L’expertise de gestion : dans le droit marocain et français.

Par Hassan Ouatik.

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Explorer : # expertise de gestion # actionnaires minoritaires # protection de l'intérêt social # asymétrie d'information

L’expertise de gestion est un outil judiciaire de contrôle de certaines opérations de gestion, mis à la disposition des actionnaires minoritaires.
Au Maroc la demande d’expertise pourrait se faire directement à la justice, alors qu’en droit français, la recevabilité de la demande d’expertise est tributaire d’un recours préliminaire auprès des mandataires sociaux.

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L’expertise de gestion appelée aussi expertise de minorité est un mécanisme de droit prévu en faveur des actionnaires minoritaires de la société anonyme. Elle est prévue au Maroc aux vues des dispositions de l’article 157 de la loi 17/95 relative à société anonyme telle qu’elle a été modifiée ou complétée.

Ce droit vise la protection l’intérêt social dans la mesure où il permet aux minoritaires de s’informer par voie de justice sur un certain nombre d’opérations de gestion réalisés par les mandataires sociaux de la société.

Le législateur vise par cette disposition légale un double objectif : l’information des minoritaires et le contrôle de certains actes de gestion accomplis par les dirigeants sociaux, ce qui permet par ricochet la protection de l’intérêt social.

Le déclenchement et le recours à ce dispositif, certes légal, fait partie des batteries d’indices qui devraient alerter ; le commissaire aux comptes entre autres ; sur l’existence d’un climat de méfiance, si ce n’est pas déjà le fruit d’une mésentente au sein de la société.

Généralement, les initiateurs de ce recours cherchent à se procurer le maximum d’informations et de preuves aux fins d’initier autres recours au fonds, soit au civil pour réparation du préjudice subis par la société, soit au pénal sur le fondement d’une faute de gestion, ou les deux à la fois.

L’expertise de gestion est ordonnée par voie de justice, sur requête des actionnaires répondants aux conditions prévue par la loi sur la société anonyme.

L’objet principal de la requête diffère de l’expertise judicaire ordonnée par le juge du fond dans le cadre l’instruction d’une action en cours sous forme de jugement préliminaire avant de dire droit. Cette décision n’est pas susceptible de recours indépendant.

L’expertise de gestion vise l’obtention des preuves par voie de justice pour intenter une action en responsabilité (civile ou pénale) contre les dirigeants sociaux, alors que dans le droit commun la justice ne pourrait ordonner une expertise judiciaire qui s’apparente comme une « production » de preuves pour les parties.

Dans ce sens une demande d’expertise ne pourrait être recevable à titre de demande principale, même si dans la pratique il y a parfois des demandes déguisées avec des demandes de dédommagements provisoires accompagnées des demandes d’expertise, mais les juges et les magistrats sont très vigilants à ces sujets et déboutent les demandeurs.

La décision du président du Tribunal de commerce ordonnant une expertise de gestion, me semble susceptible qu’elle peut faire l’objet d’un recours auprès des juridictions de niveaux supérieurs.

Eu égard de l’importance et les conséquences sur la relation entre les minoritaires et les dirigeants de la société, et parfois même les autres actionnaires, le législateur a encadré cette procédure avec des conditions contraignantes tant pour les demandeurs que pour la nature des opérations qui pourraient être concernées par ce dispositif.

En effet, la loi a réservé exclusivement le déclenchement de cette action à un ou plusieurs actionnaires minoritaires, détenant au moins 10% du capital social, contrairement au législateur Français [1] qui a limité la quotité du capital permettant le recours pour ce dispositif à seulement 5% du capital social.

Une autre différence entre les deux législations, en France le recours judiciaire est conditionné par un recours « préliminaire » sous forme que question écrite adressé aux dirigeants sociaux à laquelle les dirigeants doivent répondre dans un délai de 30 jours.

Si les requérants se contentent de cette réponse, le processus est arrêté, sinon la voie judiciaire leur sera recevable.

Le législateur Français a étendu l’utilisation de ce mécanisme au Ministère public et aux comités d’entreprises.

Il me semble que le ministère public en France, certes dans le cadre de ses prérogatives, agit suite aux informations reçues dans le cadre de révélations de faits délictueux effectuée par les commissaires aux comptes [2]. Au Maroc les éventuels faits délictueux sont portés à la connaissance des organes de direction (Voir l’article Etude comparative entre la mission du commissaire aux comptes au Maroc et en France à l’égard de l’obligation de moyen).

La législation Marocaine précise que les représentants légaux de la société doivent être dûment convoqués à l’audience.

Quant aux opérations pouvant faire l’objet d’une expertise de gestion, la loi précise que l’ordonnance de désignation de l’expert, « s’il est fait droit à cette demande, détermine l’étendue de la mission de l’expert, ses pouvoirs et fixe les honoraires à titre provisoire jusqu’à la fin de la mission » [3], ce qui exclut de facto que l’expertise ordonnée touche l’ensemble des opérations de gestion.

Une fois l’ordonnance rendue, l’expert désigné entame sa mission et rédige son rapport.

Le législateur précise que le rapport est adressé :

  • Au demandeur,
  • Au conseil d’administration,
  • Ou au directoire, et au conseil de surveillance
  • Aux commissaires aux comptes.

Il doit être obligatoirement mis à la disposition des actionnaires de la prochaine assemblée générale, en annexe au rapport du ou des commissaires aux comptes.

En fin, il me semble que la traduction du texte originel de l’arabe en français a changé le sens dans la mesure que la version arabe (celle qui fait fois) précise que le rapport de l’expert doit être mis à la disposition des actionnaires lors de la prochaine assemblée générale accompagné du rapport du commissaire aux comptes, alors que la version en français (la traduction) précise que le rapport de l’expert doit être annexé au rapport du commissaire aux comptes.

La version en arabe donne au rapport de l’expertise de gestion son autonomie par rapport à celui du commissaire aux comptes ce qui parait logique et cohérent dans la mesure où le travail du commissaire aux comptes ne l’autorise pas à se prononcer sur les opérations/ actes de gestion qui restent de la compétence exclusive des dirigeants sociaux, alors que le travail de l’expert de minorité est la recherche de l’opportunité de ces opérations gestion.

Certes, le commissaire aux comptes est le garant de l’égalité des actionnaires mais nullement la recherche de fraudes ou d’actes cachés y compris les conventions réglementés qui ne lui ont pas soumis.

Nous avons essayé au long du présent article à présenter les aspects légaux de l’expertise de gestion, mais nous pensons aussi qu’il est utile le fondement économique qui régit cette relation dont les intérêts des parties sont convergents.

Ce schéma caractérise le principe de la théorie de l’agence d’où les actionnaires ; y compris les minoritaires en principe ; représentent le principal et les dirigeants sociaux font d’office d’agent.

Néanmoins, la situation des minoritaires est non seulement complexe mais aussi exceptionnelle.

L’agent, en l’occurrence le dirigeant social, est censé rendre compte au principal ; les actionnaires ; mais dans ce schéma l’agent est conscient de l’impuissance des minoritaires et des coûts très élevés pour l’engagement de vérifications ou contrôles pour palier à l’asymétrie d’information.

Au-delà de cette barrière installée entre les deux parties, s’ajoute un autre élément et pas le moindre c’est que la nomination des administrateurs est de la compétence de l’assemblée des actionnaires à la majorité simple, et de ce fait les minoritaires n’ont aucun pourvoir pour nommer ou révoquer les mandataires sociaux.

Cette limitation de pourvoir s’étend aussi à l’autorisation ou approbation des conventions réglementées qui se trouvent approuvées par la majorité malgré un éventuel refus des minoritaires.

En effet, les minoritaires se retrouvent isolés et désarmés. Les autres actionnaires majoritaires se positionnent généralement en principal et agent en même temps, alors que les minoritaires se retrouvent éjectés et à la merci de la majorité.

Certes, le législateur a mis à la disposition des minoritaires une batterie de dispositions mais qui restent soient coûteuses ou méconnues des minoritaires à savoir :
1- L’expertise de gestion,
2- La réquisition d’inscription de projets de résolutions à l’ordre de jour de l’assemblée des actionnaires,
3- La demande de récusation (relèvement judiciaire) du commissaire aux comptes.

Les deux dernières dispositions, certes ne sont pas efficaces, mais elles ont le mérite de d’aider un actionnaire minoritaire d’aller plus loin dans le cadre de demande d’expertise de gestion.

Ainsi, la réquisition d’inscription de projets de résolution à l’assemblée permet de discuter et délibérer la position du minoritaire bien qu’elle ne sera pas votée par la majorité, sachant que cette possibilité ne demande pas la détention d’un pourcentage important.

Quant à la demande de récusation du commissaire aux comptes après sa nomination et la désignation d’un autre commissaire aux comptes par voie de justice, elle est trop difficile à obtenir, et volatile dans son application.

La demande de récusation doit avoir un juste motif, et même dans le cas que la justice donne droit à la demande pour la désignation d’un commissaire aux comptes, il ne peut rester en fonction que le temps de désignation d’un autre commissaire aux comptes par l’assemblée générale des actionnaires.

Rappelons au passage la souveraineté de l’assemblée des actionnaires dont la nullité ne peut être recherchée que pour défaut de respect du formalisme (convocation, quorum,…) ou pour des questions d’ordre public (dotation de la réserve légale, nomination d’un commissaire aux comptes se trouvant dans une situation d’incompatibilité...).

L’exercice de la minorité à des recours non motivés ou juste pour créer une perturbation du bon fonctionnement de la société cible pourrait déclencher des répliques de la part de la société ou des autres actionnaires en faveur de l’intérêt social qui prime sur l’intérêt individuel.

Les recours de la société contre un minoritaire perturbant pourraient aller au-delà des dommages et intérêt pour demander son exclusion de la société.

Hassan Ouatik
Expert comptable membre OEC PARIS IDF

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Notes de l'article:

[3Article 157 de la loi sur la société anonyme au Maroc.

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