En effet, le harcèlement moral se différencie d’une situation de stress ressentie par le salarié et résultant des contraintes normales du travail ou de simples difficultés relationnelles. Il ne doit pas être confondu avec l’exercice normal du pouvoir de direction de l’employeur, un ressenti, un désaccord ou encore une mésentente…
L’histoire personnelle du salarié, la culture de l’entreprise, les usages de la profession jouent souvent un rôle important en la matière.
La qualification du harcèlement moral peut donc s’avérer difficile. Il appartient pourtant à l’employeur de déterminer si les faits dénoncés sont constitutifs de harcèlement moral et de prendre les mesures adéquates vis-à-vis de l’ensemble des protagonistes.
L’enquête interne se révèle ainsi désormais un outil nécessaire à cette qualification mais également une arme de sécurisation juridique pour l’employeur qui engage tant sa responsabilité pénale que civile en la matière.
En l’absence d’un cadre réglementant les enquêtes internes, l’aide d’un avocat peut être déterminante.
I/ Qu’est-ce que le harcèlement moral ?
Le harcèlement moral est aujourd’hui un terme trop souvent utilisé à tort. Il est pourtant expressément défini à l’article L1152-1 du Code du travail.
Un salarié est victime de harcèlement moral lorsqu’il subit des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Ces agissements peuvent prendre des formes variées, et notamment :
- brimades, humiliations insultes, enlacés
- critiques systématiques
- sanctions injustifiées et répétées
- mise au placard
- surcharge de travail
- consignes contradictoires ou absence de consignes, etc.
Il convient de souligner que si le lien de subordination est nécessaire pour retenir le harcèlement en entreprise, aucune relation hiérarchique n’est exigée. Il s’agit seulement d’une circonstance aggravante.
Il en est de même de l’intention de nuire de l’auteur des faits.
II/ Les contours de l’enquête interne.
a - Enquête interne en cas de dénonciation de harcèlement : une nécessité ?
La loi n’impose pas expressément d’organiser une enquête interne lorsqu’un salarié dénonce des faits de harcèlement. Cette obligation résulte de l’obligation de prévention des risques de l’employeur qui doit assurer la santé et la sécurité de ses salariés. Il doit plus particulièrement prendre « toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral » [1].
Au regard de cette obligation, la jurisprudence a dégagé l’obligation, pour l’employeur, d’organiser une enquête interne afin d’établir la matérialité des faits et de prendre les mesures qui s’imposent.
La Cour de cassation considère, qu’à défaut d’avoir organisé une enquête interne, l’employeur a manqué à son obligation de sécurité qui cause un préjudice au salarié, même en l’absence de harcèlement [2].
La Cour de cassation vient néanmoins d’indiquer que l’enquête interne n’est pas une obligation lorsque l’employeur est en mesure de justifier de la mise en place de mesures suffisantes pour garantir la sécurité et la santé des salariés [3]. Une décision qui s’inscrit en contrariété avec les décisions sur le même sujet.
L’enquête représente le meilleur moyen, voire le seul, pour l’employeur de qualifier les faits dénoncés de manière objective et de justifier des mesures qu’il va prendre.
Rappelons que cette enquête ne lie pas le juge dans son appréciation et la qualification des faits qui lui sont soumis [4].
Il appartient au salarié d’établir des faits laissant supposer l’existence du harcèlement moral, à charge pour l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement.
Par ailleurs, le régime de preuve en matière de harcèlement est aménagé.
Dans ces conditions, l’intérêt d’organiser une enquête interne est d’autant plus évident.
Si la nécessité de diligenter une enquête interne en cas de dénonciation de harcèlement moral (ou sexuel) ne fait plus aucun doute, encore faut-il l’organiser utilement.
b - Quel délai pour déclencher l’enquête ?
L’employeur doit réagir le plus rapidement possible dès qu’il a connaissance des faits même s’il est convaincu que cette plainte est infondée [5].
Un retard dans l’organisation de cette enquête peut en effet entraîner des soupçons de collusions internes ou encore fragiliser la légitimité du licenciement de l’auteur des faits [6].
Chaque plainte, rumeur doit-elle conduire à organiser une enquête ? La jurisprudence sanctionne l’inertie de l’employeur. En cas de rumeurs ou de remontées de comportements douteux, il lui appartient donc de s’informer plus précisément sur la situation et de déterminer si l’enquête doit être organisée.
Le fait que la salariée soit en arrêt de travail au moment de la dénonciation ne peut conduire l’employeur à retarder l’enquête [7].
c - Qui peut mener l’enquête ?
L’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, reste autorisé à mener cette enquête, tout comme son représentant ou le service des ressources humaines.
Si les représentants du personnel peuvent mener l’enquête ou y être associés, l’employeur n’a aucune obligation de les faire participer [8].
En revanche, le défenseur des droits insiste sur la nécessité, pour les enquêteurs, de présenter des garanties de compétences et d’impartialité [9].
Rappelons enfin, que la Cour de cassation a indiqué que l’employeur, qui ne respecte pas le principe d’impartialité auquel il est tenu en matière d’enquête interne, manque à son obligation de sécurité [10].
d - Quels salariés doivent être entendus ?
Il est bien évidemment nécessaire de s’entretenir avec la victime afin de recueillir ses explications sur les faits dénoncés.
Cette nécessité peut néanmoins être mise à mal lorsque le salarié est en arrêt de travail au moment de la dénonciation et/ou pendant l’enquête. À notre connaissance, la jurisprudence n’a pas encore dégagé de principe en la matière. Il convient donc de rester prudent en offrant la possibilité au salarié de venir en entretien s’il s’en sent capable et/ou de se réserver la possibilité d’organiser un complément d’enquête à son retour.
Il semble également pertinent d’interroger la personne accusée des faits bien que la jurisprudence ne l’impose pas.
La Cour de cassation a en effet précisé que ni le respect du principe du contradictoire ni celui des droits de La défense ne sont applicables à l’enquête interne.
Dès lors, elle ne peut être écartée au motif que le salarié accusé des faits n’a pas été entendu ou informé de l’enquête [11]. Il ne bénéficie pas plus d’un droit d’accès au dossier [12].
Enfin, s’il est conseillé d’enquêter auprès d’un large panel de salariés, l’employeur n’a pas l’obligation d’interroger l’ensemble des collaborateurs gravitant autour des protagonistes [13].
Nous conseillons de définir en amont le périmètre de l’enquête, périmètre qui pourra évoluer au fil des éléments recueillis.
e - Comment recueillir les témoignages ?
L’anonymat des témoignages est proscrit. La Cour de cassation impose en effet que les témoins soient identifiés [14].
Ce principe jurisprudentiel s’oppose néanmoins aux besoins de discrétion et de confidentialité qui doivent guider l’organisation de l’enquête [15]. Il semble donc possible de circonscrire la connaissance de l’identité des témoins à la commission ou le cabinet extérieur en charge de l’enquête.
II/ Les suites à donner à l’enquête.
a - Sanctionner l’auteur des faits.
Il résulte des articles L1152-6 et L1153-6 du Code du travail que tout salarié ayant procédé à des faits de harcèlement moral (ou sexuel) est passible d’une sanction disciplinaire.
La sanction doit être proportionnée. La notification d’un avertissement n’est donc pas suffisante pour la Cour de cassation qui indique que dans ce cas l’employeur a manqué à son obligation de sécurité.
Enfin, l’employeur dispose d’un délai de 2 mois pour convoquer le salarié à un entretien préalable ou lui adresser un avertissement à compter de la connaissance des faits [16].
Néanmoins, l’exigence d’impartialité imposée à l’employeur implique nécessairement qu’il ne peut sanctionner le salarié accusé des faits avant la fin de l’enquête.
Dès lors, lorsqu’une enquête est diligentée, le délai de prescription commence à courir à la date de sa clôture [17].
En revanche, l’employeur est tenu de mener une enquête dans des délais raisonnables.
b - Protection du salarié ayant dénoncé les faits.
Tout salarié peut être amené à dénoncer des faits de harcèlement. Il ne peut subir aucune sanction ou discriminations au motif qu’il a dénoncé ces faits.
Cette protection n’est pas absolue et trouve sa limite dans la mauvaise foi du salarié.
Une dénonciation mensongère dans le but de déstabiliser l’entreprise et de se débarrasser d’un autre salarié est constitutif d’une faute grave [18].
Pour conclure.
L’organisation d’une enquête interne s’avère être un exercé périlleux, les enquêteurs devant faire preuve de tact, d’impartialité, de réactivité, de loyauté, ou encore de discrétion….
L’enquête interne doit, selon notre approche, circonscrire, tant le risque judiciaire que social.
Discussion en cours :
Bonjour
Le Journal du Management juridique a publié un dossier sur les prestataires pouvant réaliser des enquêtes internes : avocats, bien entendu, mais également détectives ou les cabinets de prévention des risques sociaux.
A lire ici urlr.me/mxzt3