Un employeur peut-il avoir une relation sexuelle avec son ou sa salarié(e) ?

Par Benjamin Pierrot, Avocat.

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Explorer : # relation employeur-salarié # faute grave # consentement # harcèlement moral

Dans un arrêt publié le 22 mars 2023 (n°22-10.007), la chambre sociale de la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par une alternante (contrat de professionnalisation) pour des faits pour le moins singuliers.

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I. Les faits.

En l’espèce, une apprentie a été engagée par contrat de professionnalisation pour une durée de deux ans dans une société.

Lors d’un déplacement professionnel, le président de la société (également tuteur) et la salariée avaient consommé une grande quantité d’alcool et ont ensuite entretenu une relation sexuelle dans la chambre d’hôtel de cette dernière.

A la suite de ces faits, l’alternante a été placée en arrêt maladie et a saisi quelques mois plus tard la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire de ce contrat et en paiement de diverses sommes.

Une plainte pour viol a également été déposée. Elle a été classée sans suite.

II. La position de la cour d’appel.

La cour d’appel est entrée en voie de condamnation à l’égard de la société et a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de professionnalisation.

Pour ce faire, elle a considéré que l’employeur avait également la qualité de tuteur de la salariée et qu’il a commis une faute grave en organisant une soirée alcoolisée à destination de ses salariés, en se déplaçant dans la chambre de l’alternante et en ayant initié une relation sexuelle avec elle alors qu’il était alcoolisé et qu’il ne pouvait ignorer que cette dernière l’était également.

La cour d’appel a considéré la faute grave acquise peu important que la plainte pour viol a été classée sans suite dans le cadre de la procédure pénale.

III. La contestation de la société.

Dans le cadre de son pourvoi en cassation, la société soutient que l’existence d’une relation sexuelle entre un employeur et sa salariée ne constitue une faute grave de la part de ce dernier que s’il est établi que la relation n’a pas été voulue par la salariée.

En l’espèce, il considérait qu’il n’y avait aucune contrainte de sa part ni une quelconque absence de consentement de la salariée.

IV. La réponse de la Cour de cassation.

Pour rejeter le pourvoi de la société (et donc confirmer la condamnation de cette dernière), la Cour de cassation rappelle toute d’abord le contexte de la soirée à savoir l’importante consommation d’alcool par les parties et la relation sexuelle dans la chambre d’hôtel.

Elle relève ensuite qu’une autre participante de la société a témoigné en indiquant que l’achat des bouteilles d’alcool était une initiative du président de la société qui avait déjà tenté, la veille, d’embrasser la salariée qui l’avait repoussé.

Elle relève qu’au regard du lien de subordination unissant les parties et du caractère professionnel du déplacement au cours duquel les faits avaient eu lieu, les griefs invoqués par la salariée étaient de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail et ce même si la qualification de viol n’avait pas été retenue et la plainte de la salariée classée sans suite.

V. Quelques réflexions sur cette décision.

Il est intéressant de noter que la salariée a saisi le Conseil de prud’hommes par acte introductif d’instance en date du 10 janvier 2018.

A cette date, elle pouvait s’appuyer sur l’article L6222-18 du Code du travail dans sa version applicable jusqu’au 1er janvier 2019 qui permettait d’obtenir la résiliation judiciaire d’un contrat d’apprentissage :

« la rupture du contrat conclu pour une durée limitée ou, pendant la période d’apprentissage, du contrat conclu pour une durée indéterminée, ne peut être prononcée que par le conseil de prud’hommes, statuant en la forme des référés, en cas de faute grave ou de manquements répétés de l’une des parties à ses obligations ou en raison de l’inaptitude de l’apprenti à exercer le métier auquel il voulait se préparer ».

Or, par la loi du n°2018-771 du 5 septembre 2018, le législateur est venu supprimer cet alinéa en le remplaçant par une possibilité de démission :

« au-delà de la période prévue au premier alinéa du présent article, la rupture du contrat d’apprentissage peut intervenir à l’initiative de l’apprenti et après respect d’un préavis, dans des conditions déterminées par décret. L’apprenti doit, au préalable, solliciter le médiateur mentionné à l’article L6222-39 ou, pour les apprentis du secteur public non industriel et commercial, le service désigné comme étant chargé de la médiation. Si l’apprenti est mineur, l’acte de rupture doit être conjointement signé par son représentant légal. Lorsque l’apprenti mineur ne parvient pas à obtenir de réponse de son représentant légal, il peut solliciter le médiateur mentionné au même article L6222-39. Le médiateur intervient, dans un délai maximum de quinze jours calendaires consécutifs à la demande de l’apprenti, afin d’obtenir l’accord ou non du représentant légal sur l’acte de rupture du contrat. Une copie de cet acte est adressée, pour information, à l’établissement de formation dans lequel l’apprenti est inscrit ».

A ce jour, il n’existe donc plus de disposition dans le Code du travail permettant de saisir le Conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation d’un contrat d’apprentissage / professionnalisation.

Il n’est donc pas certain que le Conseil de prud’hommes soit juridiquement toujours compétent pour prononcer la résiliation d’un contrat d’apprentissage sauf à se fonder sur le droit commun des contrats.

Concernant le fait pour des salariés d’entretenir des relations sexuelles sur leur lieu de travail, il est tout d’abord rappelé que par application de l’article 9 du Code civil, le salarié a droit au respect de sa vie privée. Un employeur ne peut donc pas sanctionner ses salariés justes car ils entretiennent une relation intime. Le licenciement demeure possible si la relation cause un trouble à l’entreprise [1]. Plus récemment, dans une affaire où une salariée avait consenti à une relation sexuelle avec son supérieur hiérarchique, la Cour de cassation a reconnu que le consentement sexuel n’excluait pas la qualification de harcèlement moral [2].

La prudence s’impose donc en toutes circonstances.

Benjamin Pierrot
Avocat au barreau de Strasbourg
benjamin.pierrot.avocat chez hotmail.com
https://pierrot-avocat.fr/
LinkedIn : www.linkedin.com/in/benjamin-pierrot-avocat-droit-social

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Notes de l'article:

[1Cass. Soc., 21 déc. 2006, n°05-41.140.

[2Cass. Soc., 15 fév. 2023, n°21-23.919.

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