L’expertise médicale du dommage imputable à une infection nosocomiale.

Par Meryam Sablon, Docteur en médecine.

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Explorer : # infection nosocomiale # expertise médicale # indemnisation # responsabilité médicale

Les infections associées aux soins et les infections nosocomiales ont fait l’objet d’une définition épidémiologique, ressortant notamment des travaux du comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins.
Il n’existe toutefois aucune définition juridique de l’infection nosocomiale susceptible d’engager la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé.
L’expertise médicale revêt dès lors une importance capitale dans le dispositif législatif complexe d’indemnisation des victimes d’infections nosocomiales mis en place en 2002.

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Le cadre juridique de la réparation du dommage imputable à une infection nosocomiale

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a instauré un dispositif complexe d’indemnisation des victimes d’infections nosocomiales.
Le régime de responsabilité prévu par la loi du 4 mars 2002 ne s’applique qu’aux conséquences des actes réalisés depuis le 5 septembre 2001. Le système mis en place distingue les infections nosocomiales contractées dans un cabinet libéral de celles qui sont imputables à des soins réalisés dans un établissement de santé.

En effet, si le professionnel de santé libéral ne voit sa responsabilité engagée qu’en cas de faute prouvée, l’article L. 1142 -1-I al 2 du Code de la santé publique, consacre une responsabilité sans faute des établissements de santé dont il n’est possible de s’exonérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère.

Dans le cadre de cette responsabilité de plein droit des établissements de santé, la loi du 30 décembre 2002 est venue opérer une répartition de la charge financière des indemnités dues au titre des dommages imputables aux infections nosocomiales entre l’assureur de responsabilité et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).

C’est en fonction du taux d’incapacité permanente (IPP) déterminé lors de l’expertise médicale que la répartition de la charge financière sera opérée entre l’établissement de santé et l’ONIAM. 

Lorsque la responsabilité de l’établissement de santé est engagée, c’est son assureur de responsabilité qui prendra en charge les dommages subis par le patient à la suite d’une infection nosocomiale, jusqu’au seuil de 25 % d’IPP compris.

À partir de 26 % d’IPP et en cas de décès, l’ONIAM prendra en charge la totalité des indemnités dues au titre des dommages subis. Cependant, l’ONIAM pourra exercer un recours subrogatoire contre l’établissement au cas où serait prouvée la faute de celui-ci comme étant à l’origine du dommage, notamment en cas de manquement caractérisé.

Le dispositif issu de la loi du 4 mars 2002 est moins favorable aux patients victimes d’une infection nosocomiale.

En effet, si leur dommage a de grandes chances d’être réparé lorsque l’infection nosocomiale a été contractée dans un établissement de santé (que ce soit au titre de l’assurance ou au titre de la solidarité nationale), ils sont dans une situation plus difficile lorsque leur dommage est né dans un cabinet privé et qu’il est inférieur à 25 % d’incapacité permanente, car dans ce cas, ils doivent apporter la preuve de la faute du praticien.

Le 6 janvier 2016, la Cour de cassation a décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question relative à la conformité de l’article L. 1142-1, I, alinéas 1 et 2 du Code de la santé publique au principe d’égalité des citoyens devant la loi garanti par l’article 6 de la DDHC de 1789.

La Haute juridiction a considéré que la question revêt un caractère sérieux en ce que ce texte impose aux patients ayant contracté une infection nosocomiale à l’occasion de soins dispensés par des professionnels de santé, exerçant leur activité à titre libéral, de prouver l’existence d’une faute de ces derniers, alors que, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère, les établissements, services et organismes de santé sont responsables de plein droit des dommages subis par leurs patients, victimes d’une telle infection.

L’expertise médicale du dommage imputable à une infection nosocomiale

La loi du 4 mars 2002 n’a pas défini l’infection nosocomiale.

Les infections nosocomiales sont les infections contractées dans un établissement de santé.
Cette définition de 1999 [1], qui est restreinte aux infections contractées dans un établissement de santé a été complétée par la notion d’infection associée aux soins introduite par le Comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins (CTINILS) en novembre 2006 [2].

Les médecins experts se reportent à la définition épidémiologique des infections associées aux soins faite par le Comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins (CTINILS) en mai 2007.

Une infection est dite associée aux soins si elle survient au cours ou au décours d’une prise en charge (diagnostique, thérapeutique, palliative, préventive ou éducative) d’un patient et si elle n’était ni présente ni en incubation au début de la prise en charge.

Lorsque l’état infectieux au début de la prise en charge n’est pas connu précisément, un délai d’au moins 48 heures ou un délai supérieur à la période d’incubation est couramment accepté pour définir une infection associée aux soins. Toutefois, il est recommandé d’apprécier dans chaque cas la plausibilité de l’association entre la prise en charge et l’infection.

Pour les infections du site opératoire, les experts considèrent habituellement comme associées aux soins les infections survenant dans les 30 jours suivant l’intervention ou, s’il y a mise en place d’un implant, d’une prothèse ou d’un matériel prothétique, dans l’année qui suit l’intervention.
Toutefois, et quel que soit le délai de survenue, il est recommandé d’apprécier dans chaque cas la plausibilité de l’association entre l’intervention et l’infection, notamment en prenant en compte le type de germe en cause.

Pour les infections du site opératoire, sont considérées comme nosocomiales les infections survenues dans les 30 jours suivant l’intervention ou, s’il y a mise en place d’une prothèse ou d’un implant, dans l’année qui suit l’intervention.

L’expertise médicale revêt une importance capitale en cas de dommage imputable à une infection nosocomiale. Le demandeur doit apporter certains éléments de preuve, par tout moyen.

La Cour de cassation reconnaît aux juges du fond un pouvoir souverain dans l’appréciation des preuves produites pour établir l’existence d’une infection nosocomiale.

L’expert médical doit établir l’existence de l’infection nosocomiale en distinguant l’infection qui est le résultat d’un déséquilibre entre la virulence de l’agent pathogène et les défenses immunitaires de l’hôte et dont résulte une expression clinique, de la colonisation correspondant à la présence de germe sans réaction inflammatoire. L’interprétation des résultats microbiologiques en fonction du contexte est indispensable, car une culture positive ne signifie pas toujours une infection et une infection n’est pas toujours microbiologiquement documentée.

Le médecin expert doit ensuite se prononcer sur le caractère nosocomial de l’infection.

Les conditions de survenue de l’infection doivent, pour être nosocomiales, répondre aux critères des infections associées aux soins. En dehors du critère épidémiologique, l’expert doit s’assurer de l’imputabilité aux soins de l’infection afin d’éliminer la possibilité d’une infection préexistante ou en incubation au moment des soins.

L’expert doit également préciser si l’infection était évitable par des mesures techniques validées (antibioprophylaxie) et vérifier si les conditions d’asepsie et de préparation pré opératoires ont été respectées.

L’existence, la validité et l’application (traçabilité) des protocoles de l’établissement sont vérifiées afin d’éliminer une faute dans l’organisation du service et des soins. Ils doivent être fidèles aux référentiels en matière d’infection nosocomiale (réglementation, recommandations, conférences de consensus).

L’expert a également doit également se prononcer sur un défaut d’information, des manquements dans la prise en charge du patient notamment des retards de diagnostic, des défauts de surveillance, des retards dans la prise en charge.

Dès lors, l’accès au dossier médical du patient revêt une importance capitale, permettant de démontrer d’une part l’existence d’une infection nosocomiale et d’autre part d’éventuels manquements dans la prise charge du malade.

Or, l’accès au dossier médical demeure difficile pour les patients. Ce qui complique l’indemnisation des victimes d’infections nosocomiales qui ne peuvent produire les preuves nécessaires lors de l’expertise médicale.

Un rapport parlementaire, rendu public en juillet 2009 avait fait un constat sur l’application de deux dispositifs issus des lois n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 : l’accès au dossier médical et l’indemnisation des infections nosocomiales.

Ce rapport concluait que les apports législatifs de 2002 étaient globalement positifs, mais souligne que l’effectivité du droit d’accès au dossier médical doit être renforcée et le régime d’indemnisation des infections nosocomiales rendu plus équitable.

Docteur Meryam SABLON
Docteur en Médecine de la faculté de Lyon
Diplômé de la réparation juridique du dommage corporel
Master II Droit de la santé
Médecin conseil
http://www.medecin-dommage-corporel.expert

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Notes de l'article:

[1Comité technique des infections nosocomiales : 100 recommandations pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales. Ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, 2e édition, 1999.

[2Comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins : définitions des infections associées aux soins. Ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, mai 2007.

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