Etude comparative entre la mission du commissaire aux comptes au Maroc et en France à l’égard de l’obligation de moyen.

Par Hassan Ouatik.

4475 lectures 1re Parution: Modifié: 2 commentaires 4.83  /5

Explorer : # obligation de moyen # responsabilité civile # commissaire aux comptes # réglementation comparative

La mission du commissaire aux comptes est encadrée par le régime de l’obligation de moyen, néanmoins il existe beaucoup de cas dans lesquels le commissaire aux comptes devient débiteur d’une obligation de résultat.

-

Le commissaire aux comptes est un professionnel de chiffres, sa mission principale est la certification des comptes des sociétés soumises à l’obligation d’avoir un commissaire aux comptes conformément aux dispositions légales.

Le présent article [1] ne traite pas les conditions de désignation de commissaire aux comptes ni les missions spécifiques pouvant être confiées à ce professionnel, mais nous consacrons notre article à l’analyse de la portée de l’obligation de moyen à laquelle est soumis le commissaire aux compte dans l’exercice de sa mission.

Nous présentons dans la limite du possible une comparaison entre la réglementation Marocaine et celle Française régissant la mission du commissaire aux comptes (voir l’article La mission du commissaire aux comptes et l’obligation de moyen en France).

Certes, la mission de commissaire aux comptes est d’ordre légal, néanmoins la réalisation de cette mission ce fait dans un cadre contractuel régi par le droit commun en l’occurrence le dahir des obligations et contrats au Maroc et le Code civil pour la France.

Le commissaire aux comptes encourt dans l’exercice de sa mission tant pour la réglementation Marocaine que Française : une responsabilité civile, une responsabilité pénale et en fin une responsabilité disciplinaire.

A titre de rappel, Le droit des obligations et contrats constitue l’élément juridique de base dans tous les aspects de la vie des personnes physiques ou morales.

Nous traitons dans le présent article les aspects juridiques des obligations dans un premier point, avant d’analyser les possibilités d’exonération du commissaire aux comptes de la responsabilité civile, et ce par la mise en exergue de la notion d’obligation de moyen.

Les obligations doivent avoir un objet certain [2]. Elles peuvent être classées en fonction de leurs objets et de leurs sources.

A- Classification en fonction de l’objet.

Selon une classification très ancienne, les obligations peuvent avoir pour objet soit de faire, de ne pas faire ou de donner.

a. Obligation de faire et de ne pas faire.

L’obligation de faire consiste à s’obliger envers un tiers pour la réalisation d’un acte, alors que celle de ne pas faire consiste à s’abstenir de faire un acte.

En effet, l’obligation de faire consiste généralement à la réalisation d’une prestation par un débiteur pour le compte du créancier. Le plus souvent cette obligation est contractuelle.

Par ailleurs, l’obligation de ne pas faire trouve son fondement dans une abstention à faire un acte.

Dans le premier cas c’est un acte positif et dans le second cas l’acte est passif. De ce fait le professeur Jean Carbonnier, précise que « ne pas faire c’est faire autre chose d’autre » [3].

b. Obligation de donner.

Il s’agit de l’obligation de transfert d’un droit réel du débiteur au profit du créancier. Cas de transfert de propriété dans le cadre d’une vente « article 478 du DOC ».

L’utilité du recours à cette classification permet de connaitre les modalités du recours pour forcer le débiteur à l’exécution de son obligation en faveur du créancier.

En effet, dans l’ancien article 1142 du Code civil Français, il était prévu que « l’inexécution de toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts ».

La loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations publiée au Journal officiel du 21 avril 2018 ne fait plus référence à cette classification.

Il en découle que l’inexécution des obligations ne donnent plus directement droit aux dommages et intérêts, mais l’ordonnance prévoit l’exécution en nature après une mise en demeure article 1221 du Code civil

« Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ».

c. Obligation de résultat.

Dans le cadre de l’obligation de résultat, le débiteur s’engage à obtenir un résultat précis ; contrat de transport par exemple.

d. Obligation de moyen.

L’obligation de moyen est l’engagement de mise en œuvre de tous les moyens nécessaires pour l’obtention d’un résultat. C’est le cas par exemple de la mission du commissaire aux comptes ; du médecin ou de l’avocat.

La distinction citée dans les points c et d permet la recherche de l’exonération ou au moins l’atténuation de la responsabilité.

Dans le cas d’obligation de résultat, il suffit que le résultat escompté ne soit pas atteint pour qu’il y ait responsabilité du débiteur de l’obligation ; tant que dans le cadre d’obligation du moyen le débiteur doit apporter la preuve de la mise en œuvre des moyens nécessaires.

Pour rechercher si le débiteur d’une obligation de moyen a mis en œuvre les diligences nécessaires ; la cour mandate généralement un expert judiciaire pour s’assurer de la mise en œuvres des moyens qu’une une personne dans sa position aurait pu faire.

Dans les deux cas, la force majeure est une cause de l’exonération de la responsabilité.

Application dans le cas du commissaire aux comptes.

Dans le cadre de l’exercice de sa mission, le commissaire aux comptes reste responsable des préjudices subis par la société dans le cadre de la responsabilité contractuelle, et vis-à-vis des tiers sur le fondement de la responsabilité extra contractuelle.

Par ailleurs, la responsabilité civile du commissaire aux comptes ne peut être recherchée pour les infractions commises par les dirigeants à l’exception dans le cas où ce dernier n’aurait pas révélé à l’assemblée des actionnaires les infractions dont il a eu connaissance [4].

a. Les missions du commissaire aux comptes.

i. Le contrôle légal.

Certes, la vérification de la comptabilité sociale ou consolidée, selon les cas, demeure la mission principale et la plus connue ; mais la mission du commissaire aux comptes couvre bien d’autres champs que la loi lui a réservés.

En effet, les missions du commissaire aux comptes s’étendent aussi à :

1. La certification des comptes sociaux ou consolidés.

Comme nous l’avions cité sus-haut, la certification des comptes sociaux est la mission principale du commissaire aux comptes.

Cette mission consiste à : « articles L823-9 et L823-10 du Code de commerce »
1- Vérifier les valeurs et les documents comptables,
2- Certifier les comptes, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la situation financière à la fin de cet exercice,
3- Contrôler la conformité de la comptabilité aux règles en vigueur,
4- Vérifier la sincérité et la concordance des comptes annuels avec le rapport de gestion.

Quant au législateur Marocain, il a confié au commissaire aux comptes la mission d’assurance d’égalité entre actionnaires en plus des missions susvisées ; « … Le ou les commissaires aux comptes s’assurent que l’égalité a été respectée entre les actionnaires » article 166 de la loi 17/96 relative à la société anonyme.

Aussi, nous rappelons que la mission de commissaire aux comptes est exercée au Maroc par l’expert-comptable conformément aux disposition de la loi n° 15-89 réglementant la profession d’expert-comptable et instituant un ordre des experts comptables. L’article 161 et suivants de la loi sur la SA précisent les causes d’incompatibilité.

2. L’information des organes de direction et d’administration.

Le commissaire aux comptes porte aux organes de direction et d’administration les éléments suivants : « article L823-16 du Code de commerce ».

1-Le programme général de travail mis en œuvre en plus des différents sondages effectués.
2- Les éventuelles modifications qui lui paraissent être apportées aux comptes,
3- Les irrégularités et les inexactitudes qu’il aurait découvertes ;
4- Les conclusions auxquelles conduisent les observations et rectifications ci-dessus sur les résultats de la période comparés à ceux de la période précédente.

De son côté la législation Marocaine a prévu les mêmes obligations à la charge du commissaire aux comptes, en précisant que les irrégularités ou inexactitudes relevées au niveau des sociétés faisant appel à l’épargne public doivent être communiqués à l’autorité des marchés des capitaux, et ce conformément au dernier paragraphe de l’article 166 de la loi sur la société anonyme.

Contrairement au législateur Français qui spécifie que la révélation des faits délictueux se fait auprès du procureur ; la législation Marocaine impose au commissaire aux comptes de porter à la connaissance des organes de direction et d’administration « tous faits leur apparaissant délictueux dont ils ont eu connaissance dans l’exercice de leur mission » paragraphe 5 de l’article 166 sus cité.

Nous pensons que cette obligation met une grande pression sur le commissaire aux comptes dans sa relation avec les dirigeants de la société.

En effet, il est tellement inconcevable de s’adresser à une personne et l’informer qu’elle a commis des faits pouvant recevoir une qualification pénale. Une telle situation mettrait le commissaire aux comptes en confrontation directe avec les dirigeants. Ces derniers peuvent riposter par le recours à l’article 179 de la loi sur la SA pour le révoquer de ses fonctions.

Aussi, cette information portée à la connaissance de l’organe de direction « obligatoirement collégial pour la SA » pourrait créer une mésentente au sein de l’organe concerné ; voir une paralysie dans le fonctionnement de la société à cause d’une appréciation incomplète ou erronée des faits jugés délictueux. Dans de cas pareils la responsabilité du commissaire aux comptes pourrait être engagée.

Naturellement, la révélation se fera au Procureur du Roi. IL dispose des compétences techniques et du pouvoir légal pour qualifier les faits et décider éventuellement de l’opportunité des poursuites.

3. L’information des assemblées des actionnaires.

Le commissaire aux comptes a une obligation d’information à l’égard de l’assemblée générale des actionnaires et en conséquence, l’article L823-12 du Code de commerce met à charge :
1- Le signalement des irrégularités et inexactitudes relevées au cours de l’accomplissement de sa mission et ce à la plus prochaine assemblée générale.
2- L’invitation de l’entité contrôlée quand il s’agit d’entité à intérêt public « EIP » à enquêter sur les irrégularités et inexactitudes relevées au cours de l’accomplissement de sa mission et ce conformément aux dispositions de l’article 7 du règlement (UE) n° 537/2014 du Parlement européen et du Conseil.

L’article 7 du règlement (UE) n° 537/2014 du Parlement européen et du Conseil dispose que lorsque le commissaire aux comptes

« soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner que des irrégularités, y compris des fraudes concernant les états financiers de l’entité contrôlée, peuvent être commises ou ont été commises, il en informe l’entité contrôlée et l’invite à enquêter sur l’affaire et à prendre des mesures appropriées pour traiter ces irrégularités et éviter qu’elles ne se répètent à l’avenir ».

Dans le même sens du caractère permanent de la mission du commissaire aux comptes, l’article 7 susvisé met à la charge de ce dernier une autre obligation de suivi. Il ne suffit pas d’informer des irrégularités et inviter l’entité à enquêter, mais il faut que le commissaire aux comptes s’assure de l’effectivité de l’enquête.

Si l’entité contrôlée ne procède pas à l’enquête sur l’affaire, le commissaire aux comptes informe les autorités compétentes en charge d’enquêter sur de pareilles irrégularités.

Aussi, le dernier paragraphe de l’article suscité a mis à la charge du commissaire aux comptes un fardeau très lourd de conséquences

« La transmission de bonne foi à ces autorités, par le contrôleur légal des comptes ou le cabinet d’audit, d’informations sur des irrégularités visées au premier alinéa ne constitue pas une violation des clauses contractuelles ou des dispositions légales restreignant la transmission d’informations ».

En effet, contrairement à la révélation de faits délictueux prévue au 2ème paragraphe de l’article L823-12 du Code de commerce « Ils révèlent au procureur de la République les faits délictueux dont ils ont eu connaissance, sans que leur responsabilité puisse être engagée par cette révélation » ; l’information des autorités compétentes en charge des enquêtes doit être effectuée de bonne foi.

Au Maroc, le commissaire aux comptes, outre le rapport général sur les états financiers, présente un rapport spécial sur les conventions réglementées prévues à l’article 56 de la loi sur la société anonyme.

4. Révélation des faits délictueux.

La compagnie nationale des commissaires aux comptes a préparé un guide de « Pratique professionnelle relative à la révélation des faits délictueux au procureur de la République » annexée à la circulaire.

Le guide présente les bonnes pratiques pour la réalisation de cette obligation supposée par beaucoup de professionnels comme exempte de risques et entourée d’immunité légale, alors que dans la pratique cette immunité n’est pas gagnée d’avance [5].

ii. Les missions spéciales.

Outre les missions de contrôle citées dans les points précédents, la loi a confié aux commissaires aux comptes plusieurs missions au cours de la vie des sociétés dont nous citons quelques-unes ci-après :

- Le déclenchement de la procédure de l’alerte.

Le commissaire doit déclencher la procédure dite de l’alerte prévue par l’article l 234-1 du Code de commerce dès qu’il constate dans le cadre de sa mission des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, il doit informer le président du conseil d’administration ou du directoire selon le cas.

Au Maroc, Les articles 547 et 548 du Code de commerce encadrent la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes.

- La certification d’arrêté de compte.

Dans le cadre d’augmentation de son capital social la société peut procéder à la conversion de créances en action.

Cette forme d’augmentation exige la préparation d’arrêté de compte par le conseil d’administration ou le directoire et le soumettre au commissaire aux comptes pour certification.

Nous signalons que la même mission est confiée par le droit Marocain au commissaire aux comptes [6].

- Exonération de la mise en cause de la responsabilité du cas du commissaire aux comptes.

Comme nous l’avions précisé au début de cet article, le commissaire aux comptes a une obligation de moyen dans l’exercice de sa mission.

En effet la recherche de la responsabilité civile du commissaire aux comptes incombe au demandeur. Ce dernier doit prouver que le commissaire aux comptes n’a pas mis en œuvre les diligences nécessaires conformément aux normes professionnelles.

Par ailleurs, nous signalons qu’à titre d’exemples les éléments traités dans le point A du présent article sont sources de responsabilité pour le commissaire aux comptes.

En conséquence la responsabilité peut être retenue, entre autres, dans les cas suivants :
- Manquement à l’obligation d’informer les organes d’administration et de direction sur les comptes de l’entreprise ;
- Manquement à l’obligation d’informer l’assemblée sur les inexactitudes et irrégularités des comptes de l’entreprise ;
- Défaut de déclenchement de la procédure d’alerte quand la situation de la continuité d’exploitation est compromise ;
- Carence dans l’obligation de convoquer une assemblée des actionnaires en cas d’inaction des organes compétents.

Nous pensons que l’exonération du commissaire aux comptes au bénéfice de l’obligation de moyen n’est généralement possible que pour le volet contrôle des comptes, ou éventuellement dans le cas où les organes de directions doivent porter à sa connaissance les éléments nécessaires, tel que les conventions réglementées par exemple.

En conclusion, nous attirons l’attention du lecteur que la portée de l’obligation de moyen pour le commissaire aux comptes n’est pas absolue. Il existe des possibilités pour retenir la responsabilité du commissaire aux comptes sur le fondement de l’obligation de résultat, à titre d’exemples au niveau du droit Français :
- La certification exacte du montant global des rémunérations versées aux personnes les mieux rémunérées ;
- Carence dans l’obligation de convoquer une assemblée des actionnaires en cas d’inaction des organes compétents.

Quant au droit Marocain, l’exemple des obligations suivantes ne peuvent ; à notre avis ; constituer des obligations de moyen :
- Les dénonciations des infractions des administrateurs ou des membres du conseil de surveillance prévues aux articles 44, 45 et 84 de la loi 17/95 relative à la société anonyme ;
- La vérification de la tenue du registre des assemblées, et information de l’assemblée des irrégularités dans la tenue du dit registre ; article 54 de la loi 17/95 relative à la société anonyme ;
- L’information prévue à l’article 548 du Code de commerce ;
- La convocation de l’assemblée des actionnaires en cas de carence ou d’urgence ; article 73 de la loi 17/95 relative à la société anonyme ;
- La vérification de l’application des dispositions des articles 329 et suivants de la loi 17/95 relative à la société anonyme.

Il nous semble que l’obligation faite à la société pour convoquer le commissaire au conseil d’administration qui arrête le compte [7] vise entre autres à permettre au commissaire aux comptes de présenter ses observations sur le projet des termes de résolutions, notamment pour la conformité aux dispositions de l’article 329 [8].

Hassan Ouatik
Expert comptable membre OEC PARIS IDF

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

6 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[2Article 2 du code des obligations et contrat.

[3La notion d’obligation - Editions Ellipses.

[4Article 180 de la loi 17/95 relatif à la société anonyme.

[6Article 199 de la loi sur la SA.

[7Article 170 de la loi sur la 17/95 relative à la société anonyme. Article publié sur le magazine AFRIMAG en 3 parties (mars, avril et juin 2022) ; Article référencé sur Bibliobaseonlince (centre de documentation de l’ordre des experts comptables et commissaires aux comptes - France) ; http://www.bibliobaseonline.com/notice.php?NUMERO=153350

[8Article de la 17/95 « Le ou les commissaires aux comptes sont convoqués à la réunion du conseil d’administration ou du directoire qui arrête les comptes de l’exercice écoulé, ainsi qu’à toutes les assemblées d’actionnaires ».

Commenter cet article

Discussions en cours :

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27888 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• [Dossier] Le mécanisme de la concurrence saine au sein des équipes.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs