L’insécurité juridique au cœur des différends entre avocats, exemples pratiques.

Par Tommaso Cigaina, Avocat.

1945 lectures 1re Parution: Modifié: 2 commentaires 4.5  /5

Explorer : # insécurité juridique # procédure d'arbitrage # conciliation obligatoire # divergence de jurisprudence

Les 164 Barreaux français connaissent un grand nombre de litiges professionnels entre avocats. Les enjeux, personnels ou économiques, peuvent être très importants. Pourtant, il y a un manque de sécurité juridique. Les textes sont lacunaires, la jurisprudence parfois contradictoire ou ignorée dans la pratique. Le passage de la phase de conciliation à l’arbitrage du Bâtonnier nous fournit des exemples.

-

Chaque Bâtonnier a une compétence exclusive pour prévenir, concilier ou arbitrer les différends professionnels entre les avocats de son Barreau. Une tentative de conciliation préalable est obligatoire, avant l’arbitrage devant le Bâtonnier. Celui-ci doit statuer dans un délai de quatre mois (renouvelable une fois).

Cette articulation ressort des art. 7 et 21 de la loi du 31 décembre 1971, et des art.142 et s. et 179-1 et s. du décret du 27 novembre 1991.

Mais ces dispositions s’avèrent insuffisantes. La pratique de ce contentieux et l’étude de la jurisprudence montrent deux problèmes principaux.

Le premier est l’illisibilité des règles de procédure applicables : de nombreuses décisions, parfois contradictoires, se superposent pour compléter ou préciser les textes.

Le second, conséquence du premier, est que certains Barreaux adoptent des pratiques non-homogènes entre-elles, parfois en méconnaissance du régime jurisprudentiel qui s’est formé au fil du temps. Les parties elles-mêmes peuvent commettre des erreurs de procédure.

Le passage de la phase de conciliation à la phase d’arbitrage en est probablement le meilleur exemple. Il s’agit pourtant d’un dénouement fondamental, puisqu’il conditionne la validité de la procédure d’arbitrage et l’étendue de la saisine du Bâtonnier.

A Paris, par exemple, le règlement intérieur du Barreau prévoit trois différentes commissions de conciliation en fonction du type de litige. Ses dispositions encadrent la conciliation, avant de permettre la saisine du Bâtonnier.

Dans d’autres barreaux, la demande de conciliation peut déclencher immédiatement un calendrier de procédure qui va jusqu’à la plaidoirie, fixée à 4 mois.

Dans ce dernier cas, donc, la phase la conciliation consomme une partie des délais de l’arbitrage. Il n’y a pas, en outre, une transition claire entre les deux phases de la procédure.

Or, au vu de certains arrêts, cette pratique peut conduire à des difficultés procédurales, voire à l’annulation de la sentence : (i) la demande d’arbitrage ne peut avoir lieu qu’après le constat de l’échec de la conciliation [1] ; (ii) Le délai de 4 mois pour statuer ne court qu’à compter de l’enregistrement de celle-ci, suivant les conditions des articles 142 et s. du décret de 1991 [2].

Un autre exemple, tout aussi fondamental, concerne la recevabilité des demandes et la validité de la décision du Bâtonnier. Cette fois la difficulté est imputable à une divergence de jurisprudence.

Jusqu’à récemment, la solution était que « la tentative de conciliation doit porter sur les demandes précises qui seront soumises au bâtonnier et non sur une question voisine voire proche ». En conséquence, si le Bâtonnier statue « sur une demande différente de celles-qui ont été discutées, la saisine est irrégulière et la décision est annulée » [3].

Or, la Cour d’appel de Lyon a récemment rendu une décision en sens contraire. Selon cet arrêt, si les textes prévoient « que la saisine du bâtonnier est précédée d’une demande de conciliation, ils ne disposent pas que cette dernière est prévue à peine d’irrecevabilité des demandes ». En conséquence, selon cette Cour d’appel, il importe peu « que tous les chefs de la demande présentés par la suite au Bâtonnier, puis à la Cour, n’aient pas été soumis au conciliateur » [4].

D’un côté donc, une solution rigoriste qui exige une énumération exhaustive et précise de toutes les demandes, sous peine d’irrecevabilité en cas d’arbitrage. De l’autre, une solution qui permet à certaines demandes d’échapper à la tentative de conciliation obligatoire. A l’issue, un traitement injustement différencié entre les deux litiges et les parties concernées.

La situation est manifestement perfectible. Le CNB n’ignore pas ces questions et la commission SPA (« statut professionnel de l’avocat ») mène des réflexions en son sein. Plusieurs pistes sont à l’étude, telles que la diffusion d’un guide de procédure auprès des Ordres, ou la création d’un contrat de conciliation type.

On ne peut que souhaiter l’aboutissement de ces travaux, dans l’intérêt de toute la profession.

Tommaso Cigaina
Avocat au Barreau de Paris
Cabinet Onze Cent Trois

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

2 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Voir parmi d’autres, CA Colmar 31 mai 2019 n°18/02195.

[2Par exemple, CA Agen 12 fév. 2020 n°19/00855.

[3CA Paris, 19 décembre 2018 n°16/10900.

[4CA Lyon 16 décembre 2021 n°20/04960.

Commenter cet article

Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 21 juin 2022 à 11:56
    par RADIX , Le 8 juin 2022 à 21:23

    Excellent article qui permet de découvrir les difficultés liées aux litiges entre avocats et l’absence de directives tant du cnb que de la conférence des bâtonniers,laissant ces derniers en difficulté dans les petits barreaux ,pour régler ces conflits,faute de clarté de la jurisprudence et de ces divergences.
    Je viens moi-même d’être déclaré irrecevable dans mon recours sur toutes les questions non soumises à la conciliation par la Cour d’appel de Paris en 2022.
    Attendons que le CNB éclaire les Bâtonniers sur cette procédure.
    Gérard RADIX ancien Bâtonnier et avocat Retraité.

    • par Tommaso Cigaina , Le 21 juin 2022 à 11:56

      Cher Confrère, merci pour vos mots d’appréciation. Je connais cet arrêt du 12 janvier. Avez-vous pensé à relancer la procédure de conciliation pour les demandes déclarées irrecevables ? Sauf erreur vous n’êtes pas encore prescrit. VBDC

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs