Infractions à la réglementation d’urbanisme et droit au respect de la vie privée et familiale.

Par Camille Wautier, Avocat.

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Explorer : # vie privée # urbanisme # droit au respect du domicile # conformité des constructions

Atteinte à la vie privée et familiale, respect du domicile, des notions qui se trouvent de plus en plus mobilisées en matière d’urbanisme.

Qu’en est-il de l’appréciation des notions d’atteinte à la vie privée et familiale et de respect du domicile en matière d’infractions à la réglementation d’urbanisme, à l’aune de la Loi ELAN (Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique) et des arrêts de la Cour de cassation du 16 janvier 2020 ?

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Le respect de la vie privée et l’inviolabilité du domicile : des libertés fondamentales consacrées.

L’Article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales prévoit à son alinéa 1 que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » [1].

Régulièrement, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle l’importance du respect de la vie privée et familiale par ses Etats membres, et réaffirme continuellement sa vision extensive de la notion de domicile [2].

En droit français, la protection de la vie privée est assurée par l’Article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. (…) » [3].

Par sa décision du 18 janvier 1995, le Conseil Constitutionnel va en outre affirmer que constituent des libertés publiques constitutionnellement garanties, l’inviolabilité du domicile et le droit au respect de la vie privée [4].

Le respect des règles d’urbanisme : une exigence légitimement poursuivie par les collectivités territoriales, dans l’intérêt général.

Des objectifs divers et variés, parfois même qui semblent antagonistes, sont traduits par le droit de l’urbanisme :
- l’objectif d’organisation de l’espace ;
- les objectifs environnementaux de protection et de mise en valeur ;
- l’objectif de développement économique ;
- les objectifs démographiques.

L’Article L101-2 du Code de l’urbanisme impose ainsi à l’action en matière d’urbanisme :

Dans le respect des objectifs du développement durable, l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme vise à atteindre les objectifs suivants :

«  L’équilibre entre :
a) Les populations résidant dans les zones urbaines et rurales ;
b) Le renouvellement urbain, le développement urbain maîtrisé, la restructuration des espaces urbanisés, la revitalisation des centres urbains et ruraux, la lutte contre l’étalement urbain ;
c) Une utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des sites, des milieux et paysages naturels ;
d) La sauvegarde des ensembles urbains et la protection, la conservation et la restauration du patrimoine culturel ;
e) Les besoins en matière de mobilité ;

La qualité urbaine, architecturale et paysagère, notamment des entrées de ville ;
La diversité des fonctions urbaines et rurales et la mixité sociale dans l’habitat, en prévoyant des capacités de construction et de réhabilitation suffisantes pour la satisfaction, sans discrimination, des besoins présents et futurs de l’ensemble des modes d’habitat, d’activités économiques, touristiques, sportives, culturelles et d’intérêt général ainsi que d’équipements publics et d’équipement commercial, en tenant compte en particulier des objectifs de répartition géographiquement équilibrée entre emploi, habitat, commerces et services, d’amélioration des performances énergétiques, de développement des communications électroniques, de diminution des obligations de déplacements motorisés et de développement des transports alternatifs à l’usage individuel de l’automobile ;
La sécurité et la salubrité publiques ;
La prévention des risques naturels prévisibles, des risques miniers, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature ;
La protection des milieux naturels et des paysages, la préservation de la qualité de l’air, de l’eau, du sol et du sous-sol, des ressources naturelles, de la biodiversité, des écosystèmes, des espaces verts ainsi que la création, la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques ;
La lutte contre le changement climatique et l’adaptation à ce changement, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’économie des ressources fossiles, la maîtrise de l’énergie et la production énergétique à partir de sources renouvelables ;
La promotion du principe de conception universelle pour une société inclusive vis-à-vis des personnes en situation de handicap ou en perte d’autonomie dans les zones urbaines et rurales. »

Pour les collectivités territoriales, voir respecter les règles d’urbanisme qu’elles imposent sur leur territoire est donc un objectif légitime, « afin notamment de lutter contre le développement anarchique de constructions qui portent gravement et durablement atteinte à l’ordre public » [5].

L’Article L480-14 du Code de l’urbanisme ouvre d’ailleurs la possibilité pour les collectivités publiques de saisir le juge judiciaire d’une demande de démolition ou de remise en état des constructions irrégulières ou illégales, par la voie de la procédure d’urgence.

Mais en cas d’infraction à la réglementation d’urbanisme peut aussi être dressé un procès-verbal de constatation de l’infraction, lequel est transmis au Procureur de la République qui décide de l’opportunité d’engager des poursuites devant la juridiction pénale.

La mise en balance des intérêts tenant d’une part au respect de la vie privée et familiale et du domicile, d’autre part au respect des règles d’urbanisme, se retrouve désormais à tous les stades de l’application du droit de l’urbanisme, du contrôle des constructions, jusque dans les contentieux relatifs aux constructions irrégulières ou illégales.

I- Le droit au respect du domicile et le contrôle de la conformité des constructions.

Longtemps, le droit de l’urbanisme applicable en matière de contrôle des constructions est resté relativement hermétique à la notion de respect du domicile, sauf violation manifeste.

Était alors surtout, et quasi exclusivement, contrôlé l’accord du propriétaire ou de l’occupant des lieux ; seul élément qui, s’il faisait défaut, pouvait permettre d’obtenir une relaxe pour nullité du procès-verbal de constatations [6].

Les évolutions textuelles récentes ont pourtant conduit à placer le respect du domicile au centre de la procédure de contrôle des constructions.

La loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 dite ELAN consacre ainsi tout un volet au droit de l’urbanisme.

Au titre de l’objectif de « construire plus et mieux », la loi ELAN remanie les dispositions du Code de l’urbanisme relatives au contrôle de la conformité des constructions aux autorisations d’urbanisme et aux règles d’urbanisme.

La loi ELAN offre ainsi une clarification de l’exercice du droit de visite des constructions, calqué sur les dispositions applicables aux visites domiciliaires régies par le Code de procédure pénale.

Il s’agit là d’un réel remaniement de la procédure de contrôle de la conformité des constructions, puisque jusqu’alors la Cour de cassation refusait toute application des dispositions régissant les visites domiciliaires à l’exercice du droit de visite des constructions.

La Cour de cassation estimait par exemple que l’accord de l’intéressé n’avait pas à être recueilli par écrit préalablement à la visite, alors que la protection du domicile est garantie par le Code de procédure pénale dans le cadre des visites domiciliaires [7].

Cette position de la Cour de cassation en matière de visite des constructions apparaissait d’ailleurs contestable dans la mesure où la protection du domicile est reconnue de longue date comme une liberté fondamentale [8].

La loi ELAN insère ainsi de nouvelles dispositions au Code de l’urbanisme, aux Articles L461-1 et suivants, qui prévoient désormais :
- Le droit de visite des constructions s’effectue entre 6 heures et 21 heures ;
- Le domicile et les locaux avec une partie à usage d’habitation ne peuvent être visités qu’en présence et avec l’assentiment de l’occupant, à défaut en présence de deux témoins ;
- L’assentiment de l’occupant à la visite est recueilli par écrit de sa main (s’il ne sait pas écrire il en est fait mention, ainsi que de son assentiment) ;
- En cas de refus de l’occupant, la visite peut être autorisée par le Juge des Libertés et de la Détention ;
- Pour les locaux professionnels, le Procureur doit être informé préalablement à la visite et peut s’y opposer ;
- Un procès-verbal est dressé sur le champ, copie est remise à l’occupant ou adressée par courrier recommandé ;
- L’opposition au droit de visite est punie d’une peine d’emprisonnement de 6 mois et d’une amende de 7.500 euros.

Le délai d’exercice du droit de visite des constructions est porté à 6 ans après l’achèvement des travaux, coïncidant ainsi avec le délai de prescription de l’action publique, durant lequel peut être engagé une action à l’encontre du bénéficiaire d’une construction irrégulière ou illégale.

En d’autres termes, la loi ELAN fait pleinement entrer le contrôle de la conformité des constructions dans le champ de la matière pénale, en lui rendant applicable les règles de procédure et de prescription issues du Code de procédure pénale ; assurant ainsi à l’auteur présumé les mêmes garanties qu’à tout prévenu d’une infraction pénale.

Outre le bouleversement de la pratique des agents en charge du contrôle de la conformité des constructions, cette nouvelle approche ouvre le champ à de nouveaux moyens de nullité à soulever devant le juge pénal dans l’optique d’une relaxe.

II- Le droit au respect de la vie privée et familiale et les mesures de remise en état des constructions irrégulières.

Le droit au respect de la vie privée et familiale est de plus en plus érigé comme un rempart aux sanctions susceptibles d’être prononcées par le juge pénal, ou par le juge judiciaire de l’urgence, en cas d’infractions au droit de l’urbanisme.

Pourtant, la position historique de la Cour de cassation avait plutôt tendance à privilégier largement les mesures de remise en état.

En pratique, cela se traduisait par la démolition pure et simple de la construction édifiée sans autorisation d’urbanisme ou dans une zone du document local d’urbanisme (POS/PLU) ne permettant pas un tel aménagement.

Ainsi, l’atteinte au droit de propriété n’était pas susceptible de faire obstacle aux mesures de remise en état ordonnées face à une construction irrégulière [9].

Bien plus récemment, la Cour d’appel de Paris avait également écarté toute atteinte excessive à la vie privée et familiale ou au respect du domicile, face à la démolition d’une extension édifiée sans permis de construire : [10]

« le fait pour l’autorité communale légalement investie de la police de l’urbanisme, afin notamment de lutter contre le développement anarchique de constructions qui portent gravement et durablement atteinte à l’ordre public, de solliciter la démolition d’une construction illicite pour avoir été réalisée sans l’autorisation administrative préalable prévue par la loi, fût-elle, comme en l’espèce le domicile de Mme X... et de sa famille, ne constitue pas, au sens de l’Article 8 de la convention européenne des droits de l’homme précitée, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale et à la protection de son domicile. »

Il ressort de cette position historique de la Cour de cassation que l’intérêt attaché au respect des règles d’urbanisme prévalait largement.

Néanmoins, et depuis de nombreuses années, la Cour européenne des droits de l’Homme tente d’insuffler une impulsion vers un contrôle de proportionnalité entre respect des règles d’urbanisme et respect de la vie privée et familiale [11].

En 2015, la Cour de cassation avait recherché si la mesure d’expulsion prononcée à l’encontre de gens du voyage, en raison de la méconnaissance des règles d’urbanisme de la commune, n’était pas disproportionnée au regard du droit au respect de la vie privée et famille et du respect du domicile [12].

Ce n’est pourtant que récemment que l’atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale et le respect du domicile sont devenu des moyens réellement opérants, de nature à faire obstacle aux mesures de remise en état et de démolition susceptibles d’être prononcées.

La Cour de cassation s’attache désormais à assurer un contrôle de proportionnalité réel et effectif, c’est-à-dire au cas par cas, pour apprécier si la mesure de remise en état prononcée n’est pas disproportionnée.

Ainsi, la Haute juridiction a censuré récemment un arrêt de la Cour d’appel de Paris, qui avait considéré :

« … que le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile ne fait pas obstacle à la protection de l’environnement assurée par des dispositions d’urbanisme impératives destinées à préserver l’intérêt public de la commune et de ses habitants, que les droits fondamentaux invoqués par Mme G... et M. S... ne sauraient ôter au trouble que constitue la violation réitérée et en toute connaissance de cause des règles d’urbanisme en vigueur son caractère manifestement illicite et que les mesures de démolition et d’expulsion sollicitées sont proportionnées au droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile (…) »

La Cour de cassation a considéré que ce motif est inopérant et imposé de rechercher concrètement si les mesures ordonnées en l’espèce n’étaient pas disproportionnées [13].

Pourtant, le moyen tiré de l’atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale ou au respect du domicile ne permettra pas d’échapper à toutes mesures de remise en état.

Ce, notamment quand dans la balance entre respect de la réglementation d’urbanisme et atteinte à la vie privée vient s’ajouter la notion de risque pour l’intégrité des personnes.

Déjà en 2018, la Cour de cassation avait jugé s’agissant d’une construction irrégulièrement édifiée en zone inondable : [14]

« … que la disproportion manifeste entre l’atteinte à la vie privée et familiale et au domicile par rapport aux impératifs d’intérêt général des législations urbanistique et environnementale qui résulterait de la démolition, ne saurait être utilement invoquée quand la construction litigieuse est située en zone inondable avec fort aléa (…) »

C’est finalement dans le prolongement de cette ligne jurisprudentielle que dans un second arrêt du 16 janvier 2020 la Cour de cassation a considéré que la mesure d’expulsion et de démolition de la construction ne portait pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale ou au respect du domicile, au regard du risque d’inondation : [15]
« … qu’il existait un besoin social impérieux de préserver la sécurité des personnes exposées à un risque naturel d’inondation et d’éviter toute construction nouvelle ou reconstruction à l’intérieur des zones inondables soumises aux aléas les plus forts (…) »

La divergence de position de la Cour de cassation dans ses deux arrêts du 16 janvier 2020 pourrait à première vue sembler surprenante.

Dans les deux cas une famille avec des enfants mineurs a fixé son domicile dans une construction irrégulière et l’environnement des constructions litigieuses connait une certaine urbanisation.

Pourtant, dans la première affaire, la Cour considère que l’expulsion et la démolition constitueraient une atteinte excessive à leur droit à la vie privée et familiale, ce qu’elle écarte dans la seconde affaire.

La différence de taille de cette seconde affaire est l’existence d’un risque d’inondation du terrain concerné ; il n’était donc plus uniquement question du respect de la réglementation d’urbanisme mais également du risque d’atteinte à la sécurité des personnes.

On peut donc en conclure que la remise en état par la démolition d’une construction irrégulière, même constituant un domicile, n’est pas disproportionnée lorsqu’elle est motivée par la double justification : du respect des règles d’urbanisme et de la protection contre les risques d’atteinte à la sécurité des personnes (inondation, incendie…).

Les points qui demeurent en suspens…

On peut se demander si la Cour de cassation aurait la même approche face à une construction irrégulière mais qui ne serait pas à usage d’habitation, mais à usage industriel ou commercial.

La Cour opérerait-elle la même mise en balance des intérêts et conclurait-elle à l’atteinte disproportionné à la liberté d’entreprendre ou du commerce et de l’industrie … ?

Il n’est pas garanti que dans ce cas de figure le contrôle de proportionnalité de la mesure de remise en état penche en faveur de la liberté d’entreprendre ou du commerce et de l’industrie.

Maître Camille WAUTIER, Avocat

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Notes de l'article:

[1Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 04.11.1950 - Art.8 al 1.

[2CEDH, 17.10.2013, n°27013/07, Winterstein et autres c/ France.

[3Article 9 du Code civil.

[4DC18 janvier 1995, n°94-352.

[5CA Paris, 10 novembre 2017, n°15/20013.

[6TGI Toulon, 13 février 2018, n°A371/18.

[7Cass, crim, 2 décembre 2014, n°14-80.205.

[8CEDH, 25 février 2013, n°10828/84, Funke c/ France ; CE, 6 novembre 2009, req. n°304300, société Inter Confort ; Cass, crim, 22 janvier 1997, n°95-81186.

[9Cass, crim, 18 février 1998, n°96-86191.

[10CA Paris, 10 novembre 2017, n°15/20013.

[11CEDH, 17 octobre 2013, n°27023/07, Winterstein et autres c/ France.

[12Cass, civ 3ème, 17 décembre 2015, n°14-22095.

[13Cass, crim, 16 janvier 2020, n°19-10375.

[14Cass, cim, 16 janvier 2018, n°17-81884.

[15Cass, crim, 16 janvier 2020, n°19-13645.

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