Une œuvre de l’esprit appartient à celui qui l’a créée et cette qualité est reconnue automatiquement, dès l’instant où l’œuvre est matérialisée sous une forme tangible. Contrairement à d’autres droits de propriété intellectuelle, la protection du droit d’auteur ne nécessite aucun enregistrement. L’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle consacre le principe selon lequel l’auteur jouit d’un droit exclusif et opposable à tous du simple fait de la création. Cette disposition confère une protection immédiate et inaliénable à l’auteur, qui ne peut être contestée que par la démonstration d’une contribution créative équivalente de la part d’un tiers.
L’un des critères fondamentaux du droit d’auteur réside dans l’originalité de l’œuvre. La Cour de justice de l’Union européenne, notamment dans les arrêts Infopaq [1] et Eva-Maria Painer [2], a précisé que l’originalité suppose une création intellectuelle propre à l’auteur et la mise en œuvre de choix libres et créatifs. En France, la Cour de cassation a rappelé le 7 mars 1986 dans l’arrêt Pachot [3] que la protection du droit d’auteur exige une empreinte intellectuelle identifiable de l’auteur sur son œuvre. Dès lors, un éditeur qui se limite à donner des conseils, à structurer un texte ou à optimiser un scénario ne peut revendiquer un statut d’auteur. Un tel travail ne constitue pas une création originale au sens juridique du terme, mais une assistance technique et organisationnelle.
Le 28 février 2007, la Cour d’appel de Paris [4] jugeait qu’une œuvre est protégée par le droit d’auteur si elle est originale, c’est-à-dire si elle résulte d’un travail de recherche, de sélection et de classement de données qui lui est spécifique. Le 15 octobre 2021, le Tribunal Judiciaire de Paris [5] a rappelé que, quelle que soit la banalité des idées ou des anecdotes relatées, ce qui importe est la manière dont elles sont traitées et exprimées par l’auteur. En l’espèce, il a été constaté que l’auteur avait opéré une sélection et une organisation des éléments selon une trame narrative qui lui est propre, faisant des choix spécifiques quant à l’intrigue, la description physique et psychologique des personnages, le vocabulaire employé ainsi que le style d’écriture. Cette combinaison témoigne ainsi de l’expression d’une personnalité distincte et originale.
Le rôle de l’éditeur, tel qu’il est défini par le Code de la propriété intellectuelle, est avant tout de permettre la diffusion de l’œuvre. L’article L132-1 précise en substance que le contrat d’édition est celui par lequel un auteur ou ses ayants droit cèdent à un éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer des exemplaires de l’œuvre et de la mettre en circulation. Cela implique que le statut d’éditeur est intrinsèquement lié à l’existence d’un contrat d’édition et peut donc être contesté en l’absence de celui-ci [6].
En effet, la cession des droits d’édition nécessite un accord de principe et une convention de cession délimitant le domaine d’exploitation des droits cédés. L’éditeur prend en charge les aspects matériels de la production, l’impression, la mise en page et la commercialisation, mais ces tâches n’impliquent en rien un acte de création. La jurisprudence a régulièrement affirmé que le travail éditorial ne confère aucun droit d’auteur, sauf en cas de contribution substantielle et créative à l’œuvre elle-même. Un éditeur qui apporte des corrections, reformule certains passages ou ajuste la mise en forme reste un accompagnateur et non un co-auteur.
Dans une décision de la Cour d’appel de Paris, il est précisé que
"si le promoteur de l’œuvre collective qui encadre la liberté des auteurs et exerce un rôle de direction peut exercer un contrôle sur les textes à publier au regard de l’orientation du journal et de l’objectif recherché par celui-ci, ces limites ne sauraient justifier des modifications de l’écrit original dénaturant le style et l’esprit de son œuvre" [7].
Cela implique que l’éditeur, même s’il joue un rôle de direction, ne peut pas être considéré comme auteur s’il se contente de modifications qui ne dénaturent pas l’œuvre originale.
Face à ces tentatives d’appropriation injustifiée, les auteurs doivent prendre des précautions dès le début de leur collaboration avec un éditeur. La première étape consiste à conserver l’ensemble des preuves démontrant leur rôle exclusif dans la création de l’œuvre. Il est essentiel de garder toutes les versions antérieures du manuscrit, y compris les brouillons et ébauches initiales, afin de démontrer que l’œuvre existait avant l’intervention de l’éditeur. Les échanges de courriels, les annotations et les discussions documentées constituent également des éléments de preuve essentiels permettant d’établir la répartition exacte des contributions. Il est aussi recommandé de recueillir des témoignages de professionnels ou de proches pouvant attester du travail de création réalisé en amont.
Certains échanges entre auteurs et éditeurs suffisent à démontrer cette absence de rôle créatif. Lorsqu’un éditeur indique qu’il se base sur un document rédigé par l’auteur, qu’il demande validation avant d’apporter des modifications ou qu’il reconnaît ne pas maîtriser les références et codes spécifiques de l’auteur, il admet implicitement qu’il n’est qu’un intermédiaire facilitant la mise en forme du projet. Loin d’être un créateur, il joue un rôle de conseiller et de coordinateur.
La rédaction d’un contrat d’édition précis et protecteur est une autre précaution indispensable. Ce contrat doit clairement indiquer que l’auteur est le seul titulaire des droits d’auteur et qu’aucune revendication de co-auteur ne pourra être formulée. Une clause de garantie de non-recours peut également être insérée pour prévenir toute contestation ultérieure de l’éditeur. Il est également utile d’ajouter une clause de confidentialité, afin de limiter les communications de l’éditeur sur la Genèse de l’œuvre et d’éviter qu’il ne tente de faire valoir un rôle qu’il n’a pas eu.
Si malgré ces précautions un éditeur persiste à revendiquer un statut de co-auteur, l’auteur doit réagir rapidement. La première étape consiste à lui adresser une mise en demeure, rappelant les dispositions légales et lui demandant expressément de cesser toute revendication infondée. Si cette démarche amiable ne suffit pas, l’intervention d’un avocat spécialisé en droit de la propriété intellectuelle est recommandée. En dernier recours, l’auteur peut saisir le tribunal judiciaire afin d’obtenir une reconnaissance officielle de son statut d’unique auteur et faire interdire à l’éditeur toute prétention abusive.
L’enjeu d’un tel litige est considérable. Un éditeur mal intentionné peut causer des préjudices à l’auteur, notamment en bloquant la publication de l’œuvre et en créant une incertitude juridique susceptible de freiner sa diffusion. L’atteinte au droit moral de l’auteur constitue également un préjudice important, dans la mesure où la paternité d’une œuvre est un droit inaliénable. L’auteur peut également subir un préjudice économique, car le retard dans la publication entraîne une perte de revenus. Un conflit public sur la paternité de l’œuvre peut aussi affecter la réputation professionnelle de l’auteur, nuisant à ses relations avec d’autres maisons d’édition ou créant des difficultés pour la négociation de futurs contrats. Enfin, la pression et le stress engendrés par un litige de cette nature peuvent affecter la créativité et la productivité de l’auteur, le détournant de ses projets artistiques.
Les auteurs doivent donc être vigilants et s’entourer des bonnes garanties pour éviter ces risques. L’éditeur est un partenaire clé dans la publication d’une œuvre, mais son rôle doit rester strictement défini et ne doit jamais empiéter sur les droits exclusifs de l’auteur. En adoptant des réflexes juridiques solides, en sécurisant chaque étape de leur collaboration et en réagissant rapidement en cas d’abus, les auteurs peuvent se prémunir contre toute tentative d’appropriation illégitime. La loi est du côté des créateurs, mais encore faut-il savoir la faire respecter.