Le droit à l’oubli, notion classique de la protection des données personnelles, est en quelque sorte l’un des principes fondateurs de la loi informatique et libertés de 1978, qui encadre la durée de conservation des données sous une forme identifiable dans le temps nécessaire aux finalités) et le droit d‘obtenir l‘effacement des données inexactes, équivoques, incomplètes ou dont la collecte, la communication ou la conservation est interdite.
Ce droit est cependant confronté à de nouveaux enjeux sur Internet. Faut-il le redéfinir ainsi que les modalités de sa mise en oeuvre ?
Un sondage IPSOS, commandé par la CNIL en octobre 2008, indiquait que 71 % des Français jugent insuffisante la protection des données individuelles sur Internet. Un tel pourcentage est un peu préoccupant pour un pays précurseur en matière de protection des données personnelles. Il faut dire que les nouvelles fonctionnalités d’internet rendent les données personnelles très convoitées aussi bien pour les objectifs bien sûr commerciaux mais aussi moins avouables car de nuisance.
Madame Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, a organisé le 12 novembre 2009 à Sciences-Po un atelier sur le droit à l’oubli numérique afin de donner des orientations pour que l’internaute garde le contrôle de l’information qu’il diffuse sur Internet. En effet, avec l’avènement des blogs et des réseaux sociaux, la toile absorbe des milliards de données personnelles ce qui pose la question de la possibilité d’effacer ces données dont certaines peuvent par exemple gêner un candidat à l’embauche.
L’atelier était organisé en deux tables rondes abordant successivement l’oubli des traces et l’oubli des données publiées volontairement, l’objectif étant d’informer les acteurs et de lancer avec eux une dynamique pour arriver à des résultats concrets.
Une première table ronde rassemblait des avocats et juristes, ainsi que des professionnels de l’Internet. On a ainsi pu noter au travers des annonces faites par Google et Microsoft une évolution des pratiques professionnelles vers une plus grande transparence (comme le Dashboard de Google) ou le souci de la protection de la vie privée dès la conception des outils.
La deuxième table ronde a notamment permis d’entendre la position des professionnels du recrutement qui ont publié une charte sur les réseaux sociaux, Internet, vie privée et recrutement. Un témoignage d’une affaire démontrant la difficulté de protéger les internautes des données publiées sur des plateformes hébergées pour l’essentiel en dehors des juridictions européennes a été évoqué ainsi que l’impuissance du législateur à faire évoluer ce problème a été déploré.
La manifestation a mis aussi en évidence la difficulté de réglementer la problématique du droit à l’oubli numérique au sein d’un cyberespace où les lois sont multiples et répondent à des conceptions différentes de la notion de liberté d’expression. Ainsi, si les américains estiment qu’il est tout à fait possible d’utiliser les données personnelles pour un développement commercial, la France considèrent, ainsi que l’a rappelé le président de la CNIL, qu’elles correspondent à la vie privée.
Recherche de solutions et perspectives
Plusieurs initiatives ont été prises au niveau international pour proposer des pistes d’amélioration de la protection de la vie privée. Des avis et des recommandations en ce sens ont été rendus aussi bien par le « groupe de l’article 29 »,qui réunit toutes les CNIL européennes, ou par la conférence mondiale des CNIL, que par l’ENISA, l’agence européenne de sécurité des réseaux, ou par le groupe de travail IWGDPT, qui réunit au niveau international des autorités de protection de la vie privée, des administrations et des organisation.
Tous insistent sur l’intérêt de voir les réseaux sociaux :
mieux informer les utilisateurs sur les données collectées, les raisons de cette collecte, les destinataires des données, et sur leurs droits à faire supprimer ou mettre à jour ces données ;
informer les utilisateurs sur les risques d’atteinte à leur vie privée et à celle des tiers ;
proposer des paramétrages par défaut plus protecteurs des données personnelles ;
restreindre les possibilités d’accès aux données par des tiers ;
faciliter l’exercice du droit de modification et de suppression par les utilisateurs.
Pour répondre à la question du droit à l’oubli numérique plusieurs pistes sont étudiées. Deux sénateurs, Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne ont déposé le 6 novembre 2009 une proposition de loi visant à "mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique" et à à transformer "l’homo sapiens" en "homo numericus", à la fois "libre et éclairé" sur ses informations personnelles et l’usage qui en est fait en ligne Le texte propose ainsi de rendre obligatoire "une information claire, accessible et spécifique" des internautes sur la durée de conservation de leurs données personnelles. Il préconise "l’exercice plus facile du droit à la suppression des données" en le rendant gratuit et faisable par voie électronique. L’objectif est d’imposer aux éditeurs de sites d’informer l’internaute de manière "claire, accessible et permanente", de l’objectif de la collecte de données le concernant et de la durée de conservation de ces données.
Autre mesure de cette proposition de loi créé un "droit de suppression des données", permettant, à tout internaute de demander l’effacement des données le concernant au sein d’une entreprise. Ce droit de suppression s’appliquerait après la collecte des données par l’entreprise. Il se distinguerait donc du "droit d’opposition commerciale", qui permet déjà à toute personne d’interdire la transmission de données le concernant à une entreprise tierce.
Le texte entend aussi clarifier le statut de l’adresse IP en la considérant comme une donnée à caractère personnel.
Vers une charte
De son côté, Nathalie Kosciusko-Morizet préfère l’idée d’une "charte d’engagements" des professionnels de l’Internet "visant à renforcer le respect de la vie privée". Une charte "des bonnes pratiques" qui serait "complémentaire" de la proposition de loi, selon elle.
Alex Türk a lui réclamé la "reconnaissance d’un droit constitutionnel à l’oubli" qui protégerait notamment le droit à l’intimité de chacun. "Si dans les réseaux, on peut entrer dans votre intimité sans votre accord, la vie devient insupportable." Le président de la Cnil confie qu’"une loi ne suffira pas. C’est un début, mais il est indispensable de voir des négociations entre Etats-Unis et Union européenne sur le sujet pour aller vers un dispositif global. Il faudrait également mettre en place des actions de contrôle judiciaire chez les acteurs de l’Internet. Par exemple, si Facebook annonce qu’il retire votre profil, un organisme comme la Cnil doit pouvoir contrôler si tel est le cas."
La nécessité d’une auto-discipline de la part des acteurs impliqués sur le sujet et le besoin de trouver des convergences et de définir des bonnes pratiques a été rappelé.
La secrétaire d’État appelle à poursuivre les débats sur Twitter, mais aussi sur le futur site du Secrétariat d’État qui sera lancé le 25 novembre 2009. Elle souhaite que les débats sur la gouvernance de l’Internet deviennent plus institutionnels et propose enfin que la discussion sur le droit à l’oubli puisse permettre de commencer à discuter d’harmonisation mondiale des pratiques de protection des données personnelles.
En conclusion de ces échanges pertinents, il faut relever que la notion de conservation des données techniques aux fins d’enquêtes pénales a été cependant laissée de côté. En effet, il ne faut pas oublier qu’une partie du débat en matière de traces et d’oubli porte sur l’obligation qui doit être faite aux acteurs techniques de conserver pendant un an en France les données permettant d’identifier les auteurs de contenus diffusés sur Internet ou l’utilisateur d’une adresse IP. Ainsi, le droit à l’oubli ne doit occulter le devoir de responsabilité individuelle en cas de commission d’infractions via le net et le droit fondamental à la sûreté. C’est tout le sens de l’équilibre à trouver afin que le droit à l’oubli protège bien sûr l’internaute mais aussi la société de dérives éventuelles qui se produisent par le biais de la toile.
Myriam Quéméner, Magistrat