Elections municipales 2020 : la loi "Engagement et proximité" limitera-t-elle le risque d'une absence de candidats ? Par Erwan Sellier, Avocat.

Elections municipales 2020 : la loi "Engagement et proximité" limitera-t-elle le risque d’une absence de candidats ?

Par Erwan Sellier, Avocat.

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Explorer : # Élections municipales # absence de candidats # loi engagement et proximité # revalorisation des élus

Depuis plusieurs mois, de nombreux maires et conseillers municipaux ont annoncé leur intention de ne pas se représenter aux prochaines élections municipales, qui auront lieu les 15 et 22 mars prochains.

Cette tendance semble s’expliquer par les multiples transferts de compétence opérées par la loi au profit de l’échelon intercommunal qui s’est accélérée ces dernières années avec la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) du 7 août 2015.

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En effet, les élus de communes rurales ont fait part de leur désarroi face à l’éloignement du centre de décision et de leurs doutes quant au périmètre de certaines intercommunalités.

Les élus locaux ont également exprimé leurs craintes quant à la possibilité croissante de voir leur responsabilité pénale engagée et ce, dans l’exercice de leurs mandats.

Ainsi, l’hypothèse d’une absence de candidature dans certaines communes n’est pas inenvisageable.

Notons que lors des élections municipales de 2014, 64 communes s’étaient retrouvées sans candidat(e)s à la date du premier tour. Par ailleurs, 40,7% des conseillers municipaux ne se sont pas représentés.

L’absence de candidat(e)s au premier tour des élections municipales amènerait alors les services de l’état à organiser l’administration provisoire de la commune.

La « délégation spéciale », ainsi nommée, a pour but d’administrer les affaires courantes et d’organiser de nouvelles élections dans un court délai.

En cas de nouvel échec suite à l’organisation de nouvelles élections, les conséquences seraient quasi-irrémédiables pour la commune (I).

Les difficultés et craintes précitées des élus locaux ont été longuement abordées lors du Grand Débat organisé du mois de janvier au mois de mars 2019.

Ce débat a abouti à l’adoption d’une loi datée du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.

Plusieurs mesures ont ainsi été prises pour revaloriser le mandat d’élu local et les conditions de son exercice. Celles-ci nous semblent répondre, en partie, aux craintes des élus locaux et ainsi limiter le risque évoqué ci-dessus (II).

I. Les conséquences d’un défaut de candidature.

L’absence de candidat au premier tour des élections municipales est abordée par les articles L2121-35 à L2121-39 du Code général des collectivités territoriales.

Ainsi, faute de candidat au premier tour, les élections municipales n’ont tout simplement pas lieu au sein de la commune.

Le conseil municipal ne pouvant être constitué faute de candidat, une délégation spéciale est nommée par le Préfet du Département dans un délai de huit jours à compter du jour de la constatation de l’impossibilité de constituer le conseil municipal.

La méconnaissance de ce délai n’est toutefois pas sanctionnée par le juge administratif [1].

Cette délégation comprend trois membres pour les communes de moins de 35.000 habitants et jusqu’à sept membres pour les communes de plus de 35.000 habitants.

Il n’existe pas de dispositions concernant la composition de la délégation spéciale. Pourtant l’on remarque qu’il s’agit bien souvent d’agents publics territoriaux (ancien Directeur général des services) ou issus de la fonction publique d’État (Ministère de l’Intérieur, Ministère de l’Économie…) à la retraite.

Précisons toutefois que la jurisprudence administrative n’interdit pas que les membres de cette délégation spéciale soient issus du précédent conseil municipal [2].

Une fois nommée, la délégation spéciale élit en son sein un Président, lequel remplit les fonctions de Maire, et un Vice-Président.

Cette délégation a pour fonction d’administrer les affaires courantes de la commune.

L’Article L2121-38 du Code général des collectivités territoriales indique ainsi que :

« Les pouvoirs de la délégation spéciale sont limités aux actes de pure administration conservatoire et urgente.
En aucun cas, il ne lui est permis d’engager les finances municipales au-delà des ressources disponibles de l’exercice courant.
Elle ne peut ni préparer le budget communal, ni recevoir les comptes du maire ou du receveur, ni modifier le personnel ou le régime de l’enseignement public ».

La mission de cette délégation spéciale est donc d’assurer la continuité du service public sur le territoire de la commune.

Son Président doit également assurer les fonctions d’officier d’état civil et d’officier de police judiciaire.

Ces missions sont essentielles et ne sauraient souffrir d’une quelconque carence durant plusieurs mois.

Ainsi, la délégation a aussi et surtout pour mission d’organiser de nouvelles élections municipales dans un délai de deux mois.

Les fonctions de cette délégation prennent alors fin dès lors que le nouveau conseil municipal est installé.

Mais qu’arrive-t-il si aucun candidat(e) ne se présente aux nouvelles élections municipales organisées par la délégation spéciale ?

En effet, si aucun candidat ne s’est présenté au mois de mars, pourquoi y’en aurait-t-il davantage au mois de mai ou de juin suivant ?

Dans l’hypothèse où aucun candidat ne se présenterait aux élections municipales organisées par la délégation spéciale, la commune est purement et simplement dissoute et son territoire est rattachée à une autre commune.

Cette dernière administre alors la commune dissoute de la même manière qu’un de ces quartiers.

Sur le plan du droit électoral, notons que la loi n°2013-403 du 17 mai 2013 a limité le risque ci-dessus exposé [3].

En effet, l’Article 25-I de cette loi, codifié à l’Article L255-3 du Code électoral, prévoit la possibilité d’être candidat seulement à partir du second tour, pour les communes de moins de 1000 habitants, si le nombre de candidats au premier tour est inférieur au nombre de sièges à pourvoir.

Une réponse ministérielle du 28 mars 2019 rappelle que la loi du 17 mai 2013 précitée a étendu l’obligation de se déclarer candidat en préfecture ou sous-préfecture, au plus tard le troisième jeudi qui précède le jour du scrutin, aux communes de moins de 1000 habitants [4].

Dès lors, toute absence de candidature au scrutin municipale sera identifiée au moins quinze jours avant le premier tour.

Ceci est de nature à limiter le risque de défaut de candidatures.

Rappelons alors que la clôture du dépôt des candidatures est fixée pour les présentes municipales de 2020, au 27 février à 18h.

Passé ce délai, les citoyens pourront remédier à l’insuffisance de candidatures dans la commune au stade du second tour et ce, dans les communes de moins de 1.000 habitants, là où le risque précité est le plus important.

Le clôture du dépôt des candidatures pour le second tour a, quant à elle, était fixée au 17 mars à 18h.

Précisons que le refus d’inscription d’une liste (refus de délivrance du récépissé d’enregistrement) peut être contestée devant le Tribunal administratif dans un délai de 24 heures. Le tribunal devra alors se prononcer dans les 3 jours qui suivent. A défaut, le récépissé devra être délivré [5].

En dernier lieu, nous pensons que la seule perspective de voir la commune disparaître - administrativement entendons-nous bien - devrait convaincre les citoyens de se porter candidats tant l’attachement à leur ville ou leur village est important en France.

II. Les mesures prises pour revaloriser le statut des élus.

La loi n°2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a, comme son nom l’indique, deux principaux objets : permettre aux citoyens de s’engager pleinement dans un mandat d’élu local et créer des mécanismes permettant aux communes de peser sur les décisions prises par les établissements publics de coopération intercommunale.

Dans cet article, nous n’aborderons que la première partie relative à la revalorisation du statut des élus.

Ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité, voici les principales mesures contenues dans cette loi :

Faciliter l’accès du conseiller municipal au télétravail dans le cadre de son emploi.

L’Article 89 de la loi crée un Article L2123-1-1 au sein du Code général des collectivités territoriales qui prévoit que : « Sous réserve de la compatibilité de son poste de travail, le conseiller municipal est réputé relever de la catégorie de personnes qui disposent, le cas échéant, de l’accès le plus favorable au télétravail dans l’exercice de leur emploi ».

La prise en charge des frais de garde des enfants ou d’assistance aux personnes âgées ou handicapées.

L’Article 91 de la loi modifie l’Article L2123-18-2 du Code général des collectivités territoriales et prévoit que les membres du conseil municipal bénéficient d’un remboursement par la commune des frais de garde d’enfants ou d’assistance aux personnes âgées, handicapées ou ayant besoin d’une aide personnelle à leur domicile qu’ils ont engagés en raison de leur participation aux réunions du conseil municipal et des commissions dont il est membre, ainsi que des assemblées délibérantes/bureaux où il a été désigné pour représenter la commune.

Ce remboursement ne pourra excéder, par heure, le montant horaire du SMIC. Les modalités de remboursement seront fixées par délibération du conseil municipal.

Dans les communes de moins de 3.500 habitants, le remboursement auquel a procédé la commune sera compensé par l’Etat.

La revalorisation des indemnités des élus locaux.

L’Article 92 de la loi revalorise les indemnités des maires et adjoints au maire des communes de moins de 3.500 habitants.

Pour rappel, les indemnités des élus sont calculées par rapport au montant du traitement correspondant à l’indice brut terminal de l’échelle indiciaire de la fonction publique [6].

Pour les maires des communes de moins de 500 habitants, le taux passe de 17% à 25,5% ;
Pour les maires des communes de 500 à 999 habitants, le taux passe de 31% à 40,3% ;
Pour les maires des communes de 1.000 à 3.499 habitants, le taux passe de 43% à 51,6%.

Soulignons que le conseil municipal devra d’abord voter le montant des indemnités dans le respect de l’enveloppe indemnitaire globale. Puis, il pourra se prononcer sur les majorations prévues ci-dessus.

La protection juridique des élus locaux.

Lorsque le maire est mis en cause dans le cadre de ses fonctions et qu’il souhaite avoir recours à un avocat pour sa défense, le conseil municipal peut, à sa demande, décider de prendre en charge cette défense et ce, par le truchement de la protection fonctionnelle.

Ces sommes sont parfois importantes, ce qui dissuade certains élus de faire valoir ce droit.

Or, l’observatoire de la SMACL (Société Mutuelle d’Assurance des Collectivités Locales) démontre chaque année dans son rapport un accroissement des mises en causes des élus dans le cadre de leurs fonctions [7].

L’Article 104 de la loi du 27 décembre 2019 rend obligatoire, pour toutes les communes, la souscription d’un contrat d’assurance visant à couvrir les coûts liés à la protection fonctionnelle des élus dans l’exercice de leur mandat.

Ce même Article prévoit un mécanisme de compensation par l’État, dans les communes de moins de 3.500 habitants, de la souscription versée à ce titre, en fonction d’un barème fixé par décret.

Le statut de salarié protégé étendu aux détenteurs d’un mandat d’élu local.

L’Article 86 de la loi reconnaît le statut de salarié protégé aux personnes investies d’un mandat d’élu local et modifie ainsi l’Article L1132-1 du Code du travail.

Ainsi, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’Article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’Article L3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son exercice d’un mandat électif local.

On le voit, le législateur a eu à cœur de revaloriser le statut de l’élu et de renforcer sa protection.

Ce dernier se devra alors se saisir de l’ensemble de ces mesures et de faire valoir ses droits, afin de permettre une véritable conciliation entre vie professionnelle et engagement local.

En tout état de cause, ces mesures ont vocation à rassurer les potentiels candidats encore indécis.

Ainsi, rappelons-le une dernière fois, ces derniers ont jusqu’au 27 février 2020 à 18h pour déposer leur candidature.

Pour les communes de moins de 1.000 habitants, une séance de rattrapage leur est offerte en ce qu’ils peuvent déposer leur candidature au stade du second tour, soit jusqu’au 17 mars 2020 à 18h.

Date est donc prise.

Erwan Sellier
Avocat au Barreau de Lille
229, rue Solférino
59000 Lille

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Notes de l'article:

[1CE, 29 mai 1974, Hoarau ; CE, 12 janvier 1912, Mondolini.

[2CE, 3 avril 1968, Papin.

[3Loi n°2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral.

[4Question n°08821 de Monsieur Hervé Maurey (Eure - UC) publiée au JO le : 07/02/2019 p. 652 suivie de la réponse de M. le ministre de l’intérieur publiée au JO le : 19/03/2019 p. 1679.

[5Art. L. 265 du Code électoral.

[6A ce jour, IB 1027 / IM 830.

[7Rapport annuel 2019 de l’Observatoire de la SMACL : « Le risque pénal des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux. »

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