Désistement d’instance : les conditions du maintien de l’interruption de prescription.

Par Dimitri Seddiki-Défossé, Avocat.

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Explorer : # interruption de prescription # désistement d'instance # motif légitime

L’article 2243 du Code civil énonce que « l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée ».
Ce que le texte ne précise pas, c’est que l’interruption de prescription n’est non avenue que lorsque le désistement est « pur et simple ».
A quelles conditions un désistement sera t-il qualifié de « pur et simple » ?

-

Un arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 1994 (n°91-17.710) avait laissé à penser que, pour que le désistement ne soit pas pur et simple, il suffisait à son auteur d’énoncer une reprise ultérieure de l’action. Cette solution fut largement critiquée en ce qu’elle permettait à des justiciables douteux d’échapper indéfiniment à la prescription de son action.

Désormais, il ressort de l’analyse de la jurisprudence que la sanction de l’article 2243 du Code civil n’est écartée que lorsque 2 conditions cumulatives sont réunies :
- l’existence d’un motif légitime justifiant le maintien de l’interruption de prescription d’une instance à l’autre (1) ;
- la motivation du désistement doit ressortir des termes du jugement le constatant (2) ;

En revanche, l’introduction de la 2ème instance avant que ne soit constaté le désistement de la 1ère instance est une circonstance insuffisante (3).

1. L’existence d’un motif légitime justifiant le maintien de l’interruption de prescription d’une instance à l’autre.

Une jurisprudence constante exige qu’une circonstance juridique puisse justifier que l’interruption de prescription résultant du 1er acte introductif d’instance soit maintenue malgré le désistement :

« Dès lors, le désistement ne permet de regarder l’interruption de la prescription comme non avenue que lorsqu’il s’agit d’un désistement d’instance pur et simple. Quand il est motivé par l’incompétence de la juridiction devant laquelle il est formulé et qu’il fait suite à la saisine d’une autre juridiction compétente pour connaître de la demande, le désistement maintient l’effet interruptif que l’article 2241 du code civil attache à la citation en justice ».
CA Paris, Pôle 05 ch. 04, 31 juil. 2019, n° 18/01273

« Le désistement ne permet de regarder l’interruption de la prescription comme non avenue que lorsqu’il s’agit d’un désistement d’instance pur et simple, lorsqu’il est motivé par l’incompétence devant laquelle il est formulé et fait suite à la saisine d’une autre juridiction compétente pour connaître de la demande, le désistement maintient l’effet interruptif attaché à la citation en justice. Tel est manifestement le cas en l’espèce au vu de la chronologie procédurale, même si le motif de l’interruption ne figure pas sur l’ordonnance de désistement ».
CA Toulouse, ch. 02, 29 nov. 2017, n° 17/00488

« Elle conteste l’effet interruptif de la déclaration d’appel effectuée le 14 mars 2017 devant la cour d’appel de Paris, dès lors que M. B. s’est désisté de cet appel par conclusions du 22 mai 2017...

Néanmoins, le désistement ne permet de regarder l’interruption de la prescription comme non avenue que lorsqu’il s’agit d’un désistement pur et simple, non quand il est motivé par l’incompétence de la juridiction devant laquelle il est formulé et qu’il fait suite à la saisine d’une autre juridiction compétente pour connaître de la demande : dans ce cas le désistement maintient l’effet interruptif prévu par l’article 2246 du code civil » ;
CA Versailles, ch. 11, 7 fév. 2019, n° 17/02425

Dans ces décisions, où le désistement était justifié par l’incompétence de la juridiction initialement saisie, son auteur a pour volonté de maintenir le lien d’instance issue de la saisine initiale, mais de transférer ce lien au juge compétent en prenant l’initiative de le saisir avant même que le dossier ne soit transféré par le greffe au juge compétent (il va alors « devancer la machinerie judiciaire en rectifiant spontanément leur erreur par le biais d’un désistement » selon les termes du Professeur Perrot – RTD civ. 2008. 721).

Il est donc logique que l’interruption de prescription résultant de la 1ère saisine soit maintenue dans le cadre de la saisine du juge compétent puisqu’en outre l’article 2241 du Code civil énonce que la saisine d’une juridiction incompétente interrompt le cours de la prescription.

Tel n’est pas le cas lorsque le désistement n’est motivé que par la péremption de l’instance. Dans cette hypothèse en effet, la « machinerie judiciaire » ne permet aucune rectification, de sorte que l’auteur du désistement ne saurait échapper aux conséquences de sa seule négligence en introduisant une 2ème instance tout en espérant que celle-ci bénéficie de l’interruption de prescription malgré l’interruption de l’instance précédente.

2. La motivation du désistement ressort des termes du jugement le constatant.

Un désistement d’instance est présumé pur et simple, sauf s’il ressort des termes du jugement que le demandeur a expressément déclaré au Tribunal qu’il poursuivrait par ailleurs son action :

« Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte des énonciations du jugement du tribunal d’instance de Montpellier que la partie demanderesse déclare expressément se désister de son instance en raison de la saisine du tribunal d’instance de Mende pour le même litige, le tribunal d’instance a violé les textes susvisés » ;
Cass. Soc. 9 juil. 2008, n°07-60.468, Bulletin 2008, V, n° 158

Il s’agit d’une jurisprudence constante :

« Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt a apprécié souverainement, hors toute dénaturation, que la déclaration faite devant le juge des référés par la société Marseille fret selon laquelle "elle renonçait pour l’instant à sa demande de surestaries en attente des opérations d’expertise" constituait un désistement d’instance pur et simple quant à la demande de provision » ;
Cass. Com. 7 mars 1995, n° 93-11.158

« Le jugement du 25 février 2010 du tribunal d’instance de Cannes ne fait quant à lui qu’acter, sans plus de précisions quant à d’éventuelles réserves, le dit désistement.
[...]
Le premier juge a dans ces conditions justement considéré que le désistement de la SA BPPC à l’audience du 26 novembre 2009 devait s’analyser comme un désistement d’instance pur et simple, dépourvu d’effet interruptif, faute pour la SA BPPC d’avoir expressément indiqué qu’elle reprendrait son action devant la juridiction estimée compétente ».

CA Aix-en-Provence, 10 sept. 2015, n° 2015/445

« Considérant ce qui suit :

2. En l’espèce, le désistement M. B... est pur et simple. En l’absence de précision, de la part du requérant, quant à la nature de son désistement, celui-ci doit être regardé comme un désistement d’instance. Rien ne s’oppose à ce qu’il soit donné acte de ce désistement ».
CAA Marseille, 24 juin 2019, 18MA03866

3. L’introduction de la 2ème instance avant le désistement de la 1ère instance est une circonstance insuffisante.

Lorsque le désistement est motivé par l’incompétence de la juridiction, il semble indispensable que la juridiction compétente soit saisie avant que le désistement ne soit constaté.

Toutefois, le seul constat que la 2ème instance a été introduite avant le désistement de la 1ère instance est une circonstance insuffisante, comme cela ressort notamment de 2 arrêts :

Dans un 1er arrêt,
le 11.05.2010, une banque avait assigné un couple de débiteurs devant le Tribunal de grande instance de Tarbes mais, le 11.03.1998, ce Tribunal s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal d’instance de Tarbes.
Le 28.09.2006, la banque assignait l’époux seul aux mêmes fins devant le Tribunal d’instance de Lourdes. Par jugement du 6.02.2007, le Tribunal de Tarbes a constaté le désistement d’instance de la banque et, enfin, par jugement du 17.10.2008, le Tribunal de Lourdes a déclaré la banque forclose en son action.

Cette décision est confirmée par la Cour d’appel de Pau du 11 mai 2010 (n° 08/04897) puis par la Cour de cassation qui rejette les moyens selon lequel un désistement « pur et simple »,
1. implique « nécessairement la manifestation d’une volonté ferme et non équivoque d’éteindre l’instance, tel ne peut être le cas d’un désistement provoqué par la saisine d’une autre juridiction pour une demande identique à celle visée par le désistement »
et que « dès lors, en considérant que le désistement d’instance formulé devant le tribunal d’instance de Tarbes avait éteint l’instance, alors qu’elle constatait que ce désistement faisait suite à la saisine du tribunal d’instance de Lourdes pour la même demande, ce dont il se déduisait au contraire une volonté manifeste de la banque de poursuivre l’instance, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses énonciations » ;
2. et qu’ « il appartenait à la cour d’appel de rechercher si le désistement de la banque devant le tribunal d’instance de Tarbes, lequel faisait suite à la saisine, pour la même demande, du tribunal d’instance de Lourdes, n’était pas intervenu en raison de l’incompétence de la juridiction devant laquelle il avait été formulé ».
Cass. civ. 2e, 8 sept. 2011, 10-23.813

Dans un 2ème arrêt,
le 25.04.2007 (soit le dernier jour du délai imparti par le code du travail) plusieurs Caisses de mutualité ont saisi le Tribunal d’instance de Montpellier puis, par requête du 26.04.2007, elles ont saisi le Tribunal de Mende de la même demande et se sont désistées de leur instance devant le Tribunal de Montpellier, désistement constaté le 21.05.2007.
Par jugement du 6.12.2007, le Tribunal de Mende déclare les demanderesses forcloses en leur contestation

Si cette décision est censurée, c’est sur le seul constat « qu’il résulte des énonciations du jugement du tribunal d’instance de Montpellier que la partie demanderesse déclare expressément se désister de son instance en raison de la saisine du tribunal d’instance de Mende pour le même litige » et non de la chronologie des procédures, la Cour ne faisant aucune référence au fait que le demandeur avait introduit la 2ème instance avant de se désister de la 1ère.
Cass. Soc. 9 juil. 2008, n°07-60.468, Bulletin 2008, V, n° 158

Dimitri Seddiki-Défossé
Avocat au Barreau de Lille
Enseignant en droit des obligations et procédure civile

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