Eloge de la norme inutile : la mutualisation des antennes relais.

Par Lucas Dermenghem, Avocat.

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Explorer : # mutualisation des antennes relais # impact environnemental # réglementation télécommunications # pouvoir des maires

Le législateur comme le pouvoir réglementaire se sont efforcés d’encourager la mutualisation des pylônes d’antennes relais de téléphonie mobile dans le but affiché de limiter l’atteinte portée aux paysages et au cadre de vie des riverains. Il y a cependant lieu de questionner l’utilité des normes instituées, puisque celles-ci sont délibérément dépourvues de tout caractère contraignant et également inopposables dans le cadre des demandes d’autorisation d’urbanisme relatives à ces ouvrages.

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Il existe généralement deux constantes dans les revendications entendues auprès des riverains opposés aux antennes relais de téléphonie mobile : l’absence de toute concertation préalable autour d’un projet pourtant susceptible d’impacter l’environnement et le cadre de vie de la population environnante, et le questionnement sur la prolifération des pylônes alors que les nouveaux relais pourraient éventuellement être installés sur les ouvrages existants.

La mutualisation des pylônes d’antennes relais relève du bon sens : si l’on comprend bien la nécessité des opérateurs de téléphonie mobile de trouver des points hauts pour installer leurs dispositifs, il paraît préférable de les regrouper au maximum en un seul et même endroit afin d’éviter que ne prolifèrent au sein des paysages des pylônes pour le moins inesthétiques.

C’est semble-t-il en suivant cette logique de bon sens que le pouvoir réglementaire avait, dès 2006, prévu que : « L’opérateur fait en sorte, dans la mesure du possible, de partager les sites radioélectriques avec les autres utilisateurs de ces sites ». Cependant, le Conseil d’Etat a jugé sans surprise que cette disposition, rédigée en des termes très permissifs, ne revêtait aucun caractère obligatoire…

Plus récemment, par la loi n°2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, le législateur a institué une possibilité pour le Maire d’exiger de l’opérateur projetant d’implanter un pylône de téléphonie mobile dans sa commune, « la justification du choix de ne pas recourir à une solution de partage de site ou de pylône ». Cette justification devant être apportée dans le Dossier d’Information Mairie (DIM) que l’opérateur doit adresser au Maire préalablement à toute demande d’autorisation d’urbanisme.

Cependant, d’emblée, le législateur a strictement limité le champ d’application et la portée de cette disposition qui est reprise au D de l’article L34-9-1 du Code des postes et télécommunications électroniques.

En effet, et d’une part, cette demande du Maire n’est qu’une faculté, qui ne vaut que « pour information ».

D’autre part, cette simple possibilité n’est pas offerte à tous les Maires mais seulement à ceux des communes situées dans les « zones rurales et à faible densité d’habitation et de population définies par un décret pris après avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques ».

C’est précisément en vue de définir cette dernière notion qu’un décret n°2023-4 est intervenu le 4 janvier 2023, pour instituer un article D103-2 au sein du Code des postes et télécommunications qui dispose :

« Les zones rurales et à faible densité d’habitation et de population mentionnées à l’article L34-9-1 correspondent aux communes rattachées à la catégorie des communes rurales, comprenant les niveaux “bourgs ruraux”, “rural à habitat dispersé” et “rural à habitat très dispersé”, au sein de la grille communale de densité telle que publiée en ligne par l’INSEE lors du dépôt du dossier d’information ».

On sait donc aujourd’hui un peu plus à quoi correspondent les zones rurales et à faible densité d’habitation et de population.

Cela étant, cette précision réglementaire paraît presque futile tant la disposition législative initiale semblait déjà dépourvue de tout contenu normatif.

En effet, au final, il ressort de ce corpus juridique qu’il n’existe aujourd’hui aucune obligation pesant sur les opérateurs de téléphonie mobile de regrouper leurs antennes relais sur un même pylône dans un périmètre donné. Tout au plus le Maire, uniquement dans certaines zones, peut-il leur demander de justifier le choix de ne pas implanter leur antenne sur un pylône existant.

Mais quand bien même cette justification ne serait pas apportée ou serait insuffisante, le Maire ne disposerait d’aucun moyen légal de sanctionner cette carence et de contraindre l’opérateur à la mutualisation.

En effet, la seule marge de manœuvre offerte aux Maires des communes concernées par un projet d’antenne relais réside dans la délivrance de l’autorisation d’urbanisme nécessaire pour construire le pylône. Or, en vertu du principe d’indépendance des législations, le Maire ne peut valablement mobiliser une règle issue du Code des postes et des télécommunications électroniques pour s’opposer à la délivrance d’une autorisation d’urbanisme, ce d’autant que ce code ne prévoit aucune véritable obligation formelle de mutualisation des pylônes…

Par exemple, dans un arrêt récent, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a fait application d’une jurisprudence constante selon laquelle :

« Les dispositions précitées de l’article L34-9-1 du Code des postes et des communications électroniques ne sont pas applicables à l’instruction des déclarations ou demandes d’autorisation d’urbanisme, pour lesquelles le contenu du dossier de demande est défini par les dispositions de la partie réglementaire du Code de l’urbanisme […] » [1].

Au final, le régime juridique relatif à la mutualisation des pylônes de téléphonie mobile constitue une bonne illustration de la norme inutile, dépourvue de caractère obligatoire et inopposable en pratique. Fin 2020, selon la Cour des comptes [2], seules 28% des antennes étaient considérées « en partage actif » et l’on voit mal comment le droit actuel pourrait permettre d’améliorer ce constat.

Lucas Dermenghem
Avocat associé
Barreau de Lille
Géo Avocats
lucas.dermenghem chez geo-avocats.com
Géo Avocats (AARPI inter-barreaux Paris/Lille)

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Notes de l'article:

[1CAA Bordeaux, 7 mars 2023, n° 21BX01519.

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Discussion en cours :

  • par Un lecteur , Le 5 mai 2023 à 10:41

    Vous citez les mauvais chiffres, ce qui invalide la conclusion.

    En effet, la conclusion sous-entend un lien de cause à effet entre un régime juridique peu contraignant, et un taux de partage actif faible : 28%, attribué à la Cour des comptes.

    C’est très "misleading" pour utiliser un anglicisme, car il s’agit du mauvais chiffre. Le partage actif qui n’est qu’une sous-catégorie des modes de partage des infrastructures. Le chiffre toutes catégories de partage confondues est bien supérieur. Citons le paragraphe de la Cour des comptes dans son intégralité :

    "La mutualisation des infrastructures n’est pas à hauteur des ambitions : fin 2020, 45 % des sites étaient, a minima, mutualisés en partage passif d’équipements (soit une progression en nombre de 13 % par rapport à fin 2017) et 28 % en partage actif. Le nombre de sites ayant progressé de 17,5 % sur la même période, le taux de mutualisation a de fait régressé de 47 à 45 %."

    45% de mutualisation, c’est le chiffre qu’il fallait citer dans la conclusion de l’article. C’est déjà pas mal, pour une norme jugée "inutile". De plus, ces chiffres ont déjà 3 ans. L’ARCEP a des données plus récentes. Au 1er janvier 2022, l’Autorité constate que le partage actif représente 49% des sites. C’est un autre chiffre qui aurait pu être cité.

    On est bien loin des 28% !

    D’ailleurs, sur le caractère non obligatoire de la norme, pourquoi ? Le législateur aurait mal fait son travail ? Non. Là encore, il faut se tourner vers l’ARCEP qui explique que :

    "en limitant la concurrence par les infrastructures, le partage de réseaux mobiles peut aussi limiter l’autonomie technique et commerciale de chaque opérateur et restreindre les incitations à l’investissement et l’innovation. L’Arcep est donc attentive aux accords de partage de réseaux mobiles, en veillant notamment à l’équilibre entre les objectifs de concurrence et d’innovation et les objectifs d’aménagement du territoire et de protection de l’environnement."

    Tout est dit.

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