I. Les faits.
Un salarié occupe un poste de directeur général, fonction unique au sein de la société Holding JVM. Le 24 janvier 2019, le président de ladite société échange des courriels avec la responsable des ressources humaines à propos de l’élaboration d’une promesse d’embauche destinée à un candidat externe, afin de pourvoir ce même poste.
Quelques jours plus tard, le 7 février, le salarié actuellement en poste est convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement puis licencié pour faute grave le 28 février 2019.
Estimant avoir été licencié verbalement dès le 24 janvier 2019, soit antérieurement à la procédure disciplinaire, il saisit la juridiction prud’homale, arguant d’un licenciement irrégulier, et sollicitant une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
II. Les moyens.
Devant la Cour de cassation, l’employeur avance deux arguments principaux.
En premier lieu, il invoque la violation du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, affirmant que les courriels ont été obtenus de manière déloyale et qu’ils relevaient de correspondances privées.
En second lieu, il soutient que ces messages ne sauraient, en toute hypothèse, être interprétés comme une manifestation certaine de la volonté de rompre le contrat de travail. Selon lui, l’évocation d’un futur recrutement ne saurait valoir licenciement en l’absence de toute communication formelle de cette décision au salarié concerné.
Le salarié arguait, quant à lui, que l’engagement pris envers un tiers, pour le poste qu’il occupait seul dans l’entreprise, démontrait de manière irrévocable la volonté de l’employeur de rompre le contrat. Il ajoutait que cette décision était d’autant plus manifeste qu’elle avait été partagée avec au moins une autre salariée, ce qui, selon lui, suffisait à rendre publique la rupture du contrat.
Devant la cour d’appel de Besançon, le salarié obtient gain de cause.
Les juges du fond relèvent que la promesse d’embauche formulée le 24 janvier, à un tiers pour un poste ne pouvant être cumulé, constituait une rupture du contrat de travail, en l’absence de notification régulière.
Ils considèrent également qu’il n’est pas nécessaire que la volonté de rompre soit directement exprimée au salarié : il suffit, en effet, qu’elle soit démontrée par des éléments probants, comme des courriels internes ou le témoignage d’un tiers informé, ce qui était le cas ici.
III. La solution.
La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Besançon, en rappelant avec force les conditions dans lesquelles une rupture de contrat de travail peut être valablement constituée.
Elle affirme que la rupture ne peut résulter que d’un acte de l’employeur par lequel il manifeste expressément sa volonté de rompre le contrat de travail, soit à destination du salarié, soit publiquement.
Or, la seule élaboration d’une promesse d’embauche dans le cadre d’échanges internes, entre le président de la société et la responsable des ressources humaines, ne constitue pas une manifestation publique ni une expression auprès du salarié concerné et ne saurait valoir ainsi licenciement.
Ainsi, l’intention de licencier, même avancée et documentée, ne saurait, en l’espèce, équivaloir à un licenciement et l’employeur conservait, jusqu’à la notification formelle du licenciement, la liberté de revenir sur son intention.
Dès lors, la Cour reproche à la cour d’appel d’avoir tiré des conséquences excessives d’un acte préparatoire.
Concernant les preuves produites par le salarié, la Haute juridiction valide l’appréciation de la cour d’appel : l’obtention des échanges litigieux ne résulte d’aucun piratage ni d’aucune atteinte à la vie privée : les échanges s’étaient tenus sur des messageries professionnelles et relevaient du fonctionnement courant de l’entreprise.
Dans ce contexte, la preuve est jugée recevable.
IV. L’analyse.
Par cette décision, la Cour de cassation confirme une lecture stricte et protectrice de l’article L1232-6 du Code du travail, qui encadre la rupture du contrat de travail avec une rigueur formelle.
Elle réaffirme que l’expression de la volonté de licencier ne suffit pas si elle n’est pas matérialisée par un acte clair, adressé soit au salarié, soit exprimé publiquement d’une manière qui ne laisse aucune ambiguïté.
Cette décision invite aussi les juges du fond à se montrer prudents dans l’interprétation des éléments de preuve indirects, surtout lorsqu’ils portent sur l’intention : un licenciement ne se présume pas.
Ainsi, les courriels échangés entre le PDG et la RH ne peuvent suffire à caractériser un licenciement verbal.
Ce que la Cour appelle « acte de volonté manifeste » ne peut être contournée ou devancée par des considérations sur la psychologie ou les intentions de l’employeur.
Ce principe a une double portée : il protège les droits du salarié, en imposant à l’employeur une transparence dans ses intentions, et évite les situations d’ambiguïté où un salarié pourrait se retrouver sans emploi sans avoir été formellement informé de la rupture de son contrat.
Effectivement, reconnaître trop facilement l’existence d’un licenciement verbal sur la base d’indices indirects reviendrait à fragiliser la procédure encadrée par le Code du travail et à introduire de l’insécurité dans la gestion des ressources humaines.
Ainsi, cette décision s’inscrit pleinement dans une volonté de lisibilité et de stabilité du droit du travail, en distinguant l’intention de licencier et le licenciement lui-même : la première n’engage pas encore le processus juridique, tandis que le second suppose un acte formel et clair.
Par ailleurs, l’arrêt est également l’occasion de rappeler les limites à la protection de la vie privée dans l’entreprise : il revient au juge d’apprécier si la preuve porte atteinte à un droit fondamental et si cette atteinte est proportionnée au but poursuivi, dans un souci d’équilibre entre le droit à la preuve et le respect des droits fondamentaux.
Sur ce point, l’arrêt s’inscrit dans la continuité des solutions rendues depuis l’Assemblée plénière du 22 décembre 2023, laquelle a posé que l’illicéité d’un moyen de preuve ne conduit pas automatiquement à son rejet.
En l’espèce toutefois, la question de la proportionnalité ne se posait pas, les juges du fond ayant à bon droit considéré les pièces comme loyales et professionnelles.
Référence : C. cass. 26 mars 2025, 23-23.625