Droit du travail en Alsace-Moselle : tout ce que les salariés et employeurs doivent savoir.

Par Benjamin Pierrot, Avocat.

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Le droit local en Alsace-Moselle s'applique aux salariés en fonction du lieu de leur activité et de la signature de leur contrat de travail. Les règles incluent le maintien de salaire en cas d'absence, des préavis de démission spécifiques, des clauses de non-concurrence et des jours fériés supplémentaires pour les employés.
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En Alsace-Moselle, le droit du travail comporte des spécificités qui le distinguent du régime général. En plus des dispositions classiques du Code du travail, une section spécifique prévoit des règles particulières applicables aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Cet article fait le point sur ces dispositions spécifiques et leur impact pour les employeurs et les salariés.

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I. Le droit local : pour qui ?

Certaines dispositions du droit local sont codifiées dans la section du Code du travail intitulée « Dispositions particulières aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ».

Toutefois, la loi ne précise pas expressément quels salariés sont concernés.

La jurisprudence a donc dégagé plusieurs critères permettant de déterminer l’application du droit local.

De manière générale, les juges prennent en compte :

  • Le lieu du siège social de l’entreprise,
  • Le lieu de conclusion du contrat de travail,
  • Le lieu d’exercice de l’activité du salarié.

Ainsi, un salarié qui signe son contrat de travail en Alsace-Moselle, y exerce son activité et travaille pour une société située dans cette zone sera soumis aux dispositions du droit local.

Cependant, la Cour de cassation a précisé que la seule localisation du siège social dans l’un des trois départements ne suffit pas à appliquer automatiquement le droit local [1].

Par exemple, un salarié qui signe un contrat avec une entreprise basée en Alsace, mais qui travaille à Paris, ne pourra pas se prévaloir des dispositions du droit local.

Le critère déterminant reste donc le lieu principal d’activité du salarié.

Ainsi, un employé chargé du bar et de la restauration dans des trains au départ de Strasbourg relève du droit local [2].

De même, un commercial gérant un portefeuille de clients majoritairement situés en Alsace-Moselle, bien que son employeur soit basé à Saint-Denis, peut bénéficier des dispositions du droit local [3].

Enfin, le droit local s’applique à tous les salariés, quel que soit leur statut hiérarchique, qu’ils soient cadres ou ouvriers [4], ainsi qu’aux employés de maison [5].

II. Le droit local : quelles règles ?

A. Maintien de salaire en cas d’absence au travail.

1. La règle générale applicable à tous les salariés.

L’article L1226-23 du Code du travail prévoit que lorsqu’un salarié voit son contrat de travail suspendu pour une cause personnelle indépendante de sa volonté, et pour une durée relativement courte, a droit au maintien de son salaire. Toutefois, les indemnités versées par un régime d’assurances sociales obligatoire sont déduites du montant dû par l’employeur.

Quelles absences sont concernées ?

Cette règle s’applique principalement aux salariés en arrêt maladie ou en accident du travail.

Cependant, la jurisprudence a élargi son champ d’application à d’autres situations :

  • Présence au chevet du conjoint malade, lorsque le médecin atteste que cette présence est nécessaire [6].
  • Garde à vue [7].
  • Garde d’un enfant [8] étant précisé que cette absence ne permet d’acquérir des congés payés.

Quelle durée d’absence est tolérée ?

Le texte ne fixe pas de durée précise, parlant seulement d’une « durée relativement sans importance ».

La Cour de cassation estime donc que chaque situation doit être appréciée au cas par cas [9].

Néanmoins, la jurisprudence a tenté de poser des repères :

  • 20 jours : durée considérée comme raisonnable et conforme à la jurisprudence « habituelle » sur le sujet, bien que cette interprétation doive être prise avec précaution [10].
  • 8 semaines : durée jugée excessive et ne permettant pas l’application du maintien de salaire [11].

Enfin, il est important de noter que l’appréciation de la durée se fait pour chaque arrêt de travail pris séparément [12].

2. La règle spéciale applicable aux commis commerciaux.

L’article L1226-24 du Code du travail prévoit que le commis commercial, lorsqu’il est dans l’impossibilité d’exécuter son contrat de travail en raison d’un accident dont il n’est pas fautif, bénéficie du maintien intégral de son salaire pendant une durée maximale de six semaines.

Pendant cette durée, les indemnités versées par une société d’assurance ou une mutuelle ne sont pas déduites du montant de la rémunération due par l’employeur. Toute stipulation contraire est nulle.

Est un commis commercial le salarié qui, employé par un commerçant au sens de l’article L121-1 du Code de commerce, occupe des fonctions commerciales au service de la clientèle.

a. Qu’est-ce qu’un commis commercial ?

Un commis commercial est un salarié qui exerce une fonction commerciale en relation avec la clientèle et qui possède un degré d’autonomie et de responsabilité limité dans l’exercice de ses fonctions.

Il a ainsi été jugé qu’est un commis commercial :

  • Un chef d’agence [13] ;
  • Un préparateur de commandes [14] ;
  • Un serveur dans une brasserie [15].

En revanche, il a été jugé que n’est pas un commis commercial :

  • Un coiffeur [16] ;
  • Un ambulancier [17] ;
  • Un assistant maternel [18].

L’attribution de ce statut repose sur une appréciation au cas par cas par la jurisprudence, en fonction des critères retenus.

b. Quelle est la durée du maintien de salaire ?

Le commis commercial absent bénéficie d’un maintien de salaire pendant six semaines.

Ce maintien de salaire s’applique à chaque arrêt de travail, y compris en cas d’absences répétées pour maladie [19].

B. La durée du préavis de démission.

1. La règle générale.

La durée du préavis de démission varie en fonction du statut du salarié :

  • Commis commerciaux et cadres : préavis de six semaines [20] ;
  • Autres salariés : préavis de 15 jours [21].

Conformément à l’article L1234-17 du Code du travail, pendant le préavis, l’employeur accorde au salarié qui le demande un délai raisonnable pour rechercher un nouvel emploi.

Enfin, l’article L1234-17-1 du Code du travail prévoit que ces durées de préavis ne s’appliquent qu’à défaut de dispositions légales, conventionnelles ou d’usages prévoyant une durée de préavis plus longue.

2. Conflit entre plusieurs règles : quelle durée de préavis appliquer ?

La question se pose lorsqu’un salarié invoque le préavis du droit local (deux semaines pour les salariés ordinaires, six semaines pour les commis commerciaux), tandis que l’employeur s’y oppose en soutenant que la convention collective applicable prévoit un préavis plus long.

Quelle règle doit prévaloir dans ce cas ?

À ce jour, la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur cette question.

Toutefois, les derniers arrêts des Cours d’appel de Metz et de Colmar considèrent que le préavis le plus court doit être retenu, car il est plus favorable au salarié.

Les juges motivent leur décision comme suit :

"Or, en matière de démission, la durée la plus courte est considérée comme la plus favorable au salarié. Ainsi, si une disposition conventionnelle prévoit en cas de démission un délai de préavis plus long que celui résultant du droit local, ce dernier, plus favorable au salarié, sera seul applicable" [22].

Une approche inverse existe toutefois.

Certaines décisions ont retenu l’application de la convention collective, même si celle-ci prévoit un préavis plus long.

L’argument repose sur l’article L1234-17-1 du Code du travail : le préavis du droit local n’aurait vocation à s’appliquer qu’en l’absence de dispositions conventionnelles plus favorables à l’employeur [23].

Ainsi, la tendance actuelle privilégie l’application du préavis le plus court, soit celui du droit local.

Toutefois, en l’absence de position claire de la Cour de cassation, cette approche reste sujette à évolution en fonction des décisions futures de la jurisprudence.

C. La clause de non-concurrence.

La clause de non-concurrence a pour objet d’interdire au salarié d’exercer une activité concurrente à celle de son ancien employeur après la rupture de son contrat de travail.

Pour être valable, elle doit respecter les conditions suivantes :

  • Elle doit être écrite et prévoir une contrepartie financière ;
  • Elle doit protéger un intérêt légitime de l’employeur ;
  • Elle doit être proportionnée, c’est-à-dire ne pas imposer de restrictions excessives au salarié.

En droit local, la clause de non-concurrence est régie par l’article 74 du Code de commerce local.

Les spécificités de ces dispositions concernent principalement la contrepartie financière et la durée d’application de la clause.

1. Des dispositions particulières applicables uniquement aux commis commerciaux.

Le Code de commerce local précise que les règles spécifiques à la clause de non-concurrence ne s’appliquent qu’aux commis commerciaux.

Il convient donc de se reporter au point précédent « Qu’est-ce qu’un commis commercial ? » pour déterminer si un salarié peut bénéficier des dispositions du droit local en la matière.

2. Une contrepartie financière plus protectrice pour le salarié.

L’article 74 du Code de commerce local impose à l’employeur de verser au salarié, pendant toute la durée d’application de la clause de non-concurrence, une contrepartie financière équivalente à au moins 50% de la rémunération perçue avant la rupture du contrat de travail.

Cette exigence va au-delà du droit commun, où l’on rencontre fréquemment des clauses de non-concurrence prévoyant une contrepartie financière fixée à 30 ou 40% du salaire.

Le droit local se révèle ainsi plus protecteur pour le salarié en garantissant une indemnisation minimale plus élevée.

3. Une application stricte de la clause de non-concurrence.

Comme en droit commun, l’employeur a la possibilité de délier le salarié de son obligation de non-concurrence avant la fin du contrat de travail.

Cependant, en droit local, l’article 75 a du Code de commerce local impose une règle spécifique : même en cas de renonciation à la clause, l’employeur reste tenu de verser la contrepartie financière pendant une année à compter de la date de renonciation.

Ainsi, un employeur peut se retrouver contraint de verser une indemnité à un salarié qui n’est pourtant plus soumis à l’interdiction de concurrence.

Cette particularité du droit local constitue une source fréquente de contentieux en Alsace-Moselle.

4. Un plafonnement de la contrepartie financière sous conditions.

L’article 74 c du Code de commerce local prévoit un plafonnement de la contrepartie financière lorsque le salarié retrouve un emploi.

Ainsi, le cumul entre ses nouveaux revenus et l’indemnité de non-concurrence ne peut excéder 110% de son ancienne rémunération (125% s’il doit déménager pour respecter la clause dans son nouvel emploi).

Ce dispositif vise à éviter un enrichissement injustifié du salarié tout en maintenant une compensation pour la restriction d’activité imposée.

Il se distingue ainsi du droit commun, qui ne fixe aucun plafond et peut donner lieu à des situations où la contrepartie financière reste due sans limitation, même en cas de revenus confortables dans un nouvel emploi.

La principale difficulté d’interprétation réside dans les hypothèses où l’application stricte du plafond aboutirait à l’absence totale de contrepartie financière.

Or, la Cour de cassation rappelle qu’une clause de non-concurrence ne peut être valable qu’à condition de garantir une compensation effective.

Ainsi, au visa de l’article 6-1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, il a été jugé que ce mécanisme ne s’applique pas :

  • En cas de licenciement pour faute grave [24] ;
  • En cas de démission [25].

Ces décisions témoignent de l’incertitude persistante quant à l’articulation entre le droit local et les principes généraux du droit du travail.

Il n’est donc pas exclu que de nouvelles jurisprudences viennent affiner l’application de ce plafond, notamment sur la question de savoir si une clause peut être maintenue sans indemnisation dans certaines circonstances.

D. Les jours de repos et le repos dominical.

Le droit local d’Alsace-Moselle se distingue du droit commun sur la question des jours fériés et du repos dominical en imposant des règles plus favorables aux salariés.

1. Des jours fériés supplémentaires.

Alors qu’en droit commun, il existe onze jours fériés, l’Alsace-Moselle en prévoit deux supplémentaires :

  • Le Vendredi saint, qui tombe un vendredi variable chaque année ;
  • La Saint-Étienne, le 26 décembre, qui s’ajoute aux jours fériés nationaux.

2. Le repos dominical et les jours fériés chômés.

Contrairement au droit commun, où seul le 1ᵉʳ mai est obligatoirement chômé, en Alsace-Moselle, tous les dimanches et jours fériés sont en principe chômés.

Toutefois, plusieurs exceptions permettent d’y déroger, notamment pour l’industrie, la restauration, l’hôtellerie, les transports…

Par ailleurs, le travail dominical peut être autorisé pour certaines tâches ponctuelles, telles que les inventaires prescrits par la loi.

Les autorités locales, telles que le maire et le préfet, disposent d’un pouvoir de dérogation leur permettant d’autoriser le travail dominical dans certaines circonstances.

Les contreparties offertes aux salariés varient selon le département et le secteur d’activité.

En général, les salariés travaillant le dimanche bénéficient d’une majoration de salaire, laquelle est encore plus importante pour les dimanches travaillés avant Noël.

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Notes de l'article:

[1Cass. soc., 26 nov. 1975, Sté des Laboratoires J.-P. Daul c/ La Bayauderie Sabouraud.

[2CA Colmar, 28 mars 2013, n°11/04794.

[3CA Colmar, 17 déc. 2019, n°19/00148.

[4Cass. soc., 9 juill. 1992, n°91-40.828.

[5Cass. soc., 13 avr. 2005, n°03-41.877.

[6Cass. soc., 15 mars 2017, n°15-16.676.

[7Conseil de prud’hommes de Strasbourg, section commerce, 12 avr. 2021.

[8Cass. soc., 4 déc. 2024, n°23-11.485.

[9Cass. soc., 2 mars 1994, n°91-42.282.

[10CA Colmar, 11 déc. 2012, n°11/04112.

[11CA Colmar, ch. soc., 27 sept. 2016, n°14/06199.

[12Cass. soc., 19 juin 1996, n°95-40.213, SARL Textiles en Biais c/ Thomann.

[13Cass. soc., 10 octobre 1995, n°92-41.069.

[14Cass. soc., 12 décembre 1995, n°92-44.955.

[15Cass. soc., 4 octobre 2000, n°98-43.923.

[16Cass. soc., 24 janvier 2001, n°98-46.321.

[17Cass. soc., 5 novembre 1987, n°85-40.584.

[18Cass. soc., 13 avril 2005, n°03-41.877.

[19Cass. soc., 9 mars 1999, n°96-43.991.

[20L1234-16 du Code du travail.

[21L1234-15 du Code du travail.

[22CA, Colmar 6 oct. 2023, n°21/04619 ; CA, Colmar 28 mars 2023, n°21/01770 ; CA, Metz, 14 décembre 2021, n°19/02984.

[23Voir par exemple : CA, Metz, 21 nov. 2016, n°15/027323 - une décision ayant toutefois fait l’objet de critiques doctrinales, J.-Y. Simon, Le pataquès du préavis de droit local, in RDL févr. 2015, n° 73, p. 28 s.

[24Cass. Soc., 16 déc. 2008, n°05-40.876.

[25CA, Colmar, 31 mai 2022, n°21/01281.

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