Différends entre avocats : la conciliation n’est plus obligatoire.

Par un arrêt du 8 mars 2023, publié au Bulletin, la Cour de cassation vient d’anéantir toutes les certitudes concernant le caractère obligatoire de la procédure de conciliation.
Civ. 1ère 8 mars 2023 n° 21-19.620.

I. On y croyait dur comme fer : la conciliation préalable est obligatoire.

Comme j’ai pu l’évoquer dans un précédent article (L’insécurité juridique au cœur des différends entre avocats, exemples pratiques), les dispositions qui régissent les contentieux professionnels entre avocats sont très succinctes et parfois lacunaires, ce qui engendre plusieurs difficultés et incertitudes procédurales.

En particulier, les articles l’article 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 179-1 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 disposent que « tout différend entre avocats à l’occasion de leur exercice professionnel est, en l’absence de conciliation, soumis à l’arbitrage du bâtonnier » et que « à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel les avocats intéressés sont inscrits est saisi par l’une ou l’autre des parties », sans plus de précisions.

Malgré ce silence, tout le monde s’accordait pour considérer que les parties ne peuvent pas saisir le bâtonnier d’une demande d’arbitrage avant d’avoir tenté la voie de la conciliation.

En particulier, les juges du fond jugeaient de manière constante que l’absence de conciliation préalable comporte l’irrecevabilité de la saisine d’arbitrage, cette absence étant par ailleurs non régularisable en cours de procédure et que le moyen tiré du non-respect du préalable de conciliation peut être soulevé en tout état de cause [1].

Les Ordres, pour leur part, et notamment celui de Paris, prennent d’ailleurs soin de rappeler ce principe aux parties à l’occasion de chaque nouveau différend, soulignant l’exigence de soumettre à la conciliation toutes leurs demandes, sous peine d’irrecevabilités de l’éventuelle demande d’arbitrage.

Nul doute, donc, ne subsistait dans l’esprit des juges et des praticiens quant au caractère obligatoire de la phase de conciliation préalable.

Les incertitudes portaient plutôt sur l’étendue de cette obligation, la Cour d’appel de Paris jugeant que la conciliation « doit porter sur les demandes précises qui seront soumises au Bâtonnier », ce qui conditionne la recevabilité des demandes soumises à l’arbitrage et la validité même de la sentence [2], alors que la Cour d’appel de Lyon a récemment jugé que il importe peu « que tous les chefs de la demande présentés par la suite au Bâtonnier, puis à la Cour, n’aient pas été soumis au conciliateur » [3].

Mais c’était sans compter sur la Cour de cassation qui vient, pour la première fois, de juger le contraire.

On ne peut donc pas parler de revirement, mais le coup de tonnerre est bien là.

II. On s’est tous trompés : les textes n’instaurent pas une procédure de conciliation obligatoire.

L’espèce au cœur de l’arrêt ici commenté est des plus classiques : à la suite du retrait de deux avocats toulousains d’une SCP, un litige était né concernant la régularisation des comptes entre associés et la prise en charge de certains frais de la SCP.

Parmi d’autres moyens, le défendeur soulevait l’irrecevabilité de la demande d’arbitrage au motif que la procédure de conciliation préalable n’avait pas eu lieu.

Conformément à la jurisprudence antérieure, au visa des articles 122 et 123 du Code de procédure civile, ainsi que des articles 21 de la loi de 1971 et 179-1 du décret de 1991, la Cour d’appel de Toulouse a notamment jugé « qu’une procédure de conciliation est un nécessaire préalable à l’engagement d’une action aux fins d’arbitrage auprès du bâtonnier », que « il s’agit bien là d’une obligation dont la méconnaissance constitue une cause d’irrecevabilité de la saisine du bâtonnier aux fins d’arbitrage » et que, enfin, « l’irrecevabilité découlant de la méconnaissance de la conciliation préalable n’est pas susceptible de régularisation en cours de procédure contentieuse ».

En conséquence, la sentence du bâtonnier est annulée et, en raison de l’absence de saisine régulière du Bâtonnier, la cour n’a pas statué au fond [4].

La solution adoptée paraissait donc exempte de reproche, mais c’était sans compter sur l’opiniâtreté du confrère qui avait eu gain de cause devant le bâtonnier, dont la décision venait d’être anéantie.

L’affaire est donc portée devant la Cour de cassation qui, après avoir rappelé la teneur des articles 21 de la loi du 31 décembre 1971 et 179-1 du décret du 27 novembre 1991, affirme clairement que

« si ces dispositions prévoient une conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier, elles n’instaurent toutefois pas une procédure de conciliation obligatoire dont le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir » [5].

Ainsi, alors que, pour les motifs résumés plus haut, la Cour d’appel de Toulouse avait annulé la décision du bâtonnier après avoir jugé irrecevable la requête aux fins d’arbitrage et jugé fondé la fin de non-recevoir invoquée par l’appelant, la Cour de cassation casse l’arrêt en toutes ses dispositions pour violation des textes susvisés.

Il découle de cet arrêt révolutionnaire que les parties ne pourront plus s’opposer à la recevabilité des demandes d’arbitrage de leur adversaire en invoquant une absence, totale ou partielle, de la procédure de conciliation, dont le caractère obligatoire est clairement écarté par la Cour de cassation.

La procédure est donc clarifiée sur ce point et, si l’on peut regretter qu’il aura pour conséquence d’affaiblir la procédure de conciliation, il est difficile de reprocher à la Cour de cassation d’avoir rappelé tout le monde à l’ordre : le caractère impératif de la conciliation n’étant pas prévu par les textes, il n’est pas possible d’invoquer une fin de non-recevoir en raison de son absence, là où le législateur et le pouvoir réglementaire sont restés muets.

Il n’en reste pas moins que la procédure de conciliation préalable a toujours constitué un moyen très efficace pour résoudre efficacement les différends professionnels entre avocats, dont la très vaste majorité est réglée à l’issue de la première audience.

Ainsi, compte tenu de la longueur, des incertitudes et des couts de l’arbitrage, puis de la procédure d’appel (compter facilement 2 à 3 ans pour une décision définitive et exécutoire), il reste sans doute préférable de continuer à recourir à la procédure préalable de conciliation.

Très souvent, un compromis sera trouvé de manière rapide et le litige résolu, permettant aux confrères-parties de se consacrer à leurs clients et à leurs dossiers, plutôt qu’à leur différend professionnel.

Tommaso Cigaina
Avocat au Barreau de Paris
Cabinet Onze Cent Trois

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Notes de l'article:

[1Cour d’appel de Pau 4 juin 2015, n°14/01523 ; CA Nîmes 19 avril 2018 n°17/03223 ; CA Paris 18 octobre 2017 n°16/03859 ; CA Paris 19 décembre 2018 n°16/10900.

[2CA Paris 19 décembre 2018 n°16/10900.

[3CA Lyon 16 décembre 2021 n°20/04960.

[4CA Toulouse 2 juin 20921 n°20/02178.

[5Civ. 1ère 8 mars 2023 n° 21-19.620.

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