Exception au droit exclusif de l’auteur sur son oeuvre, la copie privée autorise depuis 1957 la copie ou la reproduction d’une oeuvre pour un usage strictement privatif. C’est par une loi du 3 juillet 1985 qu’a été institué le mécanisme à la dénomination trompeuse de « rémunération pour copie pri-vée », destinée à compenser le préjudice subi par les auteurs, artistes et ayants droit du fait de ces copies gratuites. En effet, si les copies privées étaient à l’origine marginales, l’avancée rapide des techniques a rendu ces copies plus faciles à réaliser et donc plus fréquentes, tout en améliorant leur qualité, augmentant donc de manière considérable le manque à gagner subi par les auteurs.
Ce mécanisme de la rémunération pour copie privée a tenté de s’adapter aux évolutions dues aux technologies numériques, mais est aujourd’hui très discuté.
Le rapport d’information du 16 juillet 2015 fait à cet égard un bilan de la rémunération pour copie privée et de son opportunité à l’heure actuelle, et fait part de 14 propositions pour améliorer le fonctionnement de ce système.
Un bilan favorable à la rémunération pour copie privée
Le rapport d’information met en avant les vertus de la rémunération pour copie privée et se positionne clairement en faveur de son maintien. Il fait état d’une hausse quasiment continue de la rémunération pour copie privée depuis 10 ans et souligne son importance en termes de revenus pour les auteurs et les artistes, mais aussi pour la culture et le spectacle vivant.
En effet, la rémunération pour copie privée est répartie pour majorité entre les ayants droit par le biais des sociétés de perception et de répartition des droits, et pour 25% au soutien d’actions artistiques et culturelles.
Cependant, la mission d’information constate une crise de la copie privée, laquelle se trouve confrontée à des enjeux, notamment liés à la progression toujours plus rapide du numérique, qu’elle peine actuellement à surmonter.
En effet, la Commission pour la rémunération de la copie privée, chargée de fixer annuellement le barème de la rémunération pour la copie privée, est actuellement paralysée du fait de la mésentente entre ses membres, composés paritairement des contributeurs à la rémunération pour copie privée (les consommateurs et les fabricants et importateurs de supports) et de ses bénéficiaires (les ayants droits). Ainsi, cette commission ne s’est pas réunie depuis 2012, entraînant ainsi un blocage et une stagnation des barèmes.
Par ailleurs, les barèmes actuels de fixation de la rémunération pour copie privée font l’objet de contestations, notamment de la part des consommateurs et des fabricants et importateurs de supports, en raison de la complexité de leur mode de calcul, de leur montant trop élevé et de leur actualisation insuffisante au regard de l’évolution extrêmement rapide des techniques.
Ces derniers relèvent par exemple que malgré une baisse du nombre de copies privées au profit du streaming, et malgré l’exclusion des copies privées réalisées à partir d’une source illicite, le montant de la rémunération pour copie privée n’a pas diminué. De plus, des variables d’ajustement et des taux d’abattement sont appliqués sur les montants calculés de la rémunération pour copie privée afin d’éviter d’aboutir à des prix prohibitifs sur les supports, ce qui rend le calcul opaque. Les professionnels, en principe exclus de la rémunération pour copie privée, sont en réalité très peu à se faire rembourser. En effet, les demandes de remboursement supposent d’effectuer des formalités administratives très lourdes et parfois coûteuses, ce qui semble peu conforme avec la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui exige la mise en œuvre d’un « un mécanisme permettant un remboursement effectif ne rendant pas excessivement difficile la restitution de la rémunération payée ».
Malgré ces constatations, la mission d’information préconise de conserver le système de la rémunération pour copie privée qui n’appartient selon elle pas encore au passé. Le rapport relève en effet que malgré l’accès de plus en plus important aux contenus en ligne, les pratiques de téléchargement et de stockage de contenus persistent, ainsi donc que la nécessité d’une rémunération pour copie privée. Ce système permet en outre, souligne le rapport, de rémunérer tous les ayants droit, y com-pris les artistes-interprètes, contrairement à un système de licence. Le rapport se propose donc de conforter le système actuel tout en renforçant sa légitimité, par le biais de 14 recommandations.
Les recommandations de la mission d’information
Le rapport prévoit 14 recommandations pour renforcer la légitimité et la transparence du système de la copie privée.
Il préconise notamment de maintenir et renforcer le caractère indemnitaire de la rémunération pour copie privée, écartant les propositions de taxation des copies privées ou encore de prélèvement à la source de la copie privée, qui risquerait selon la mission de s’impacter sur les prix des supports et de provoquer une augmentation du nombre de copies illicites.
Le rapport entend également conserver le mode de fixation paritaire des barèmes de la copie privée, soulignant l’importance que cette indemnisation soit négociée librement par les parties, plutôt que d’adopter une fixation par voie législative ou réglementaire. A ce titre, il propose la création d’une Autorité Administrative Indépendante pour homologuer les barèmes et les fixer en cas de blocage de la Commission pour la rémunération de la copie privée.
S’agissant des montants de la rémunération pour copie privée, la mission d’information propose, afin d’éviter une concentration de la rémunération sur certains supports et une hausse des prix, de plafonner la rémunération par rapport à un prix moyen de référence des supports. Le rapport préconise également de revoir l’assiette de la copie privée, dès que la Commission pour la rémunération de la copie privée sera de nouveau opérationnelle. En effet, en l’absence d’actualisation de la rémunération pour copie privée, on constate actuellement des différences injustifiées entre différents supports, entrainant une distorsion de concurrence.
Par exemple, les tablettes se voient appliquer la rémunération pour copie privée mais non les ordinateurs, alors que les deux équipements sont à présent devenus hybrides. Il existe même des différences entre les tablettes, puisque les tablettes fonctionnant sur windows ne sont pas soumises à la rémunération pour copie privée, contrairement aux tablettes Apple et Androïd. De même, les disques durs externes sont pas soumis à la rémunération pour copie privée, alors que les disques durs internes en sont exclus, alors que ces deux supports permettent de stocker des contenus.
Ainsi, une redéfinition claire de l’assiette de la copie privée s’impose, afin de déterminer les supports assujettis à la rémunération pour copie privée et les supports exclus.
Le rapport comprend également plusieurs propositions en faveur du prélèvement dédié à l’action artistique et culturelle. Il dénonce en effet une trop faible utilisation de ces crédits destinés à favoriser les actions artistiques et culturelles, et propose d’inciter les sociétés de perception et de répartition des droits à utiliser chaque année au moins 80% des crédits affectés à ces actions.
Par ailleurs, est recommandée la mise en œuvre d’une coordination entre les différentes sociétés de perception et de répartition des droits, afin d’éviter une trop grande concentration des aides sur certaines manifestations culturelles. La mission d’information souhaiterait également voir ce champ d’actions éligibles aux aides élargi à « l’éducation artistique et culturelle ».
La création d’une base de données ouverte concernant la gestion des ressources tirées de la rémunération pour copie privée par les sociétés de perception et de répartition des droits est également proposée dans un souci de transparence et d’information du public.
Pour ce qui concerne les professionnels, la mission d’information souhaite que leur soit facilité l’obtention du remboursement de la rémunération pour copie privée, notamment grâce à une meilleure information sur les possibilités de conclure des conventions d’exonération et à une simplification des demandes de remboursement.
Enfin, le rapport marque une forte volonté de pédagogie et d’information des consommateurs sur la rémunération pour copie privée, préconisant davantage d’information sur les montants mais aussi sur l’utilisation et la finalité de cette rémunération, en vue qu’elle soit davantage acceptée et légitimée dans l’esprit du public.
Fleur Pellerin a d’ores et déjà salué ce rapport, qui fait suite aux réflexions qui lui avaient été remises le 2 juillet dernier par la médiatrice Christine Maugüé. Ces préconisations s’inscriront dans le cadre de la réflexion menée sur projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, présenté en conseil des ministres par la Ministre de la Culture et de la Communication au début du mois de juillet dernier.