I. Les faits.
Embauché en 1986 en tant que préparateur par la société Facen, un salarié bénéficie, au fil des années, de plusieurs promotions qui lui permettent d’évoluer progressivement jusqu’à occuper le poste de directeur de pôle. Par la suite, en 2006, son contrat de travail est transféré à la société Rexel France. Puis, le 7 février 2019, il fait l’objet d’un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Cependant, estimant que cette décision est infondée, il décide de saisir le conseil de prud’hommes le 24 juin 2019, dans le but d’obtenir des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par ailleurs, dans cette affaire, le salarié avait reçu une lettre d’attribution qui subordonnait l’acquisition définitive des actions à une présence continue de trois ans au sein de l’entreprise. Or, son licenciement, qui a été ultérieurement reconnu comme injustifié, l’avait empêché d’atteindre ce délai. Par conséquent, il revendiquait également l’attribution des actions en considérant que la condition de présence aurait été remplie s’il n’avait pas été licencié.
II. Les moyens.
La société Rexel France conteste la décision de la Cour d’appel de Douai, laquelle avait donné raison au salarié. Elle fait valoir que, du fait de son licenciement intervenu avant la fin de la période d’acquisition des actions, il ne pouvait plus satisfaire à la condition de présence requise pour leur octroi définitif.
Dès lors, elle soutient que, dans cette hypothèse, seule une indemnisation pour perte de chance pouvait être accordée, à l’exclusion de l’attribution effective des actions ainsi que de la reconnaissance du statut d’actionnaire.
III. La solution.
La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt de la Cour d’appel de Douai en rappelant que, lorsque le licenciement injustifié empêche l’acquisition d’actions gratuites, le salarié ne peut prétendre qu’à une indemnisation fondée sur la perte de chance d’acquérir définitivement ces actions, et non à l’attribution effective de ces actions, ni à la reconnaissance de la qualité d’actionnaire.
Elle fonde sa décision sur les articles 1103 et 1231-1 du Code civil, qui régissent le respect des obligations contractuelles et les conséquences de leur inexécution.
En effet, l’acquisition des actions gratuites repose sur des conditions strictement prédéfinies et non sur une simple perspective de maintien dans l’entreprise.
Dès lors, le salarié ne peut pas prétendre aux actions elles-mêmes, mais uniquement à une indemnisation correspondant à la perte de chance d’acquérir ces titres.
IV. Analyse.
L’arrêt du 26 février 2025 s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation en matière de perte de chance et confirme que seule une probabilité sérieuse d’acquérir un droit peut ouvrir droit à une indemnisation, sans pour autant créer un droit automatique à l’attribution des actions gratuites en cas de licenciement abusif.
Effectivement, la perte de chance est indemnisable lorsqu’elle est réelle et sérieuse, ce qui implique qu’elle ne peut pas être purement hypothétique.
En d’autres termes, il faut que le salarié ait eu, sans son licenciement, une probabilité suffisante d’obtenir définitivement les actions gratuites.
L’indemnisation ne correspondra donc pas à la valeur totale des actions, mais à une estimation de la probabilité que le salarié aurait eue d’acquérir ces actions gratuites s’il n’avait pas été licencié.
En pratique, l’évaluation du préjudice est parfois fixée à 50% de la valeur des actions, bien que ce taux puisse varier selon les cas.
Ainsi, attribuer les actions gratuites au salarié aurait conduit à une situation d’enrichissement sans cause, tandis qu’une indemnité pour perte de chance permet une réparation proportionnée du préjudice réellement subi.
Cette distinction est cruciale car elle garantit une réparation juste et équilibrée, en fonction du dommage réel, et non d’une situation hypothétique.
De ce fait, cette décision est favorable aux employeurs, car elle sécurise leurs pratiques en matière d’attribution d’actions gratuites.
En effet, elle illustre la rigueur du droit applicable aux plans d’actions gratuites, qui reposent sur des conditions d’octroi très précises.
La Cour de cassation sanctionne ici l’erreur de la cour d’appel, qui avait considéré que l’impossibilité d’exécution de la condition de présence, due au licenciement abusif, permettait d’en réputer l’accomplissement.
Or, une telle approche aurait pour effet de contourner la logique contractuelle et d’accorder au salarié un avantage qu’il n’était pas certain d’obtenir, même en l’absence de licenciement.
En somme, cet arrêt s’aligne sur la logique protectrice du salarié en matière de licenciement abusif, tout en confirmant que l’inexécution d’une condition contractuelle liée à un licenciement injustifié n’ouvre droit qu’à une indemnisation proportionnée à la perte de chance et non à l’exécution forcée de l’obligation initialement convenue.
Il réaffirme ainsi le principe selon lequel la réparation d’un préjudice doit être à la mesure du dommage réellement subi et ne peut conduire à une restitution artificielle d’un droit perdu.
À la lumière de cet arrêt, il apparaît clairement que les employeurs doivent porter une attention particulière à la rédaction des lettres d’attribution, en précisant de manière claire et détaillée les conditions d’acquisition des actions gratuites.
Cette rigueur permet de réduire les contentieux et d’éviter toute ambiguïté quant aux droits des salariés en cas de rupture anticipée du contrat.
Sources.
Cass. soc 26 février 2025, n° 23-15.072
Calcul des indemnités de rupture : exclusion des actions gratuites et de stock options.