I. L’exception dite de panorama.
Le droit français prévoit plusieurs exceptions au droit d’auteur, d’interprétation stricte, fixées à l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle, à savoir certains cas dans lesquels l’usage d’une œuvre sans autorisation de l’auteur n’est pas constitutif de contrefaçon : courte citation, copie privée, parodie, etc.
Bien que cette liste soit limitative, la jurisprudence admet également une exception supplémentaire dite théorie de l’accessoire ou encore de l’inclusion fortuite lorsqu’une œuvre située dans un lieu accessible à tous est reproduite et ne constitue pas le sujet principal de la reproduction / représentation.
En particulier, cette exception prétorienne avait été mise en œuvre en matière d’œuvre architecturale dans une célèbre affaire dite de la Place des Terreaux aux termes de laquelle la Cour de cassation avait refusé de faire droit aux auteurs qui s’opposaient à la diffusion d’une carte postale représentant la Place des Terreaux à Lyon sur laquelle leurs œuvres étaient exposées au motif que « l’œuvre se fondait dans l’ensemble architectural de la Place des Terreaux dont elle constituait un simple élément » (Cass. 1re civ., 15 mars 2005, n° 03-14.820).
Ainsi, dès lors qu’une œuvre architecturale présente dans un lieu public se trouvait reproduite à titre accessoire (arrière-plan), son auteur ne pouvait s’opposer à sa reproduction par tout tiers, y compris à titre commercial.
C’est dans ce contexte que la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, a introduit à l’article L. 122-5 11° du CPI, une nouvelle exception au droit d’auteur dite « exception de panorama » pour encadrer spécifiquement le cas de la reproduction en arrière-plan d’œuvres architecturales et de sculptures présentes sur la voie publique.
Cet article dispose ainsi : « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : ....
11° Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial. ».
C’est l’application et l’étendue de cette exception qui viennent d’être précisées par la Cour d’appel de Paris dans une intéressante affaire opposant le street artiste Combo à Jean-Luc Mélenchon et son parti politique France Insoumise.
II. L’interprétation stricte de l’exception de panorama par la Cour d’appel de Paris.
Dans cette affaire, l’homme politique et son parti avaient reproduit sans autorisation dans plusieurs clips de campagne une fresque murale apposée sur un mur proche de la place de la République représentant une Marianne asiatique, et réalisée par le street artiste Combo.
Pour tenter de se soustraire à toute condamnation sur le fondement de la contrefaçon de droits d’auteur, les intimés invoquaient l’exception de panorama. Autrement dit, ces derniers prétendaient avoir reproduit une œuvres architecturale placée en permanence sur la voie publique pour un usage non commercial.
En première instance, le Tribunal judiciaire de Paris statuant à jour fixe avait fait sienne cette argumentation et rejeté l’ensemble des demandes de l’artiste estimant en particulier que :
« La « liberté de panorama » permet ainsi à toute personne de photographier, filmer, dessiner, etc… les œuvres d’architecture et de sculpture, ainsi que les graffitis dont ils sont éventuellement couverts, dès lors qu’ils sont situés en permanence sur la voie publique, pourvu, prévoit le droit français, que la reproduction soit le fait d’une personne physique, à des fins non commerciales.
Le caractère permanent des graffitis au sens de ce texte n’est pas contestable, dès lors qu’ils ne peuvent être retirés sans travaux, au minimum de peinture.
Il ne peut en outre être sérieusement soutenu que la « Marianne asiatique » apposée sur un mur rue du Temple a été reproduite par M. [V], personne physique, à des fins commerciales. Elle l’a en l’occurrence été aux fins d’illustration de son message politique en faveur d’une nouvelle République. » (TJ Paris, 21 janvier 2021, 20/08482).
Toutefois, la Cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement se livrant à une interprétation stricte de l’exception de panorama, et ce conformément à la règle d’interprétation stricte des exceptions.
Ainsi, après avoir rappelé que l’exception de panorama ne peut bénéficier au parti qui est une personne moral, la Cour précise que :
« La Marianne asiatique » ne s’apparente pas à une œuvre architecturale ou sculpturale au sens de l’article L. 122-5-11° précité et rien ne permet de considérer que le mur du boulevard du Temple sur lequel elle a été créée, sur lequel aucune information n’est donnée, constitue une œuvre au sens de ce texte. Par ailleurs, s’agissant d’une œuvre de « street art », qui plus est constituée, comme en l’espèce, pour partie de papier collé, donc particulièrement soumise aux aléas extérieurs, (dégradations volontaires, effacement par le propriétaire du support, altérations du fait des intempéries…), il ne peut être retenu qu’elle est « placée en permanence sur la voie publique » comme le prévoit le même texte. »
Il en résulte qu’une œuvre de street art, ou plus généralement toute œuvre graphique présente sur la voie publique, ne pourrait jamais entrer dans le champ de l’exception de panorama à un double titre :
D’une part ils ne s’agit pas d’œuvres architecturales ou sculpturales au sens du texte ;
D’autre part ces dernières (et plus particulièrement les œuvres de street art) sont soumises aux aléas extérieures (intempéries et dégradations) et ne peuvent donc pas être considérées comme placées en permanence sur la voie publique au sens strict du texte.
III. La question du cumul de l’exception de panorama et de l’inclusion fortuite.
Les intimés avaient soulevé, en plus de l’exception de panorama, l’exception de courte citation, cependant jugée inapplicable par la Cour en l’absence de mention du nom de l’artiste dans les vidéos, condition expressément posée par les textes (article L 122-5 3° a) du CPI).
En revanche, ces derniers auraient-ils pu invoquer également l’exception de l’inclusion fortuite de l’œuvre au sein de leurs vidéos ?
En effet, se pose la question de savoir si l’application de cette exception prétorienne persiste depuis l’entrée en vigueur de l’exception de panorama, plus limitée et expressément visée à l’article L. 122-5 11° du CPI. C’est ce que semble suggérer entre les lignes la Cour dans cet arrêt.
En effet, bien que cette exception prétorienne ne semble pas avoir été soulevée par les intimés, et alors que le caractère fortuit de la reproduction n’est pas une condition de l’exception de panorama, la Cour ajoute à titre surabondant à la suite de son raisonnement sur l’exception de panorama :
« en outre, l’examen des vidéos incriminées auquel s’est livrée la cour a fait apparaître que la fresque de M. [V] n’y figure pas de façon accessoire ou fortuite, comme un élément du paysage ou de l’espace public servant de décor au sujet ou à l’événement traité (la manifestation du 18 mars 2017, les messages électoraux diffusés en vue de l’élection présidentielle de 2017 et des élections municipales de 2020), mais qu’elle y a été intégrée délibérément, dans une recherche esthétique qui révèle l’intention du réalisateur d’en faire un élément important du clip et d’exploiter l’œuvre en l’associant au message politique diffusé ».
La Cour semble ainsi laisser la porte ouverte à l’application de cette exception prétorienne de l’inclusion fortuite qui viendrait alors s’ajouter à l’exception de panorama.
Reste donc à savoir si l’exception de la théorie dite de l’accessoire ou de l’inclusion fortuite, qui n’est pas limitée aux œuvres architecturales, demeure applicable ou si cette exception de panorama introduite par la loi de 2016 est venue y mettre un terme.
Cette affaire sera sans doute l’objet d’un pourvoi en cassation qui pourrait alors permettre de clarifier cette question.
Discussion en cours :
Merci pour cet article, j’y decouvre des subtilités de la législation encadrant le street art et l’illustration avec le cas de Melenchon est très parlante !