Les causes de l’illicéité du forfait jours.
Le forfait jours peut être déclaré illicite ou inopposable dans plusieurs cas. Voici les causes principales.
- Non-respect des conditions d’accès telles que prévues par la convention Syntec-Cinov : cela inclut le non-respect de la classification minimale des cadres (position 3.1) et l’absence de majoration salariale obligatoire.
- Absence de convention individuelle écrite : la mise en place d’un forfait jours doit faire l’objet d’une convention individuelle signée par le salarié et l’employeur. Si cette condition n’est pas remplie, le forfait jours peut être considéré comme nul.
- Défaut de suivi de la charge de travail : l’employeur doit s’assurer que le salarié ne dépasse pas le nombre de jours travaillés prévus. L’absence de contrôle des jours travaillés et des jours de repos peut entraîner la nullité du forfait.
- Manque de dispositifs d’encadrement : la formalisation du droit à la déconnexion, la mise en place d’une procédure d’alerte en cas de surcharge de travail, et la tenue d’entretiens annuels de suivi font partie des obligations essentielles de l’employeur pour encadrer le forfait jours.
Conséquences de la requalification en contrat de 35 heures.
Lorsque le forfait jours est invalidé, le contrat de travail est automatiquement requalifié en contrat de 35 heures hebdomadaires, avec des conséquences significatives pour l’employeur :
- Paiement des heures supplémentaires : si le salarié prouve qu’il a travaillé au-delà des 35 heures hebdomadaires, il pourra réclamer le paiement des heures supplémentaires avec des majorations de 25% pour les huit premières heures supplémentaires (jusqu’à 43 heures par semaine) et de 50% pour les heures suivantes. Ce paiement s’applique de manière rétroactive sur une période de trois ans, correspondant au délai de prescription.
- Calcul des heures supplémentaires : le calcul des heures supplémentaires se fait sur la base d’un taux horaire calculé sur la base du salaire réel perçu par le salarié, et du salaire minimum conventionnel.
- Repos compensateurs : lorsque le salarié dépasse le contingent annuel de 220 heures supplémentaires, il a droit à des repos compensateurs qui viennent s’ajouter aux majorations de salaires.
- L’employeur pourrait être condamné à payer des dommages-intérêts supplémentaires en cas de non-respect des temps de repos obligatoires, des durées maximales de travail, ou si l’existence d’un travail dissimulé intentionnel est prouvé.
A noter : même si le salarié perçoit un salaire supérieur au salaire minimum conventionnel majoré (de 20 ou 22% selon sa classification), il pourra obtenir le paiement d’heures supplémentaires.
Les modalités concrètes du débat sur les horaires de travail.
La requalification en contrat de 35 heures ouvre souvent un débat sur la preuve des heures réellement travaillées. Dans un contentieux sur les horaires, la preuve repose à la fois sur le salarié et sur l’employeur.
- Pour le salarié : il doit apporter des preuves tangibles, telles que des emails, des relevés d’activité, des attestations de collègues, ou encore des captures d’écran d’outils de gestion du temps, afin de reconstituer son planning de travail.
- Pour l’employeur : il doit lui aussi démontrer, avec des preuves concrètes (systèmes de pointage, suivi des jours de travail, entretiens annuels), qu’il a respecté les obligations liées au suivi de la charge de travail. Et c’est là que cela peut rapidement tourner au casse-tête puisque, pensant que son salarié n’était pas soumis à un système d’horaires, il n’aura pas mis en place de dispositif de contrôle des horaires quotidiens de travail.
Un exemple chiffré.
Prenons l’exemple d’un salarié cadre, consultant embauché en 2019 avec un forfait jours, classification 3.1, et un salaire brut de 5 000 euros par mois. Son contrat est rompu en 2024, et il saisit le conseil de prud’hommes, arguant qu’aucun entretien annuel de suivi n’a été réalisé pendant les cinq ans de son contrat.
Le salarié parvient à démontrer qu’il a travaillé 39 heures par semaine. Il obtient alors la requalification de son contrat en 35 heures et le paiement des heures supplémentaires dues sur une période de trois ans, soit :
- 4 heures supplémentaires par semaine,
- 25% de majoration pour ces heures, sur un salaire effectif de 5 000 euros brut.
Le calcul s’établit ainsi :
- 4 heures × 47 semaines × 3 ans = 564 heures supplémentaires,
- Chaque heure supplémentaire est majorée de 25%, donc le taux horaire est calculé comme suit : (5 000 / 151,67) x 1,25 = 41,20 euros bruts
- Le rappel de salaire total est de 564 x 41,20 = 23 236,80 euros.
Cet exemple illustre une durée du travail de 39 heures, mais il n’est pas rare que certains cadres effectuent largement plus de 40 heures de travail par semaine. Les conséquences financières seront nettement alourdies dans ce type de cas.
Préconisations : anticiper et corriger.
Pour éviter le risque de requalification en contrat de 35 heures, commencez par auditer vos pratiques et vérifiez la conformité des forfaits jours aux règles Syntec-Cinov.
En cas d’irrégularités, il est souvent possible de corriger la situation : mettez en place des systèmes de suivi des jours travaillés, organisez les entretiens obligatoires, adoptez une charte sur le droit à la déconnexion, et proposez des avenants aux contrats des salariés concernés.
Si nécessaire, négociez un accord collectif pour ajuster les contraintes légales aux spécificités de votre entreprise et limiter ainsi les risques juridiques.
Discussions en cours :
Merci pour votre article très clair, surtout avec l’exemple qui illustre le cas d’une annulation du forfait jour et donc du passage en 35h.
J’ai cependant une interrogation. Si on prouve les 4h supplémentaires par semaines, je reprends l’exemple, car le forfait était invalide, quid des 10 jours de RTT où le salarié n’a pas travaillé ?
Ils sont là pour compenser, en repos, les fortes amplitudes horaires d’un forfait jour, donc se faire payer 4h en heures sup sur 47 semaines sans déduire les 10 jours (10*7h ?) rémunérés auxquels on aurait pas eu droit ça me parait redondant, au moins sur une partie.
Qu’en pensez-vous ?
Merci pour cette clareté !