendre l’exposé des mesures d’évitement envisagées. Cette disposition, adoptée par voie d’amendement, visait, "dans la continuité de la méthode développée pour d’autres sujets environnementaux dans le cadre de la séquence "éviter-réduire-compenser", à permettre au préfet de "disposer d’une vision complète du projet et mieux appréhender ainsi les raisons de l’atteinte aux arbres présents du fait des difficultés à les maintenir".

En outre, et en application d’une règle jurisprudentielle bien connue, ce régime de dérogation au droit commun devra être strictement interprété par les juridictions [1]. Les toutes premières décisions appliquant cette nouvelle version du texte démontrent d’ailleurs un contrôle du juge assez poussé concernant, tant la justification d’un projet permettant au préfet d’autoriser la destruction des alignements concernés [2], que la démonstration des motifs sanitaires justifiant l’atteinte envisagée à ceux-ci [3].

D’un point de vue administratif, une amélioration prévue par la loi 3DS et n’intégrant pas l’article L350-3, est tout d’abord à saluer.
La loi 3DS a en effet prévu la modification de l’article L181-2 du Code de l’environnement pour permettre à l’autorisation environnementale unique de porter la procédure d’autorisation d’atteinte aux allées et alignements d’arbres.
Le nouvel article D181-15-11 du Code de l’environnement applique d’ailleurs cette disposition en prévoyant désormais que :

« lorsque l’autorisation environnementale tient lieu d’autorisation de porter atteinte aux allées d’arbres et alignements d’arbres prévue à l’article L350-3, le dossier de demande est complété par les informations et pièces mentionnées à l’article R. 350-28 ».

Cette disposition est bienvenue en ce qu’elle renforce encore l’unicité de la procédure d’autorisation environnementale, et permettra une vision globale dans la prise en compte de l’atteinte environnementale des projets qui y sont soumis. Or, et on le verra, le dispositif de l’article L350-3 du Code de l’environnement, manque précisément encore de cohérence globale avec d’autres dispositions. L’intégration à la procédure d’autorisation environnementale permet en outre au pétitionnaire de penser son projet au regard, également, de cette protection spécifique, accélère potentiellement les procédures en l’unifiant, et évite d’éventuelles contradictions entre procédures. La possibilité, pour l’autorisation environnementale, de porter l’autorisation d’atteinte aux alignements d’arbres permet donc de rendre cette protection plus efficiente.

L’autre dispositif d’efficacité n’est autre que l’instauration d’une possibilité de sanctionner le non-respect des obligations posées par l’article L350-3 du Code de l’environnement. Initialement absente du projet de loi, cette protection pénale des alignements d’arbres a été introduite par amendement en cours de discussion parlementaire.
Son exposé des motifs est on ne peut plus clair :

« Qui dit obligations, doit dire sanctions en cas de non-respect ».

L’amendement répond d’ailleurs à une préoccupation des associations environnementales et des citoyens, qui déploraient, dans le cadre de l’ancienne rédaction, l’absence de réelle sanction en cas de violations des prescriptions de l’article L350-3.

Le décret a apporté les précisions quant aux sanctions applicables. Le nouvel article R.350-31 du code de l’environnement prévoit désormais que le non-respect des dispositions de l’article L350-3 du Code de l’environnement pourra être puni de la peine d’amende applicable pour les contraventions de cinquième catégorie, soit 1 500€ (3 000€ en cas de récidive).
Cette sanction sera d’abord applicable à celui qui aura contrevenu à l’obligation de déclaration ou d’autorisation. Mais elle pourra également être prononcée en absence de mise en œuvre des mesures de compensation ou de non-respect des prescriptions préfectorales imposées dans le cadre des procédures de déclaration ou d’autorisation [4].

Cette protection pénale des alignements, bien que favorable à la protection des alignements, doit toutefois être nuancée sur un point. Le décret du 19 mai 2023 prévoit en effet une modification de l’article 48-1 du Code de procédure pénale afin de permettre d’infliger une amende forfaitaire à la personne se rendant coupable d’une violation des articles L350-3 et R350-31 du Code de l’environnement. Le montant peu dissuasif de l’amende contraventionnelle alors infligée [5] peut ainsi faire douter de l’efficacité réelle de cette garantie de protection pourtant initialement bienvenue.

Si l’on peut comprendre le choix de permettre une amende forfaitaire pour accélérer les procédures de répression, l’on peut toutefois s’interroger sur le faible impact symbolique d’une amende si faible, en comparaison, par exemple, avec les peines applicables en cas d’infraction d’urbanisme.

Ces dispositifs de protection sont donc les bienvenus, même s’ils sont perfectibles. Il n’en demeurent pas moins que des points de cette nouvelle réglementation soulèvent quelques interrogations.

II - Les interrogations soulevées par le nouveau dispositif de protection des alignements d’arbres.

Le dispositif a, lors des débats sur la loi 3DS, soulevé plusieurs interrogations pour savoir si le nouveau dispositif protégeait davantage les alignements d’arbres ou, au contraire, en affaiblissait la protection. Si les éléments vus en première partie plaident pour la première hypothèse (un système de protection juridiquement ordonné étant toujours préférable), quelques débats se posent quant à l’efficacité du dispositif. Ainsi en va-t-il des interrogations sur le périmètre de la protection (A) et sur l’articulation avec d’autres procédures environnementales ou d’urbanisme (B).

A - Le périmètre de la nouvelle protection des alignements d’arbres.

L’un des points qui interroge le plus lorsque l’on compare le texte issu de la loi 3DS et l’ancien texte vient de la modification de son périmètre d’application. L’ancien texte prévoyait en effet la protection des alignements d’arbres qui bordaient les "voies de communication", tandis que le nouveau dispositif réduit la protection aux alignement bordant les "voies ouvertes à la circulation publique".

Cela pose la question de ce qu’implique, pour le code de l’environnement, la notion de "voies ouvertes à la circulation publique". La question s’est naturellement posée dans le cadre des débats parlementaires. Dés l’étude d’impact du projet de loi, le gouvernement indiquait que "si, au regard des débats parlementaires lors de la loi du 8 août 2016, l’idée initiale était de protéger les allées et alignements d’arbres qui bordent les routes, cette notion de "voie ouverte à la circulation publique" est toutefois plus large que les seules routes puisqu’elle peut aussi concerner des allées et alignements d’arbres bordant des voies navigables ou des voies privées ouvertes à la circulation. Le champ de la loi n’est pour autant pas modifié".

Cela ne va toutefois pas de soi. En effet, la notion de voie de circulation n’intégrait pas, contrairement à ce qui est indiqué, que les routes, mais aurait bien pu viser tous types de voies de circulation, comme les voies ferroviaires par exemple. La nouvelle rédaction vise donc explicitement les voies ouvertes à la circulation du public, et se réfère ainsi à une notion posée par un autre dispositif du code de l’environnement propre à la police de la publicité. Ainsi, et dès les travaux des commissions, la volonté du législateur était, pour la protection des alignements d’arbres, de se référer à la notion utilisée à l’article L581-2 du Code de l’environnement et définie à l’article R581-1 du même code.

Cet article indique que :

« les voies publiques ou privées qui peuvent être librement empruntées, à titre gratuit ou non, par toute personne circulant à pied ou par un moyen de transport individuel ou collectif ».

La discussion sur ces questions fut d’ailleurs assez riche d’exemples, puisque la ministre en charge des Collectivités territoriales précisait, devant la représentation nationale, que : « au-delà des routes et des allées urbaines, qui constituent l’essentiel de ces voies, le régime de protection s’applique également aux allées et alignements d’arbres bordant par exemple des voies navigables ou cyclistes ouvertes à la circulation publique » [6]

A titre anecdotique, mais pour illustrer le caractère demeuré large du périmètre d’application de l’article L350-3, la jurisprudence a déjà pu reconnaître cette qualification de "voie ouverte à la circulation du publique" à une piste de ski [7].

Bien que potentiellement plus restreint que sous l’ancienne réglementation, le périmètre d’application du dispositif demeure donc toutefois relativement large.

Un autre débat s’est posé quant à la protection des alignements d’arbres bordant les voies privées. Si, par amendement sénatorial, le régime de protection avait été exclu pour les alignements bordant les voies privées [8], cette exclusion a finalement été supprimée par deux amendements [9] et n’a pas été rétablie par la suite.
Il en résulte que les alignements d’arbres bordant les voies privées sont bien concernés par le dispositif protecteur de l’article L350-3 du Code de l’environnement et que seules demeurent exclues de cette protection les alignements bordant des voies privées fermées à la circulation du public.

La troisième interrogation quant au périmètre n’est pas tant liée au périmètre d’application qu’au périmètre de compensation. Il pose en ce sens de plus importantes difficultés, d’autant qu’elles ne furent pas réellement abordées par le législateur. En effet, si, on l’a vu, le préfet doit, quelle que soit la procédure applicable, s’assurer de la pertinence des mesures de compensation, voire en imposer de nouvelles, rien n’est dit dans les textes concernant le fond de ces mesures. Ainsi, la seule obligation posée par les textes est que la mesure de compensation se fasse prioritairement à proximité des alignements concernés et dans un délai raisonnable. Il est à ce titre marquant de constater que, contrairement à l’ancien texte, le nouvel article L350-3 du Code de l’environnement ne prévoit pas qu’ « un volet en nature (plantations) et un volet financier destiné à assurer l’entretien ultérieur soit imposés », même si les travaux parlementaires, et la contravention créée s’avèrent rassurants sur ce point.

Aucun indice ne guide toutefois, ni dans la loi, ni dans le décret, le préfet dans son appréciation de la compensation. Peut-il notamment se contenter d’une compensation quantitative (compensation linéaire) ou peut-il également imposer une compensation qualitative en termes de services esthétiques et écologiques ? La difficulté sur ce point est renforcée par le fait que l’article L350-3 du Code de l’environnement trouve sa place dans le titre du code de l’environnement relatif à la protection des paysages. Or, l’intérêt de ces alignements d’arbres est avant tout environnemental. Quelle sera la marge de manoeuvre du préfet pour imposer des mesures qualitatives de compensation, notamment en matière environnementale ? Cela méritera d’être précisé par la jurisprudence.

On le voit, les périmètres d’application et de compensation ont soulevé ou soulèvent encore des difficultés. Restent toutefois des zones d’ombre encore plus obscures qui nuiront, au moins partiellement, à l’application de ce dispositif de protection. A ce titre, doivent être citées les difficultés d’articulation avec certains autres dispositifs de protection de l’environnement ou des paysages.

B - La délicate articulation avec d’autres dispositions environnementales ou d’urbanisme.

Comme dit précédemment, l’arbre n’est pas protégé en tant que tel en droit français, mais fait l’objet de nombreuses dispositions différentes de protection.

Cela fait de l’arbre un objet juridique des plus complexes à saisir. Sans entrer dans le détails des différentes réglementations applicables, près de cinq codes différents contiennent des articles visant la protection directe ou indirecte des arbres ou de ses alignements [10].

A cet égard, la soumission de dérogations à l’article L.350-3 du code de l’environnement à des déclarations ou à des autorisations préalables trouble encore davantage le dispositif. Ce dernier peut même entrer en concurrence avec d’autres dispositions environnementales, notamment concernant les demandes de dérogations "espèces protégées".

Sans entrer dans les détails, il est en effet constant que la destruction, l’altération ou la dégradation de l’habitat naturel d’une espèce protégée nécessite, selon les règles posées par les articles L411-2 et R411-6 à R411-14 du Code de l’environnement, une demande de dérogation. Or, si, comme vu précédemment, la demande d’autorisation environnementale peut porter la demande d’autorisation "alignement d’arbres", tout comme elle peut d’ailleurs porter la dérogation "espèce protégée", rien n’est prévu en cas de non-soumission à autorisation environnementale.

Ainsi, le pétitionnaire devra, en cas de présence d’espèces protégées sur les alignements d’arbres concernés, solliciter à la fois une demande de dérogation à la protection des alignements d’arbres, et une demande de dérogation espèces protégées. Les arbres étant d’importants réservoirs d’avifaune ou d’insectes (dont de très nombreuses espèces sont protégées), l’hypothèse n’a rien d’un cas d’école. Cela va même plus loin lorsque le projet d’atteinte à l’alignement d’arbres ne sera soumis, pour motif sanitaire ou de sécurité publique, qu’à simple déclaration, alors même qu’une dérogation "espèce protégée" demeurera obligatoire au titre de l’article L411-2 du Code de l’environnement (les motifs de sécurité publique fondant précisément un motif de dérogation à la destruction d’habitat d’espèces protégées). La difficulté se posera nécessairement en pratique, et il est dommage qu’aucune articulation n’ait été prévue en la matière.

Un autre point, qui avait d’ailleurs été soulevé dans le cadre de la consultation du public sur le décret du 19 mai 2023, est l’articulation avec les procédures d’urbanisme, notamment au regard de ce que la jurisprudence avait développé dans le cadre de l’ancienne rédaction.

Ainsi, par un avis rendu le 21 juin 2021, le Conseil d’Etat avait considéré, sur la base de l’ancienne rédaction que :

« Lorsqu’un permis de construire ou d’aménager ou une décision de non-opposition à déclaration préalable porte sur un projet de construction impliquant l’atteinte ou l’abattage d’un ou plusieurs arbres composant une allée ou un alignement le long d’une voie de communication […] l’autorisation d’urbanisme ou la décision de non-opposition à déclaration préalable vaut octroi de la dérogation prévue par le troisième alinéa de l’article L. 350-3 du code de l’environnement » [11].

Cette responsabilité pesant sur le service instructeur n’est, à la lecture même de la loi, plus d’actualité avec ce nouveau régime.

Toutefois, le dispositif envisagé ne règle qu’une partie des liens à traiter entre environnement et urbanisme. En effet, sous l’empire de l’ancienne législation, la jurisprudence avait été amenée à considérer que le respect de l’article L350-3 du code de l’environnement s’imposait aux autorisations d’urbanisme [12]. Il n’était donc pas possible pour le maire de délivrer une autorisation d’urbanisme en cas de non-respect de la procédure prévue par cet article.

Or, les textes actuels ne tranchent pas cette question de l’impact d’un non-respect de la procédure de l’article L350-3 du code de l’environnement sur les autorisations d’urbanisme qui pourraient y être liées.

A titre d’exemple, les éléments paysagers désignées au plan local d’urbanisme comme devant être protégés (Art L151-19 ou L151-23 du code de l’urbanisme) nécessitent, pour être modifiés, une non-opposition à déclaration préalable (art R421-23 h du code de l’urbanisme). Il est donc en principe obligatoire, pour celui qui entend supprimer une haie par exemple, de solliciter une telle autorisation d’urbanisme. La difficulté peut alors survenir quand la haie est protégée par le PLU en même temps qu’elle constitue un alignement d’arbres au sens de l’article L350-3 du code de l’environnement. La superposition de ces deux régimes n’est pas traitée par le nouveau dispositif.

Dans la continuité, aucune disposition du nouveau régime ne précise l’articulation entre l’autorisation préfectorale d’atteinte à un alignement d’arbres pour les besoins de projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements et les dispositifs propres aux autorisations d’urbanisme.

On peut donc légitimement s’interroger sur le sort d’une autorisation délivrée au titre du code de l’urbanisme, sans avoir au préalable été autorisée par le préfet au titre du code de l’environnement. Sera-t-elle illégale, ou ce défaut empêche-t-il seulement la mise en œuvre de l’autorisation d’urbanisme ?

Il est probable que le juge fasse dans ces cas jouer le principe de l’indépendance des législations entre dispositions environnementales et d’urbanisme, mais aucune disposition n’est clairement prévue sur ce point. L’autorisation d’urbanisme serait donc a priori légale, mais sa mise en œuvre avant autorisation d’atteinte à l’alignement d’arbres serait susceptible de conduire au prononcé d’une contravention pénale...

Il est à ce titre particulièrement décevant que le nouveau dispositif qui avait dès l’origine pour objectif de sécuriser l’application de l’article L350-3 du Code de l’environnement, n’ait pas anticipé ces questions, pourtant posées à diverses reprises dans les travaux parlementaires, par des associations, ou encore par le public lors de la consultation sur le décret. La jurisprudence précisera sans nul doute ces questions, mais le législateur et le pouvoir réglementaire ont peut-être perdu une occasion de sécuriser totalement ce dispositif en tout état de cause bienvenu.

Morgan Reynaud
Responsable juridique
Chargé de travaux dirigés en droit public

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Notes de l'article:

[1Cf par exemple, sur le principe de l’interprétation stricte des dérogations au droit commun : CE, 28 novembre 2012, Sté BNP ParisBas, Req n°338682

[2TA Rennes, 25 novembre 2022, Assoc. Sauvegarde du Trégor, Goëlo, Penthièvre et a., Req n°2205631

[5200€ en application de l’article R.49 du code de procédure pénale ; 450€ en cas d’amende majorée en application de l’article R.49-7 du code de procédure pénale ; 150€ en cas d’amende minorée en application de l’article 49-6-2 du code de procédure pénale.

[9Amendements 1272 et 1729.

[10ex : code de l’environnement, code de l’urbanisme, code du patrimoine, code rural et de la pêche maritime, et même, certes très indirectement, code de la santé publique, en plus des réglementations de la politique agricole commune

[12TA Orléans, 10 octobre 2019, collectif citoyen pour le centre ville de Gien, Req n°1801134

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Discussion en cours :

  • par Marc Santoni , Le 28 juillet à 18:31

    Etant membre d’une association requérante dans un dossier de protection d’une allée d’arbres, j’ai trouvé l’article très complet et en mesure de répondre, quand c’est possible, aux nombreuses questions concrètes que nous nous sommes vraiment posées au cours de la procédure.
    Le jugement cité en [3] n’a pas empêché que les arbres soient tous abattus, en raison d’un concours de circonstances particulières et d’une mobilisation adverse d’une intensité exceptionnelle, mais l’autorisation d’abattage est toujours soumise à un recours pendant.
    Nous sommes maintenant à la recherche de jurisprudences utiles applicables à une demande d’abattage déposée en février 2023, c’est à dire après la loi 3DS, mais avant la sortie du décret d’application. Merci d’avance.

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