Détention provisoire et dignité de la personne : coup de semonce du Conseil constitutionnel.

Par Alice Antoine, Avocat.

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Explorer : # dignité humaine # détention provisoire # conditions de détention # conseil constitutionnel

Saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a rendu le 2 octobre dernier une décision historique dont il résulte que :
"Il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge dès lors qu’elles font l’objet de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine et ce afin d’obtenir qu’il y soit mis fin."

Décision du Conseil Constitutionnel n°2020-858/859

-

Les Sages ont rappelé que :

« Il appartient aux autorités judiciaires ainsi qu’aux autorités administratives de veiller à ce que la privation de liberté des personnes placées en détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne.
Il appartient, en outre, aux autorités et juridictions compétentes de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne placée en détention provisoire et d’ordonner la réparation des préjudices subis.
Enfin, il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin. »

Cette décision qui s’inscrit dans la droite ligne des récents arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et de la Cour de Cassation fait naturellement écho :
- au Préambule de la Constitution de 1946 , qui prévoit que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ;
- à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui tance que « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

A l’appui de son raisonnement, le Conseil constitutionnel a fait le constat selon lequel la saisine du Juge administratif en référé par le détenu soumis à des conditions indignes ne garantissait pas, en toute circonstance qu’il soit mis fin à cette détention indigne.
Il a aussi rappelé que si le détenu peut déposer à tout moment une demande de mise en liberté , le Juge n’est tenu d’y donner suite que dans les cas prévus par l’article 144-1 du Code pénal

En sorte qu’en réalité, aucun recours devant le juge judiciaire ne permet au détenu d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire.
En conséquence, le Conseil constitutionnel a jugé que le second alinéa de l’article 144-1 du Code de procédure est contraire à la Constitution et a reporté son abrogation au 1 mars 2021.
Une abrogation immédiate de ces dispositions entraînerait des conséquences manifestement excessives (puisqu’elle ferait obstacle à la remise en liberté des personnes placées en détention provisoire lorsque cette détention n’est plus justifiée ou excède un délai raisonnable), c’est la raison pour laquelle le Conseil Constitutionnel a reportée au 1er mars 2021 la date de cette abrogation.

La décision du Conseil constitutionnel ne traite que des personnes placées en détention provisoire, soit ceux en attente de jugement qui sot donc par définition, présumés innocents. Ils représentent près d’un tiers des détenus.
Il conviendra nécessairement d’étendre le dispositif à venir à l’ensemble de la population carcérale car ces questions d’insalubrité, de vétusté, de surpopulation, ne cessent pas avec la condamnation…
Le législateur dispose donc de quelques mois pour proposer un cadre juridique efficace permettant aux justiciables concernés d’exercer leur droit et de contester les conditions de détention indigne dont ils feraient l’objet.

L’occasion peut-être aussi de repenser la place de la prison dans l’arsenal répressif actuel...

Alice Antoine
Avocat au Barreau de PARIS
https://antoineavocat.fr/

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