Les EHPAD publics n’ont pas à être assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties !

Par Camille Wautier, Avocat.

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Explorer : # ehpad # exonération fiscale # service public # taxe foncière

Ces dernières années, certains EHPAD publics ont eu la mauvaise surprise de recevoir des avis d’impôt au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

De longs contentieux se sont alors initiés entre ces établissements publics et la Direction générale des finances publiques (DGFIP).

-

Le débat a consisté à convaincre le juge administratif comme l’administration fiscale de ce que l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties prévue par l’article 1382 1° du Code général des impôts trouvait à s’appliquer au bénéfice des EHPAD.

Et ce n’était pas une mince affaire, compte-tenu notamment de l’absence d’actualisation des notions mobilisées dans les dispositions de l’article 1382 précité.

L’alinéa 1° de l’article 1382 du Code général des impôts prévoit expressément une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les immeubles nationaux, régionaux, départementaux et communaux affectés à un service public ou d’utilité générale et non productifs de revenus, ainsi que pour les immeubles appartenant aux EPCI, syndicats mixtes, pôles métropolitains et aux établissements publics scientifiques, d’enseignement et d’assistance [1]

En d’autres termes, trois critères sont posés pour bénéficier d’une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties :

- L’immeuble doit appartenir à l’une des personnes visées au 1° de l’article 1382 du CGI ;
- L’immeuble doit être affecté à un service public ou d’utilité générale ;
- L’immeuble doit être improductif de revenus, même symboliques.

Avant l’arrêt du 24 avril 2019, mentionné aux Tables du Recueil Lebon, la Haute juridiction ne s’était encore jamais prononcée sur la possibilité pour un EHPAD public de bénéficier d’une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties.

1- EHPAD et hospice sont-ils synonymes ?

Et si, tout simplement, l’EHPAD était qualifiable d’hospice au sens de l’article 1382 1° du Code général des impôts ; il serait alors l’un des immeubles expressément visés par l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties.

Plusieurs éléments laissent penser que l’EHPAD public n’est en réalité que la forme contemporaine de l’hospice visé à l’article 1382 précité.

A ce titre, la Loi n°91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière, a opéré un changement de terminologie au sein du Code de la santé publique, les « hôpitaux et hospices » devenant les « établissements publics de santé ».

Aux termes de la loi du 31 juillet 1991 il était prévu que :

« Avant la fin du délai fixé par l’article 29 de la loi no 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière, les hospices publics seront transformés, en tout ou partie et selon les besoins, soit en unités dispensant des soins définis au b du 1o ou au 2o de l’article L. 711-2 du code de la santé publique, soit en établissements publics relevant de la présente loi et destinés à l’hébergement de personnes âgées. ».

En 2006 était soumise une proposition d’amendement de l’article 1382 du Code général des impôts, afin de tenir compte de l’évolution de terminologie opérée par la loi du 31 juillet 1991, elle n’a cependant pas abouti.

Surtout, et nonobstant la terminologie retenue pour désigner ces établissements, l’EHPAD public actuel exerce les mêmes missions que l’ancien hospice.

La Loi du 21 décembre 1941 relative à la réorganisation des hôpitaux et hospices civils, a institué un prix de la journée d’hospitalisation dans les hôpitaux et hospices.

Ce tarif journalier dépendait alors de la validité ou de l’invalidité des personnes prises en charges.
Désormais le Code de l’action sociale et des familles distingue trois volets de financement des établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes : le financement des soins, le financement de l’hébergement et le financement de la dépendance [2] .

La nature des missions comme la prise en charge n’ont en réalité que fort peu changé entre les hospices publics et les EHPAD publics.

Pourtant, l’arrêt du Conseil d’Etat du 24 avril 2019 ne nous éclaire pas sur ce point et ne se prononce pas sur le fait de savoir si la notion d’hospice de l’article 1382 du code général des impôts doit être regardée comme désignant les EHPAD publics actuels.

Par cet arrêt récent, la Haute juridiction détaille en revanche, avec une grande pédagogie, le raisonnement lui permettant d’aboutir à la conclusion d’une absence d’assujettissement de l’EHPAD public à la taxe foncière sur les propriétés bâties.

2- La réunion des critères d’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties.

L’EHPAD public peut-il être qualifié « d’établissement public d’assistance » au sens de l’article 1382 ?

Le Conseil d’Etat, par un arrêt du 9 février 2000 dit ONAC [3], identifie l’un des critères essentiels à la qualification d’établissement public d’assistance en précisant que sa mission doit notamment se borner « au domaine de l’aide sociale et à la gestion d’institutions sociales et médico-sociales  ».

Ce critère d’appréciation tenant à la nature de la mission de l’établissement public en cause a été confirmé par une réponse ministérielle du 16 février 2010, reprenant l’arrêt précité du Conseil d’Etat [4].

Au regard de ces critères, ont notamment été qualifiés d’établissement public d’assistance, un hôpital public [5], encore un groupement public d’EHPAD [6].

Le Conseil d’Etat lui-même avait déjà eu l’occasion, en d’autres matières que l’assujettissement à la taxe foncière, de qualifier un EHPAD d’établissement public d’assistance [7].

L’article L.312-1 du Code de l’action sociale et des familles donne la définition des établissements sociaux et médico-sociaux et vise expressément « les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ».

C’est ainsi assez logiquement que le Conseil d’Etat considère « qu’eu égard à la nature des missions confiées aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes » l’EHPAD public a la qualité d’un établissement public d’assistance au sens de l’alinéa 1° de l’article 1382 du Code général des impôts.

Le premier critère d’exonération est donc rempli, l’immeuble appartenant à l’EHPAD public appartient à l’une des personnes visées par l’article 1382 précité.

La mission de service public et d’utilité générale de l’EHPAD.

Ce point est rarement contesté par l’administration, qui admet largement que les EHPAD publics assument une mission de service public.

D’ailleurs, l’article D.312-155-0 du Code de l’action sociale et des familles définit en ces termes les missions des EHPAD :

« I.- Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes mentionnés au I et au II de l’article L. 313-12 :
1° Hébergent à temps complet ou partiel, à titre permanent ou temporaire, des personnes âgées dans les conditions fixées à l’article D. 313-15 et fournissent à chaque résident, a minima, le socle de prestations d’hébergement prévu aux articles D. 312-159-2 et D. 342-3 ;
2° Proposent et dispensent des soins médicaux et paramédicaux adaptés, des actions de prévention et d’éducation à la santé et apportent une aide à la vie quotidienne adaptée ;
3° Mettent en place avec la personne accueillie et le cas échéant avec sa personne de confiance un projet d’accompagnement personnalisé adaptés aux besoins comprenant un projet de soins et un projet de vie visant à favoriser l’exercice des droits des personnes accueillies ;
4° Lorsqu’ils proposent des modalités d’accueil particulières telles que prévues au 1° de l’article L. 314-2, ils respectent les conditions prévues aux articles D. 312-8, D. 312-9, D. 312-155-0-1 et D. 312-155-0-2 ;
5° Inscrivent leur action au sein de la coordination gériatrique locale, en relation notamment avec les plateformes territoriales d’appui mentionnées aux articles L. 6327-1 et L. 6327-2 du code de la santé publique, les méthodes d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie mentionnées à l’article L. 113-3, les centres locaux d’information et de coordination gérontologique mentionnés à l’article L. 312-1. II.- Pour assurer leurs missions, outre son directeur et le personnel administratif, l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes dispose d’une équipe pluridisciplinaire comprenant au moins un médecin coordonnateur dans les conditions prévues aux articles D. 312-156 à D. 312-159-1, un professionnel infirmier titulaire du diplôme d’Etat, des aides-soignants, des aides médico-psychologiques, des accompagnants éducatifs et sociaux et des personnels psycho-éducatifs.
 »

Par un avis ancien rendu le 16 juin 1994 [8], le Conseil d’Etat avait déjà indiqué que l’hébergement médicalisé des patients constitue « un élément essentiel et indissociable de sa mission de service public ».

Dans l’affaire dont été saisi le Conseil d’Etat le 24 avril 2019, ce point n’était pas même débattu ; l’EHPAD public assure donc une mission de service public et rempli indéniablement le second critère d’exonération.

L’immeuble appartenant à l’EHPAD est-il productif de revenus, même symboliques ?

En pratique, c’est dans cette question que réside toute la difficulté ; l’administration fiscale considérant que les EHPAD perçoivent des aides publiques ainsi qu’une participation des personnes prises en charge, pour l’hébergement et les soins aux personnes âgées.

A cet égard, dans l’arrêt du 24 avril 2019 le Conseil d’Etat relève dans un premier temps que l’EHPAD « perçoit, pour l’hébergement des personnes âgées qui lui sont confiées et les soins qui leur sont dispensés, non seulement des aides publiques mais aussi des financements privés. Dès lors que l’immeuble dans lequel est exercé son activité d’hébergement et de soins aux personnes âgées dépendants est ainsi productif de revenus à raison des financements privés perçus. »

Cependant et contrairement à l’administration fiscale, la Haute juridiction n’a pas stoppé ici son analyse et s’est prononcée, comme l’y invitait l’EHPAD requérant, sur l’interprétation de la loi fiscale.

A ce titre, l’instruction administrative 6 C-1213 n°3, reprise au paragraphe 40 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-IF-TFB-10-50-10-30 donne une grille de lecture du caractère productif ou improductif de revenu des immeubles appartenant aux personnes visées au 1° de l’article 1382 du CGI :

« Toutefois, il convient, à titre de règle pratique, d’assimiler à des propriétés improductives de revenus celles où s’exerce une activité susceptible d’être exonérée de la cotisation foncière des entreprises en application de l’article 1449-1° du CGI, c’est-à-dire revêtant un caractère essentiellement culturel, éducatif, sanitaire, social, sportif ou touristique. »

L’article L.80 A du Livre des procédures fiscales permet au contribuable de se prévaloir du bénéfice des interprétations de la loi fiscale données par l’administration fiscale :

« (…)
Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l’administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l’impôt et aux pénalités fiscales.
 ».

Le caractère sanitaire et social des activités de l’EHPAD ressort des dispositions mêmes du Code de l’action sociale et des familles, plus précisément de son article D.312-155-0 qui définit les missions des EHPAD, outre de son article L.312-1 qui qualifie les EHPAD d’établissements sociaux et médico-sociaux.

C’est ainsi au regard de cette interprétation de la loi fiscale que le Conseil d’Etat conclu que « l’immeuble dans lequel est exercé son activité d’hébergement et de soins aux personnes âgées dépendantes, qui revêt un caractère sanitaire et social, doit être assimilé à une propriété improductive de revenus ».

L’immeuble dans lequel l’EHPAD public exerce ses activités est ainsi improductif de revenus au sens de l’article 1382 du Code général des impôts, le dernier critère d’exonération est rempli.

En conclusion, cette décision du Conseil d’Etat du 24 avril 2019 devrait permettre à de nombreux EHPAD de bénéficier de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties, voire de solliciter un dégrèvement de la TFPB déjà appelée ou même déjà réglée !

En pratique, il s’agit d’une excellente nouvelle pour les EHPAD publics, qui assurent une mission de service public certes financée en partie par les participations privées des personnes prises en charge, mais dont ils ne tirent aucun bénéfice au regard de leurs coûts de fonctionnement.

Maître Camille WAUTIER, Avocat

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Notes de l'article:

[1Article 1382 du Code général des impôts
« Sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties :
1° Les immeubles nationaux, les immeubles régionaux, les immeubles départementaux pour les taxes perçues par les communes et par le département auquel ils appartiennent et les immeubles communaux pour les taxes perçues par les départements et par la commune à laquelle ils appartiennent, lorsqu’ils sont affectés à un service public ou d’utilité générale et non productifs de revenus, notamment :
(…)

Les hospices, dépôts de mendicité, prisons, maisons de détention ;
Les magasins, casernes et autres établissements militaires, à l’exception des arsenaux ;
Les bâtiments formant dépendance nécessaire des cimetières, y compris les cimetières constitués en vertu de l’article L. 522-12 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre pour la sépulture des militaires alliés et dont l’Etat a concédé la libre disposition aux gouvernements intéressés ;
Les haras.
Sous réserve des dispositions du 9°, cette exonération n’est pas applicable aux immeubles qui appartiennent à des établissements publics autres que les établissements publics de coopération intercommunale, les syndicats mixtes, les pôles métropolitains, les ententes interdépartementales, les établissements publics scientifiques, d’enseignement et d’assistance ainsi que les établissements visés aux articles 12 et 13 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, ni aux organismes de l’Etat, des départements ou des communes ayant un caractère industriel ou commercial.
 »

[2Article L.314-2 du code de l’action sociale et des familles.

[3CE, 9 février 2000, req. n°188160, ONAC

[4JO AN, question n°63982, du 24.11.2009 page 11015, réponse du 16.02.2010 page 1724.

[5CAA Paris, 29 juin 2001, req. n°97PA03439.

[6TA Melun, 22 janvier 2015, req. n°1206136.

[7CE, 9 juillet 2010, req. n°308976.

[8CE, avis, 16 juin 1994, n°356101.

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