Parler d’argent…
Sujet tabou s’il en est, surtout en France : l’argent n’y a pas bonne presse ! En octobre 2012, un sondage de l’IFOP établissait que pour 78 % des Français, être riche était mal, voire très mal, perçu.
Pourquoi cette pudeur ?
D’après la sociologue Madame Janine-Mossuz, directrice de recherche CNRS il y aurait trois raisons :
* la première tenant à l’influence de la religion catholique : religion pour les pauvres qui doit s’occuper des pauvres ;
* la deuxième tenant à l’influence du marxisme « dont il est resté l’idée que le profit, ce n’est pas bien » ;
* la troisième et dernière tenant à l’héritage de la culture paysanne.
Alors, comme le sujet est tabou, que la bienséance commande de surtout ne pas en parler… la rumeur s’empare du sujet… puisqu’ « ils » n’en parlent pas, c’est nécessairement parce qu’ils ont trop à cacher… « trop » c’est-à-dire trop d’argent.
« Ils » ce sont les avocats qui conservent sur le montant de leurs honoraires une opacité tout à fait extraordinaire !
Le rapport déposé par l’inspection générale des finances en mars 2013 et dont Monsieur Macron ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique a autorisé la publication, en même temps qu’il révélait que l’avocat n’arrivait qu’en 17e position en matière de revenu net médian (39.252 € par an soit 3271 € par mois), après le masseur kinésithérapeute et le contrôleur technique automobile, loin, très loin du mandataire judiciaire ou du greffier du tribunal de commerce (plus de 300.000 € par an) nous apprenait que 96 % des sondés estimaient que les tarifs et prestations de l’avocat étaient chers !
Sondage réalisé au mois de décembre 2012 portant sur 3000 personnes outre un échantillon de 300 chefs d’entreprise.
Le plus extraordinaire, dans ce sondage est que 49 % des sondés à peine avaient eu recours aux services d’un avocat !
Or, logiquement, quand une personne ne connaît pas le prix d’une prestation, elle se tait.
Mais en matière de justice, la chose est différente par ce que la rumeur est là : les avocats sont riches et s’ils sont riches, c’est parce qu’ils sont chers ! Pour paraphraser notre excellent confrère, Me Bernard Lamon (Dalloz Avocats n° 6/7) :
« Quand on ne sait pas ce que coûte une chose, on la voit chère ».
Et pourtant… fort heureusement, 77 % de ces mêmes sondés considèrent que la profession rend un service de qualité et 81 % un service personnalisé ! Autrement dit et en résumé l’avocat est cher mais bon ! Pourtant, en pratique, les choses sont différentes !
Le justiciable, en effet a toujours tendance à considérer que si son procès a été gagné, c’est parce qu’il était imperdable, alors que s’il a été perdu c’est parce que son avocat a été mauvais !
Conclusion : dans un cas comme dans l’autre, l’avocat ne peut prétendre à des honoraires conséquents, nécessairement proportionnels à la petite valeur ajoutée qu’il a pu apporter au procès.
Face à cette rumeur, profondément ancrée dans l’esprit des Français, l’ensemble des avocats, en chœur, essayent de justifier le montant de leurs honoraires en expliquant qu’il leur aura fallu beaucoup de temps et de travail pour accéder à la profession (âge moyen de 32,6 ans pour les hommes et de 29,4 ans pour les femmes : observatoire CNB 2014), qu’ils supportent de lourdes charges (secrétariat, collaborateurs, cotisations sociales et professionnelles, assurances etc. : environ 60 % du chiffre d’affaires), qu’ils travaillent beaucoup (2000 à 2200 heures par an : 45 heures par semaine sur 47 semaines) pour, finalement, gagner proportionnellement peu : les derniers chiffres publiés par l’observatoire du conseil national des barreaux du mois de mars 2015 démontrant que le revenu moyen s’est établi à 75.810 € par an pour un revenu médian de : 45.718 €, soit un revenu moyen mensuel de 6300 € et un revenu médian de : 3800 € (La moyenne est la somme des valeurs numériques divisées par le nombre de valeurs alors que la médiane, elle, partage la série de valeurs en deux parties de même effectif). Soit encore, en prenant l’hypothèse basse de : 2000 heures travaillées par an, un revenu moyen de : 37,90 euros de l’heure et médian de : 22,85 euros.
Ce n’est pas beaucoup... c’est le moins que l’on puisse dire !
Alors, les avocats sont-ils riches ? Objectivement et statistiquement : non !
Leurs revenus, moyens et médians confondus ressortent aux alentours de : 60.000 € par an soit environ 5000 € par mois, c’est-à-dire le revenu moyen d’un cadre bac +6 ou d’un magistrat premier grade, 8ième échelon hors indemnité de résidence, de fonction, primes et autres…
Mais pourquoi donc la rumeur laisse à croire qu’ils le sont ?
Pour une raison extrêmement simple : quelque peu passéistes, les avocats ne savent, ne peuvent ou ne veulent pas parler d’argent… à l’instar de ces anciens avocats qui rechignaient à plaider devant les tribunaux de commerce, laissant ce soin aux Agréés, motif pris qu’ils ne plaidaient pas devant « des marchands de nouilles ! ». Ils restaient fidèles, aveuglément fidèles aux usages : leur prestation, hautement intellectuelle, ne pouvait qu’être « honorée » à l’exclusion de toute « rémunération » !
Aussi, en sens inverse de l’évolution des mentalités, l’opacité a-t-elle été peut-être inconsciemment mais évidemment maintenue sinon accrue. Doit-on, pour autant, se contenter de se lamenter ?
Force est de constater, malheureusement que nous autres, avocats, hommes et femmes de communication dont la fonction première est de donner au juge l’envie de nous donner raison, sommes incapables, à ce niveau-là, collectivement ou individuellement de communiquer !
Il faut dire que les querelles intestines mais malheureusement fratricides que se livrent nos instances pseudo représentatives, entre le barreau de Paris, la conférence des bâtonniers, celles régionales, celle des barreaux des cent, le CNB etc. ne facilitent pas une réflexion commune et pertinente.
Alors, quelle solution ?
Simple et évidente : parler d’argent de telle sorte que le justiciable connaisse, dès le départ le montant prévisible des honoraires ainsi que des frais et débours qu’il aura à payer tout au long de la durée, normalement prévisible de la procédure, voies de recours et incidents éventuels compris. Ainsi, et à cette seule condition, le justiciable pourra apprécier si, stratégiquement il doit, ou non, aller au procès ou comme le préconise le dicton, lui préférer un « mauvais arrangement ».
La difficulté tient au fait que le « prévisible » ne l’est pas toujours : des incidents dilatoires peuvent, en effet, considérablement alourdir l’instruction d’un dossier (contredit, litispendance, plainte pénale, mesure d’expertise, appels en cause, saisine de la cour de justice, question prioritaire de constitutionnalité, etc.). Ce n’est évidemment pas la faute du justiciable ni celle d’ailleurs de l’avocat, mais il appartient tout de même à ce dernier, en sa qualité de professionnel de prévoir le « normalement prévisible » et celui qui ne l’est pas… de telle sorte que l’information du justiciable soit complète et qu’il prenne sa décision en toute connaissance de cause.
L’aléa est inhérent à notre métier.
Il est toujours difficile de faire un pronostic mais avec un peu d’expérience et beaucoup de travail, l’Avocat professionnel du Droit et (lui seul) de la stratégie judiciaire saura conseiller utilement son client sur l’opportunité du procès non seulement au regard de la position de la doctrine et de la jurisprudence mais également des circonstances de fait qui ont présidé à la naissance du contentieux, délimitant voire limitant ainsi significativement cet aléa.
Le meilleur, pour ne pas dire le seul moyen de concilier la rémunération du travail effectué avec le partage de l’aléa est de convenir, tout simplement, avec le client d’un honoraire mixte au temps passé avec un plafond en contrepartie d’un pourcentage sur le gain ou l’économie obtenus. En un mot, faire « cause commune » avec son client : perdre ou gagner avec lui.
Ce qui veut dire, aussi, l’associer à la procédure : le tenir fidèlement et chronologiquement informé des étapes de l’instruction du dossier, adapter avec lui la stratégie en fonction de l’instruction du dossier : conscient du travail effectué par l’avocat, l’honoraire payé apparaîtra, alors et enfin, proportionné parce que transparent.
En adoptant ce mode de rémunération mixte, le client saura quel est le montant maximum des honoraires qu’il aura à payer, quelles que soient les péripéties procédurales que connaîtra son dossier et aura, au préalable, convenu du partage de l’aléa : la convention ayant été, avant tout procès, loyalement discutée, la question de savoir si l’honoraire est cher ou non ne se posera plus : « pacta sunt servanda ».
En parlant d’argent, sans complexe, l’avocat fera, enfin, taire la rumeur !
Et peut-être que, pourquoi pas… le justiciable trouvera que, finalement, son avocat n’était pas si cher que ça... clouant ainsi le bec à la rumeur !